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Le marché de la livraison
sur le lieu de travail n'est pas facile à appréhender. Il appartient au marché de la
consommation à domicile, "le plus grand restaurant du monde, selon Jean-Paul
Bucher, p.-d.g. du Groupe Flo, car il n'a ni table, ni chaise". A côté des
poids lourds et des pionniers tels que Lina's Sandwiches, Class'Croute, Flo Prestige,
gravitent une multitude de prestataires, tous différents les uns des autres. Les
traiteurs de toutes spécialités, mais aussi certains restaurateurs, et les pizzerias
livrent de plus en plus souvent à partir d'une carte spécialement élaborée pour ce
marché. Un marché qui ne reste plus l'apanage des groupes, et quelques restaurateurs
indépendants ont résolument investi, eux aussi, le créneau des entreprises.
"Notre marché, c'est les entreprises", explique Christian Leduc, dont la
société Le Panier des Halles fabrique et livre des plateaux-repas, des buffets et des
cocktails. Créée en août 1994, l'entreprise enregistre un chiffre d'affaires de 3 à 4
millions de francs cette année. Avec un portefeuille de 50 gros comptes, Le Panier des
Halles fournit tous les jours entre 60 et 100 plateaux, plus 100 parts de cocktail, soit
200 personnes servies quotidiennement en moyenne.
Le service aux entreprises est particulier. Il répond à des exigences bien précises que
l'on peut résumer ainsi : le service proposé aux entreprises doit être propre. Pas
question de livrer une pizza dans son grand carton, sans couvert ni serviette, ou sans
avoir été préalablement découpée. "Les pizzas qui arrivent toutes seules ne
sont pas de bons produits. On ne va pas les découper avec des ciseaux", s'amuse
Luc Mengual de la société marseillaise yafaim.com, prestataire d'une plateforme Internet
aux restaurateurs.
Les gens qui mangent dans un bureau sont des gens pressés. S'il s'avère nécessaire,
le réchauffage des plats doit être simple à effectuer. Et les restes du repas doivent
disparaître facilement. La corbeille remplie de boîtes en carton imposantes n'est pas un
élément
de décoration bienvenue. De même que les odeurs de nourriture doivent être
inexistantes. "Nous fournissons un package. La vaisselle est jetable",
explique Christian Leduc, du Panier des Halles.
"Dans les bureaux, les attentes sont différentes. Le client ne veut pas d'une
pizza à partager avec le fournisseur ou l'interlocuteur avec lequel il va déjeuner. Il
lui faut un plateau individuel", renchérit Antoine Ferchaud qui dirige Dada
1920, spécialiste de "la gastronomie française au bureau". Il poursuit
: "De plus, si l'on peut accepter un retard de livraison lorsque l'on se trouve
chez soi, ce n'est pas le cas en entreprise. Le respect des délais de livraison et la
ponctualité sont incontournables. Ce sont deux éléments de fidélisation de notre
clientèle." Enfin, il ne faut pas oublier l'importance de la tenue des livreurs
et leur façon de se présenter. "Ce sont eux qui représentent notre société.
Notre développement repose sur un contact privilégié au sein des entreprises, avec des
personnes-clés comme les secrétaires, les standardistes, établi sur une image
d'originalité de qualité et de rigueur."
Sandwiches, pizzas, salades, plateaux-repas, petits-déjeuners, cocktails... l'offre aux entreprises est multiple. Malgré la présence de mastodontes comme Class'Croute, qui livre 400 000 sandwiches par an (150 millions de francs de chiffre d'affaires attendus pour 2000-2001), les petites structures ont la possibilité de se développer sur des niches de produits et sur des niches géographiques, comme l'explique Antoine Ferchaud de Dada 1920 : "Notre marché est distinct de celui de la restauration livrée pratiquée par les géants tels que Pizza Hut ou Domino's Pizza sur un marché déjà structuré. Le marché de la livraison sur le lieu de travail représente aujourd'hui en région parisienne environ 200 millions de francs, répartis entre la livraison de plateaux-repas pour un tiers, et la livraison de salades et de sandwiches pour les deux tiers restant. Les deux segments correspondent à des logiques différentes. Ce marché connaît une croissance annuelle de près de 20 %. Alors que les grosses enseignes multiplient les franchises et essaiment dans les villes de province, les sociétés plus modestes se limitent à des zones moins importantes dans une logique de commerce de proximité." Après une première unité ouverte rue de Phalsbourg dans le XVIIe arrondissement de Paris et destinée aux IXe, XIIIe, XVIe nord et XVIIe arrondissements, un second Dada 1920 a été créé à Levallois pour la livraison à Asnières, Clichy, Courbevoie, Levallois, Neuilly-sur-Seine et La Défense. Mise en service en octobre, l'unité de Boulogne couvre les secteurs de Boulogne, Issy-les-Moulineaux et le sud du XVIe arrondissement. Avec une constante : ces installations concernent des quartiers à forte densité de bureaux. Une rivalité dont les géants ont tout à fait conscience. "C'est vrai que nous avons de gros concurrents, mais aussi une foule de petits intervenants locaux qui grignotent du terrain", reconnaît volontiers Francine Dapremont, la directrice du marketing de Flo Prestige.
