Loiseau à Paris
Propos recueillis par N. Lemoine
L'Hôtellerie :
Il y a de nombreux restaurants à vendre, pourquoi Tante Louise ? Pourquoi un restaurant
à Paris ?
Bernard Loiseau :
«Pourquoi Tante Louise ? Parce que j'y ai mangé. Vous savez, Tante Louise avait une
étoile Michelin il y a 20 ans. Et puis j'ai été conquis par les lieux, par ce décor
sublime années 30, comme à Saulieu. Quant à Paris, j'y ai commencé ma carrière. Je
connais bien et «Tante Louise» a l'avantage d'être situé dans un quartier
stratégique, dans le centre de la Capitale.»
L'Hôtellerie :
Quel est le montant du rachat ? Avez-vous contracté de gros emprunts ?
B. L. :
«J'ai racheté Tante Louise 4 MF. J'ai emprunté la totalité avec nantissement du fonds
de commerce et caution personnelle. La BRED m'a suivi. Elle m'a suivi alors que je sors de
13 MF de travaux à Saulieu. Mais j'ai toujours honoré mes remboursements et cela donne
confiance aux banques».
L'Hôtellerie :
A quel terme envisagez-vous de faire des bénéfices ? D'en faire une affaire rentable ?
B. L. :
«Quand j'ai acheté Tante Louise, il faisait 8 MF de chiffre d'affaires. Je compte bien
au moins égaler ces 8 MF dès la première année. C'est une affaire rentable, elle le
restera.»
L'Hôtellerie :
Pourquoi ne pas avoir changé d'enseigne ? Pourquoi pas Chez Bernard Loiseau et profiter
pleinement de votre notoriété ?
B. L. :
«Jamais. Ce n'est pas moi. Bernard Loiseau, c'est Saulieu. Peut-être mon nom apparaîtra
plus tard sur la carte, mais avec celui de mon chef Arnaud Magnier.»
L'Hôtellerie :
Le prix des menus ?
B. L. :
«190 F + les vins au déjeuner comme au dîner.»
L'Hôtellerie :
Quel est le ticket moyen à la carte ?
B. L. :
«300 F. Cela reste très raisonnable pour la qualité de la cuisine proposée.»
L'Hôtellerie :
Envisagez-vous à terme d'investir pour tenter de décrocher une étoile Michelin ?
B. L. :
«Ce n'est pas mon but. Je lance une belle maison avec une cuisine de qualité. Ceci dit,
si jamais une étoile nous était décernée, je la prends avec grand plaisir.»
L'Hôtellerie :
Quelle est la capacité du restaurant ?
B. L. :
«85 places. Nous avons fait plus de 100 couverts dès le 1er jour, 120 le deuxième et le
troisième.»
L'Hôtellerie :
Chez Tante Louise nouvelle version, c'est donc dans les assiettes que la clientèle doit
apprécier le changement ?
B. L. :
«Il n'est pas question de faire une cuisine parisienne. C'est une cuisine classique mais
légère, dans l'esprit Loiseau, avec une tendance bourguignonne : Persillé de lapin à
la vinaigrette de lentilles, Epaisse tranche de lard fermier dans son jus, Joue de boeuf
braisée aux carottes caramélisées ou Oeufs en meurette à la Bourguignonne. Les bons
produits, la simplicité, on sait ce que l'on mange.»
L'Hôtellerie :
Vous avez choisi deux anciens de la Côte d'Or, pour faire tourner l'établissement avec
Arnaud Magnier en cuisine et Patrice Gilbert en salle. Question de confiance ou de
fidélité ?
B. L. :
«Les deux. Arnaud Magnier et Patrice Gilbert avaient travaillé avec moi. Ensuite, ils
ont tourné dans de grandes maisons. Je les ai rappelés et ils m'ont fait l'honneur, je
dis bien l'honneur, de revenir. Tout ce que j'ai fait, c'est avec les hommes. On ne peut
rien faire sans les hommes. Je n'ai que deux bras. J'ai besoin d'être entouré par un
personnel de qualité qui connaît parfaitement son travail.»
L'Hôtellerie :
A-t-on quelques chances de croiser Bernard Loiseau Chez Tante Louise ?
En cuisine ?
B. L. :
«Tous les 10 jours, je passerai en «client» manger chez Tante Louise. Je serai en salle
et j'irai voir les clients. Je leur parlerai, tout comme je le fais à Saulieu. Mais je
n'irai pas en cuisine. Je reste à Saulieu.»
L'Hôtellerie :
Vous avez décidé d'introduire en Bourse (1) votre société, Bernard Loiseau SA (qui
comprend La Côte d'Or, les activités de consultant et Tante Louise). Quelles sont vos
motivations ?
B. L. :
«Ce sera la première fois qu'un 3 étoiles fera son entrée à la Bourse de Paris. J'ai
47 ans, trois enfants très jeunes, et je ne sais pas s'ils auront envie de prendre ma
suite. Cela me permettra d'assurer la pérennité de mon entreprise. Cela me donnera une
bouffée d'oxygène. Cela me permettra de me désendetter, d'investir, d'embaucher.»
L'Hôtellerie :
Que diriez-vous à vos collègues qui seraient tentés d'entrer en Bourse ? L'avenir de la
restauration passe-t-il par la Bourse ?
B. L. :
«C'est une opportunité extraordinaire pour les PME. J'ai le bon sens paysan, du bon sens
tout court et je suis le seul actionnaire de toutes mes sociétés. Il faut vivre avec son
temps. La Bourse permet de lever beaucoup d'argent pour entreprendre de nouveaux projets
et aller encore plus loin. J'ai le droit de grandir. La Bourse, c'est comme Internet, il
faut y être. Il faut être de son temps.»
(1) L'introduction en Bourse, au second marché, de Bernard Loiseau SA est prévue pour la mi-octobre, sous réserve de l'accord des autorités boursières. A défaut, Bernard Loiseau compte se replier sur le marché libre de la Bourse de Paris. A suivre.
Bernard Loiseau avec Arnaud Magnier et Patrice Gilbert, deux jeunes professionnels
enthousiastes qui ont désormais l'avenir de Tante Louise entre leurs mains, sous
l'il vigilant du patron de la Côte d'Or.
«Je reste à Saulieu», dit Bernard Loiseau.
L'HÔTELLERIE n° 2578 Hebdo 10 Septembre 1998