Actualités

Réduction du temps de travail

Témoignages

Et si les salariés n'en voulaient pas non plus ?

La réduction du temps de travail fait déjà du bruit, du côté des salariés. Mais si le sujet est sur toutes les lèvres, il est loin de faire l'unanimité. A deux ans de sa possible application aux CHR, la loi Aubry suscite nettement plus de cauchemars que de fantasmes.

C'est le législateur qui risque d'être déçu lorsque les entreprises de l'hôtellerie et de la restauration réduiront le temps de travail de leurs employés. Lui qui croit aujourd'hui offrir la lune à ces salariés aurait de quoi être étonné s'il écoutait un peu leurs réactions. Rares sont en effet ceux qui voient arriver cette probable évolution sans angoisse, quand ils ne la rejettent pas purement et simplement.

Touche pas à mon salaire !
Les plus logiquement réfractaires sont, bien sûr, tous ceux, nombreux dans la profession, qui sont payés au pourcentage. "Je suis contre, tout à fait contre", martèle ainsi Didier Roucher, serveur au Roussillon, une brasserie parisienne. Et il s'explique aussitôt : "Dans toutes les brasseries de Paris, on est payé au pourcentage et, avec la RTT, on ne va pas gagner grand-chose. Il n'y aura pas beaucoup de volontaires !"
Même dans l'hôtellerie, le salaire des employés dépend parfois directement des horaires effectués. Savine Roussin, directrice salariée d'un hôtel de la chaîne One Star, à Nantes, a évoqué le sujet avec ses employées. "Elles ne sont pas tellement pour, affirme-t-elle. Plus elles font d'heures, plus elles sont payées. Si la RTT devient obligatoire, il faudra que je prenne une personne en plus et elles gagneront un peu moins."
Quel que soit le mode de rémunération - au fixe ou au pourcentage - ou son niveau - égal ou supérieur au Smic - les salariés sont de toute façon inquiets sur l'évolution de leur salaire. En tant que directrice, Savine Roussin n'est ainsi pas davantage prête à accepter une réduction de salaire que ses employées. "Je ne suis pas beaucoup payée, vu les horaires que je fais. Si je calcule, il y a des fois ou je travaille pour un franc ou pour la gloire. Avec la RTT, j'aurais toujours les mêmes charges, les mêmes responsabilités." Payé au Smic, Stéphane Jacob, pizzaïolo à la pizzeria del Vicolo à Verdun, est intéressé par une réduction du temps de travail à la seule condition qu'il n'y ait pas de gel du Smic. "Sinon, autant rester à 43 heures", conclut-il.
L'aspect financier est d'autant plus facilement évoqué que la réduction du temps de travail devrait conduire à une augmentation du nombre de loisirs et du budget correspondant. "Plus vous avez d'heures de libres, plus vous avez besoin de revenus", résume Christelle Certes, maître d'hôtel à La Villa Coloniale à Paris.

L'ambition de la jeunesse
Mais le sujet ne se limite pas à une question d'argent. Pour un jeune qui rentre dans la profession, le désir de travailler s'explique par une forme de réalisation sociale. C'est aussi se donner les moyens de son ambition. "Quand un jeune désire gagner de l'argent et travailler beaucoup parce qu'il veut faire sa vie, il est logique de le laisser travailler", admet avec philosophie l'un des serveurs du café Le Cambronne à Paris.
Dans le même temps, la vie familiale des plus jeunes rend souvent moins indispensable une réduction du temps de travail. "C'est très bien pour les mères de famille. Moi, au contraire, je préférerais travailler davantage", avoue ainsi Saliha Akeb, réceptionniste à temps partiel à l'Hôtel de Grenelle, une affaire familiale du XVe arrondissement à Paris.
D'autres paraissent presque effrayés à l'idée d'une telle diminution de leurs horaires. Une jeune femme, maître d'hôtel dans une entreprise de restauration à Lyon, exprime une angoisse fréquente : "Pour y arriver, il faudrait ne travailler que trois jours par semaine. Nous sommes habitués à faire tellement d'heures que le décalage va être dur !"

Et le client, dans tout ça ?
Certes, la contrainte horaire conduit souvent les moins motivés à quitter la profession. En revanche, pour ceux qui ont choisi leur métier en connaissance de cause et qui s'y sentent bien, elle fait partie de la règle du jeu. Résultat : la crainte est grande d'une baisse de la qualité du service à la clientèle lors du passage aux 39 heures.
Chacun l'exprime à sa manière mais l'inquiétude est générale. "Vous imaginez, travailler moins dans un hôtel ou un restaurant, ce n'est pas possible ! Ça va mettre la pagaille partout, s'énerve Savine Roussin. Il est impossible de dire à un client qui à une crise cardiaque dans l'hôtel, comme c'est arrivé le mois dernier : excusez-moi mais je ne travaille plus, j'ai déjà fait mes heures !"
Un tel exemple, si caricatural soit-il, dépeint cependant la réalité de ces entreprises de services qui doivent d'abord répondre aux besoins de la clientèle. "Nous ne pourrons pas faire le travail correctement, nous ne pourrons pas satisfaire la demande du client", affirme Christelle Certes. Mohammed Biyadi, chef de brigade de réception dans une résidence hôtelière de Cannes, reconnaît lui aussi les contradictions d'une telle réforme. "Pour mes besoins personnels, j'aimerais bien passer à 35 heures. Mais on est là pour satisfaire le client, il faut donc donner le plus que l'on peut. Et 35 heures, c'est difficilement faisable dans mon poste. Ce n'est pas comme dans un bureau où l'on pointe. On suit une autre logique."
Beaucoup évoquent également la distinction entre présence et travail effectif. "Nous passons beaucoup de temps à attendre le client, indique ainsi l'employée d'un restaurant lyonnais. Et ce temps d'attente, je ne vois pas comment il pourrait diminuer. Pour diminuer le temps de travail, c'est clair qu'il faudrait tout revoir dans l'organisation de l'entreprise."

