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Réduction du temps de travail

Loi Aubry

L'industrie hôtelière considère la loi inapplicable à son secteur d'activité

La majorité des patrons de l'industrie hôtelière voient d'un assez mauvais œil la réduction du temps de travail. Certains considèrent d'ailleurs ne pas être concernés par ces nouvelles dispositions. Tous sont cependant adeptes de la formule suivante : « moins de travail, pas plus d'emplois ».

Réduire le temps de travail. Voilà un sujet qui était peut-être « cousu de fil blanc » pour l'industrie du textile puisqu'elle est tout récemment parvenue à conclure un projet d'accord respectant l'esprit de la loi Aubry. En revanche, c'est apparemment l'ingrédient néfaste qui pourrait véritablement faire tourner « la mayonnaise » dans l'industrie hôtelière française. Bon nombre de chefs d'entreprise du secteur se refusent d'ailleurs à imaginer, aujourd'hui encore, rentrer dans le champ d'application du texte défendu par le ministre du Travail et de la Solidarité. Texte, qui rappelons-le, impose le passage aux trente-cinq heures à partir du 1er janvier 2000 pour les établissements comprenant 20 salariés et plus et du 1er janvier 2002 pour les sociétés de moins de 20 salariés.
Pour défendre leur position, ces mêmes patrons avancent bien sûr de solides arguments. A commencer par des raisons juridiques. « Si l'on se réfère au Code du travail, les salariés soumis à des horaires d'équivalence ne sont pas concernés, pour le moment, par l'abaissement de la durée légale du travail », affirment ainsi certains d'entre eux. Interprétation, s'empressent de répliquer quelques juristes assermentés. Allez savoir qui a tort ou bien raison. Toujours est-il qu'à la question suivante, posée sur le site Internet du ministère du Travail et de l'Emploi, « pour les salariés à temps complet des entreprises des secteurs de l'hôtellerie et de la restauration qui travaillent suivant le régime des équivalences, comment comprendre la notion de travail effectif et appliquer la réduction du temps de travail ? », la réponse du service semble assez explicite.
« Une instruction sur les heures d'équivalence est en cours au ministère. D'ici là, il ne vous est pas possible de procéder à une réduction du temps de travail », précise effectivement l'E-mail du ministère.

Vivons cachés, vivons heureux !
Dans ces conditions, il n'y a rien d'étonnant à ce que les entreprises de la branche préfèrent jouer l'attentisme voire même appliquent à la lettre le dicton : vivons cachés, vivons heureux ! En témoignent leurs propos respectifs. « En l'état actuel des choses, nous considérons en effet que l'abaissement du temps de travail ne concerne pas, à ce jour, notre branche d'activité », explique ainsi Gérald Ferrier, directeur de la politique sociale du groupe Accor.
Et d'ajouter : « jamais nous n'avons eu d'ailleurs de remarques de la part des pouvoirs publics sur ce point. D'autant qu'avec la signature de la convention collective, notre profession a d'ores et déjà fourni de gros efforts et doit désormais se consacrer à l'application concrète des 43 heures. »
Même son de cloche du côté de Torcy (et non de Bercy) de la part du numéro deux de l'hôtellerie française, Envergure, dont le vice-président Louis Crémèse n'hésite pas à avouer : « notre profession souffre d'un retard social évident. Alors, sur le fond, la philosophie de la réduction du temps de travail nous convient assez bien. Nous ne disposons pas, à l'heure actuelle cependant, d'éléments suffisants pour croire que nous serons réellement soumis à ce dispositif. »
Malgré toute la bonne volonté du monde, Renée Ougier, présidente de la Fédération nationale des Logis de France, et également hôtelière indépendante à titre personnel, ne cache pas elle aussi ses difficultés à envisager l'application de cette mesure à la profession. « Je ne vois pas comment on peut respecter cette loi dans notre secteur d'activité, notamment au sein des très petites structures. A un salaire près, nos maisons peuvent aujourd'hui péricliter. Alors... », confie-t-elle sincèrement.

