Une restauratrice poursuivie pour infraction à la loi sur les délais de paiement
Michèle Courtois répondra le 2 octobre prochain devant le tribunal correctionnel de
Lille de faits «relatifs au non respect des délais de paiement pour des achats de
viandes, charcuteries, poissons, fruits et légumes tels que prévus par les dispositions
de l'article 35 modifié de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986». Son avocat
Me Didier Lebon plaide la relaxe, «l'élément intentionnel n'étant nullement
apporté». Les poursuites proviennent non d'une plainte des fournisseurs mais du
parquet lui-même, saisi par la Direction Régionale de la Concurrence et de la
Répression des Fraudes (DRCRF) faisant suite à un procès-verbal de visite du restaurant
Aux Moules le 10 décembre 1997.
Michèle Courtois est la professionnelle de la restauration la plus connue du Nord. Son
restaurant, Aux Moules, a fait fortune dans la moule frites. Mais après diverses
transformations dont la dernière, très importante, n'a que cinq ans, il s'agit
aujourd'hui d'une très belle brasserie de deux cents places intérieures et cent
cinquante en terrasse, qui emploie trente-six personnes. Aux Moules sert un peu moins de
500 couverts/jour en moyenne, de 400 à 900 le samedi et quelque 2.000 pendant les 24
heures de la braderie. «La performance est requise de la part d'un personnel aguerri
et bien payé», dit la patronne, la soixantaine fraîche et dynamique. Le poids des
moules garde encore le prix moyen autour de 110 francs mais la brasserie classique se
développe à la carte.
Michèle Courtois mène son affaire depuis des dizaines d'années selon ses propres
critères. «Sans problème de trésorerie», indique-t-elle, elle a pour habitude
de payer ses fournisseurs plutôt rapidement mais d'être exigeante sur le rapport
qualité/prix. Aussi ne comprend-elle guère ce qui lui arrive avec la visite le 10
décembre dernier de deux fonctionnaires fort aimables de la DRCRF.
Elle croit d'abord à une affaire d'hygiène. Visite des chambres froides, pas de
problème en apparence. Inspection des livres comptables et documents d'achats (bons de
livraison et factures). Elle comprend moins. Après rapprochement des étiquettes lues sur
les articles des chambres et des dates portées sur les bons de livraison, les factures et
l'état de la trésorerie, il apparaît un certain retard, de l'ordre de quatre à cinq
jours, sur les dates de paiement portées sur les factures. Retard que Michèle Courtois
attribue à une surcharge de travail de son secrétariat comptable, notamment dans les
mois qui suivent la braderie, mois toujours très chargés. Mais ce retard, selon les
textes de 1986, lourdement aggravés par la loi du 31 décembre 1992 (lire l'encadré),
n'est qu'apparent. Il est en réalité plus important, atteint jusqu'à vingt jours, car
les textes prennent en compte non la date portée sur la facture mais un délai suivant la
date de livraison des denrées, délai variable selon la nature de ces denrées. Le non
respect de ces dispositions réglementaires est qualifié de délit. L'amende est fixée
à 500.000 F. Les juges peuvent la réduire, mais aussi l'augmenter en fonction de la
somme facturée.
Changer de méthode
«Je suis en bons termes avec mes fournisseurs, insiste Michèle Courtois.
Jusqu'à présent, la méthode était simple. Nous recevons nos moules, viandes, fruits
et légumes tous les matins. Je surveille personnellement le plus souvent l'hygiène et la
qualité de la marchandise. En fin de mois, nous recevons un relevé des livraisons. Mon
secrétariat comptable pointe ligne par ligne pour vérifier si les quantités, les prix,
les promotions correspondent bien à la réalité et à ce qui était conclu. Il y a les
vérifications, les erreurs, éventuellement des renégociations. Cela peut prendre huit
jours. Chez nous, le premier plat de la carte est à 45 F. Il faut être vigilant sur les
achats. Nous réglons ensuite très rapidement.»
Cela paraissait une bonne méthode. Et bien il faudra en changer. La DRCRF a rencontré
également les fournisseurs. Il apparaît que les factures ne sont pas rédigées
conformément aux prescriptions légales. Michèle Courtois et ses fournisseurs ont donc
modifié, depuis, leur manière d'agir. Les factures sont établies d'après des relevés
décadaires de livraison. Le délai de paiement part à la fin de cette décade. Le tout
doit apparaître clairement sur les documents pour chaque livraison. Le plus étonnant est
que l'action en justice n'ait pas été précédée par un avertissement et une seconde
visite administrative de vérification. Car enfin la notoriété de ces textes n'est pas
si grande, et il s'agit de petites entreprises, qu'il s'agisse des grossistes ou
demi-grossistes ou du restaurateur. «Peut-être, suggère Michèle Courtois,
a-t-on voulu souligner un changement de cap de l'administration et faire un exemple sur le
restaurant le plus connu de Lille ?» En attendant, il faut plaider.
L'affaire appelée une première fois le 12 juin devant la huitième chambre
correctionnelle de Lille a été renvoyée au 2 octobre. Que plaidera Me Lebon ? Il
rappellera d'abord le contexte légal. L'ordonnance de 1986 a été modifiée en 1992 pour
protéger les producteurs agricoles contre la pression des centrales d'achat de
collectivités. Mais on parle ici de restauration commerciale. Même une affaire de la
taille d'Aux Moules ne peut se comparer à Eurest ou Sodexho. Ensuite, il plaidera la
difficulté de lire ces textes complétés par de nombreuses circulaires qui attestent de
sa difficulté d'application. Par exemple, une circulaire précise que les produits
congelés ne sont pas soumis au délai de trente jours suivant la fin de la décade de
livraison. Enfin et surtout, il plaidera l'absence d'élément intentionnel. Argument de
base : une grande partie des factures n'étaient pas établies selon les dispositions
réglementaires relatives aux délais de paiement. C'est là l'élément clé du dossier.
Les faits ne sont pas contestables. Mais selon le conseil de Michèle Courtois,
l'élément intentionnel indispensable à la constitution d'un délit n'est pas établi,
car elle n'avait pas vraiment connaissance de ses obligations. Tout le monde est censé
connaître la loi, mais a priori les délais de paiement restent affaire de relation
client-fournisseur. Les factures n'étaient pas en conformité avec la loi mais le
débiteur réglant finalement rubis sur l'ongle, tout le monde était satisfait. Rien ne
dit toutefois que cela suffira à convaincre le tribunal. Aussi vaut-il mieux que les
restaurateurs et leurs fournisseurs prennent en considération cette menace et se mettent
en règle dans les meilleurs délais.
Selon un sondage effectué par la Direction Générale de la Concurrence et de la
Répression des Fraudes (DGCRF) avant rédaction de la loi de 1992, un dépassement de
délai stipulé par les factures avait été constaté dans 53,6% des cas, ce dépassement
variant de cinq à quarante jours. Le plus souvent pour cause de difficultés de
trésorerie. La vigilance s'impose.
A. Simoneau asimoneau@lhotellerie-restauration.fr
Le restaurant Aux Moules risque une amende de 500.000 F
L'HÔTELLERIE n° 2578 Hebdo 10 Septembre 1998