Une loi inapplicable...
C'est là un autre souci exprimé par les salariés du secteur : la plupart d'entre eux ne voient pas "comment l'employeur va faire", certains assurant, péremptoires, "c'est impossible !" Même les plus séduits par l'idée imaginent difficilement leur mise en pratique. C'est le cas de Stéphane Jacob, à Verdun. "Ça ferait du bien, avoue-t-il. Mais les patrons ont déjà pas mal de charges ; je ne sais pas trop comment ils pourront s'arranger. Pour les autres secteurs, c'est possible, mais dans la restauration, je ne vois pas comment."
Il faut également compter avec la distinction entre grandes et petites entreprises. "Une telle mesure va obliger les restaurants traditionnels à faire deux équipes, s'angoisse Christelle Certes. Avec les charges actuelles, ça va faire fermer les petits particuliers et ne favoriser que les chaînes." S'il est favorable, Mohammed Biyadi ne reste pas moins lucide sur la possibilité d'appliquer une telle loi à l'ensemble du secteur. "Nous, nous sommes une grande entreprise. Ici, c'est faisable, je pense. Dans les petites entreprises, il en va sans doute autrement."

... et peu efficace
Pour ou contre, tous s'interrogent donc sur l'avenir de leur métier ou de leur entreprise, mais aussi sur les effets attendus d'une telle mesure sur l'emploi. "Ça ne résoudrait rien, estime une jeune serveuse d'un restaurant en vogue de la proche banlieue parisienne. Pour avoir un effet sur l'emploi, pour permettre aux entreprises d'embaucher, il faut réduire les charges. Sinon, rien ne changera."
Reste une question, soulevée par le serveur d'un bar parisien, celle de la motivation à terme de ces futurs salariés du secteur. "Aujourd'hui, c'est une profession où on peut bien gagner sa vie, à condition de travailler beaucoup. Mais c'est un métier difficile où il faut de la patience, du courage. La plupart des gens qui accepteront de travailler pour un salaire moins élevé seront beaucoup moins motivés et ne résisteront pas. Ils finiront par craquer..."
Tant d'inquiétude chez ceux qui devraient être les principaux bénéficiaires d'une telle mesure montre bien que la loi sur les 35 heures est vécue, dans le secteur, comme une véritable révolution. Après tout, il pourrait s'agir pour eux d'une diminution forte de leur temps de travail, diminution qui supprimerait, dans le même temps, toutes les particularités du secteur et les compensations qui lui sont liées.
M. Fournier


Les salariés des brasseries parisiennes sont rarement pour la RTT.

Un bar, deux employés, deux opinions

Au Cambronne, un café du 15e arrondissement de Paris, deux serveurs, deux profils distincts et deux opinions quelque peu différentes. Pour Jean-François Vayrac, encore à quelques années de la trentaine, le refus est catégorique. "Pour nous, ce n'est pas possible, affirme-t-il avec colère. Il va falloir embaucher, peut-être deux garçons de plus. Cela reviendra à couper notre salaire en deux. Actuellement, je travaille 12 heures par jour et ça me convient très bien. 39 heures, ça nous fera trop de temps de libre, et ce temps, il faudra l'occuper. On va dépenser plus alors qu'on aura moins d'argent. Mais ce n'est pas qu'un problème d'argent. J'ai besoin de m'occuper. Je ne vais pas passer mon temps à ne rien faire !" Pour son collègue, qui affiche une quarantaine sereine, le discours est plus tempéré mais, somme toute, guère plus positif. Cette fois, ce n'est pas tant les 39 heures elles-mêmes qui sont passées au pilori, mais plutôt la généralisation de leur application. "Le problème, c'est qu'il n'y aura pas le choix. Ça devrait plutôt être un accord entre patron et salariés pour que certains employés fassent plus et d'autres seulement les 35 heures. Mais il faut aussi être lucide : toutes les professions qui gagnent de l'argent, tous les cadres, font déjà plus de 39 heures. A titre personnel, dans 10 ans, je voudrais peut-être ne faire que 35 heures. Aujourd'hui, je ne le peux pas. Il y a 10 ans, j'aurais dit non. C'est en fonction de l'âge !"


L'HÔTELLERIE n° 2587 Supplément Emploi 12 Novembre 1998

L'Application du journal L'Hôtellerie Restauration
Articles les plus lus...
 1.
 2.
 3.
 4.
 5.
Le journal L'Hôtellerie Restauration

Le magazine L'Hôtellerie Restauration