Spécificités
De fait, les avis convergent tous sur les difficultés économiques et pratiques que susciteraient la mise en place du dispositif Aubry dans l'hôtellerie et la restauration. Ce à cause, évidemment, des spécificités caractérisant ces deux métiers de service à savoir : poids excessif de la masse salariale, larges plages horaires, principe de la coupure, concurrence internationale et respect de la clientèle. « Mme Aubry a bien de la chance si elle réussit à s'acquitter de toutes ses tâches en trente-cinq heures. Nous, pauvres restaurateurs et hôteliers, cela nous est impossible », tance le patron du restaurant Aux Années Vins à Buxy (Saône-et-Loire). « A l'inverse de l'industrie, notre temps de travail ne peut pas en effet être cadré. Sauf à ne jamais servir le fromage ni même le dessert à nos clients. Ou bien encore apporter le petit-déjeuner commandé pour 6 heures 30, trois heures plus tard », ironise-t-il.
« L'idéologie peut avoir du bon. Elle ne fait pas toujours hélas bon ménage avec la réalité économique des
entreprises »
, souligne Louis Crémèse. Et de surenchérir, après avoir attrapé sa calculette : « le passage aux trente-cinq heures tel quel va brutalement accroître la masse salariale (+ 22%), diminuant par conséquent les marges d'au moins 5 % à 6 %. Autrement dit, la marge finale de nos entreprises va être sérieusement entamée. » D'autant plus vite peut-être que comme l'analyse Alain Jacob, responsable du cabinet de recrutement AJ Conseil, « Le nombre d'heures est finalement le facteur-clef d'enrichissement de l'entreprise et de l'employé dans nos métiers ».
La réduction du temps de travail poserait en réalité un tel problème économique à la profession que même le groupe Accor ne souhaite pas se prêter au jeu du chiffrage. « Nous n'avons rien chiffré parce que l'abaissement du temps de travail à trente-cinq heures ne nous paraît pas viable dans nos professions. D'ailleurs, rien qu'en passant de 43 heures à 39 heures, la compensation du Smic augmenterait le taux horaire de 11,4 %. Il nous faudrait alors trouver de la productivité, mais aussi augmenter de manière sensible nos prix affichés (10 %). Cela est impossible ! », résume Gérald Ferrier.

Etat grand ordonnateur
Surtout lorsque ces mêmes sociétés sont confrontées à une concurrence internationale exacerbée. « La France est le pays le plus visité au monde car elle offre aujourd'hui des prestations de bon rapport qualité/prix. Rien n'est cependant jamais définitivement acquis. D'autant que les destinations concurrentes redoublent d'efforts pour gagner des parts de marché. L'augmentation sensible du coût de la main d'œuvre occasionnée par la réduction du temps de travail aura nécessairement des incidences sur la qualité de service. Et par là même sur notre compétitivité internationale », déclare un hôtelier du Languedoc, qui tient à rester anonyme.
Pour réussir à ce que les professionnels révisent leurs positions actuelles, l'Etat, grand ordonnateur de cette loi, devrait en fait jouer donnant-donnant. « L'industrie hôtelière n'est pas un paria ! Elle est capable de se remettre en question comme elle vient d'ailleurs de le faire avec l'adoption de la convention collective. Elle a toutefois des spécificités dont l'Etat doit tenir compte. L'idéal serait que nos gouvernants lâchent du lest et acceptent d'échelonner dans le temps la réduction du temps de travail. Il serait parallèlement judicieux d'accompagner cet abaissement avec, par exemple, des réductions de charges et une baisse de la TVA. Car, dans nos métiers en effet, moins de travail ne créé pas plus d'emploi », avance Louis Crémèse.
D'ici à ce que le message soit entendu par Bercy, l'eau peut couler sous les ponts. Une chose est certaine néanmoins, les vainqueurs de demain seront ceux qui sauront le mieux s'organiser et conduire des changements au sein de leur propre entreprise. « Les professionnels vont devoir réfléchir davantage à l'utilité de recourir au temps partiel et à l'annualisation du temps de travail. Ce qu'ils ne maîtrisent pas encore totalement aujourd'hui. Employés à bon escient, ces types d'organisations peuvent toutefois être de bonnes opportunités lorsque les besoins de flexibilité se font ressentir », analyse Alain Jacob. Il en va très probablement de l'image de la profession. D'autant qu'il y a déjà « péril en la demeure » en particulier dans le domaine du recrutement. Et que la situation ne devrait guère à première vue évoluer avec l'application du dispositif Aubry à bon nombre d'autres secteurs d'activité. Il en est pour preuve le nombre d'accords signés qui peuvent séduire beaucoup de jeunes à la recherche d'un emploi.
C. Cosson ccosson@lhotellerie-restauration.fr

DERNIER BILAN DE LA LOI AUBRY

* 321 accords signés
* 45 444 salariés concernés
* 80 % des accords s'appliquent aux cadres
* 2 675 emplois créés
* 800 emplois préservés

*Source : Ministère du Travail

 

TRAVAILLER, C'EST TROP DUR...

Depuis 1848, la durée du travail en France n'a cessé de diminuer puisque l'on est passé de 3 025 heures par an à environ 1 700 heures aujourd'hui.

n 1848 : 84 heures par semaine.
n 1900 : 70 heures par semaine.
n 1906 : 60 heures par semaine.
n 1919 : 48 heures par semaine.
n 1936 : obtention de deux jours de congés et 40 heures par semaine.
n 1956 : obtention de la troisième semaine de congés payés.
n 1968 : obtention de la quatrième semaine de congés payés.
n 1982 : mise en place de la semaine légale de 39 heures et cinquième semaine de congés payés.
n 1995 : signature d'un accord-cadre conduisant à des négociations de branches pour la réduction du temps de travail.
n 1996 : mise en place de la loi Robien dont les décrets d'application ont été publiés en août.
n 1998 : vote de la loi Aubry dont la disposition principale, la réduction de la durée légale du travail, s'appliquera à partir du 1er janvier 2000 (2002 pour les moins de 20 salariés).

 

Quelques ouvrages

m Réduire le temps de travail de Jacques Rigaudiat. Editions Syros, Alternatives économiques 1997.
m Le Temps de travail, une histoire conflictuellepar François Guedj et Gérard Vindt. Editions Syros, Alternatives économiques 1997.
m L'Aménagement du temps de travail par Pierre Boisard. Editions PUF, Que sais-je ? 1996.

Question :

Pour les salariés à temps complet des entreprises des secteurs de l'hôtellerie et de la restauration qui travaillent suivant le régime des équivalences, comment comprendre la notion de travail effectif et appliquer la réduction du temps de travail ?

Réponse parue sur le site Internet du ministère du Travail et de l'Emploi :

« Une instruction sur les heures d'équivalence est en cours au ministère. D'ici là, il ne vous est pas possible de procéder à une réduction du temps de travail. »

L'hôtellerie haut de gamme se montre intéressée

A l'abri des regards indiscrets, certains grands groupes hôteliers travaillent actuellement d'arrache-pied sur le dossier de la RTT. Surprise ?

Il s'agit le plus souvent de l'hôtellerie haut de gamme et de grosses unités parisiennes où les frais de personnel, on le sait, sont particulièrement élevés. Parmi les pionniers en la matière, on note la présence des trois hôtels français appartenant au conglomérat britannique Bass : le Carlton, le Grand Hôtel et l'Inter-Continental. Ces trois établissements ont su en effet utiliser le volet offensif du dispositif de la loi Robien pour pratiquer une réduction du temps de travail (RTT). Associant annualisation et RTT, ces établissements sont tous aujourd'hui passés aux trente-cinq heures. Ils ont en contrepartie garanti un maintien des salaires et créé 61 postes au Grand Hôtel, 38 à l'Inter-Continental et 31 au Carlton. De son côté, le Plaza Athénée, propriété du Sultan de Brunei, a lui aussi récemment signé un accord avec la CGT, la CFDT et FO (applicable à partir du 1er avril 1999). Les rumeurs laissent également entendre que le Ritz serait sur le point d'entamer des pourparlers avec les différentes organisations syndicales.
A suivre ...

Ce qu'ils en pensent...

Louis Crémèse vice-président du groupe Envergure

« La philosophie de la réduction du temps de travail nous plaît bien. L'idéal serait cependant que nos gouvernants lâchent du lest et acceptent d'échelonner dans le temps le passage aux trente-cinq heures. Il serait parallèlement judicieux d'accompagner cet abaissement avec, par exemple, des réductions de charges et une baisse de la TVA. Car, dans nos métiers en effet, moins de travail ne créé pas plus d'emplois. »

Alain Jacob patron du cabinet de recrutement AJ Conseil

« Le nombre d'heures est le facteur-clef d'enrichissement de l'entreprise et des employés de l'hôtellerie-restauration. Par conséquent, la loi Aubry devrait tenir compte des spécificités de ce secteur. »

Gérald Fournier directeur de la politique sociale du groupe Accor

« Nous n'avons rien chiffré parce que l'abaissement du temps de travail à trente-cinq heures ne nous paraît pas viable dans nos professions. D'ailleurs, rien qu'en passant de 43 heures à 39 heures, la compensation du Smic augmenterait le taux horaire de 11,4 %. Il nous faudrait alors trouver de la productivité, mais aussi augmenter de manière sensible nos prix affichés (+ 10 %). Cela est impossible ! »


L'HÔTELLERIE n° 2587 Supplément Emploi 12 Novembre 1998

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