La nature du marché de la livraison sur le lieu de travail est sujette à beaucoup de
réflexions. La commande d'un plateau-repas reste occasionnelle car on ne mange pas tous
les jours de cette façon. Cependant, ce n'est pas un dépannage, à plus forte raison
pour les plateaux haut de gamme. "Nous sommes passés d'une notion de dépannage
à une offre répondant à un besoin récurrent chez les entreprises", explique
Bruno Poux, le responsable du service des plateaux-repas chez Lenôtre. "C'est
vrai que l'on ne commande pas un coffret-repas tous les jours et que cela est un luxe.
Cependant, ce n'est pas un dépannage de dernière minute. C'est un réflexe de
fonctionnement. La consommation de nos coffrets a souvent lieu à l'occasion de journées
de travail planifiées à l'avance, et elle fait partie du déroulement de la journée",
explique Francine Dapremont de Flo Prestige. En 1985, le Groupe Flo a été le premier à
mettre sur le marché des coffrets-repas, sur le principe du catering aérien. Elle
poursuit : "Pour bien appréhender ce marché, il faut se placer du côté de
l'entreprise qui commande et non de la personne qui mange. Mon client, c'est l'entreprise.
Nous faisons du business to business."
Au cabinet d'études Gira Sic Conseil, Bernard Boutboul est toutefois plus réservé :
"Le marché de la livraison sur le lieu de travail va avoir du mal à décoller.
La commande d'un plateau-repas reste encore exceptionnelle et touche le plus souvent les
cadres. C'est pourquoi je parlerais plutôt de dépannage luxueux."
Pourtant, les traiteurs poursuivent leur offensive commerciale sur ce marché. Pour
parfaire leur offre et étendre le spectre du service rendu aux entreprises, les
traiteurs, toutes tailles confondues, élargissent leur prestation avec une offre
débordant le cadre du déjeuner : ils livrent des petits-déjeuners, des apéritifs, des
goûters et des cocktails. Sur le haut de gamme, la concurrence est vive. Si Flo Prestige
et Lenôtre tiennent le haut du pavé en matière de parts de marché, d'autres grandes
enseignes s'engagent sur ce créneau. Lancé il y a environ un an, le service traiteur de
Class'Croute a permis, selon Nicolas Bertin, responsable du service, de passer de 2 500
plateaux-repas en 1998 à 20 000 en 1999. Le ticket moyen est de 130 francs. Pour fournir
les clients, les franchisés ont deux solutions : produire dans leurs unités ou faire
appel aux centres de production de l'enseigne situés dans le VIIIe arrondissement de
Paris et à Palaiseau, en attendant la mise en service d'un troisième d'ici la fin de
l'année à Issy-les-Moulineaux. Le leader de la livraison sur le lieu de travail propose
également la réalisation de buffets salés et sucrés. Selon la responsable du
développement de Class'Croute, Yvanne Quintrec, la société de livraison de repas
devrait prochainement accentuer encore sa démarche commerciale aux entreprises.
En se lançant sur ce marché, la Sogeres, société spécialisée dans la restauration
collective, a pris le virage de la restauration commerciale. Sa filiale événementielle,
L'Affiche, propose depuis mai dernier Les Plateaux de l'Affiche, un service de livraison
de repas chauds aux entreprises situées en Ile-de-France. Le concept s'appelle Top
Trolley et repose sur un chariot chauffant, un caisson équipé d'une résistance, qui
réchauffe la partie des plateaux où sont situés les plats de résistance, un peu comme
dans les avions. Un trolley peut contenir jusqu'à 20 plateaux et se branche sur une prise
électrique 40 minutes avant le repas. On le voit, le marché de la restauration livrée
attire de plus en plus d'opérateurs qui, de mieux en mieux structurés, sauront répondre
aux besoins de plus en plus importants des différents types de clientèle. Le
développement de ce marché ne sera certainement pas sans avoir certaines conséquences
sur celui de la restauration commerciale à table qui, justement, accueillait la
clientèle de bureaux. Aujourd'hui celle-ci préfère le plateau-repas pour continuer une
réunion à la sortie pause-déjeuner. Un comportement du consommateur qui risque là
encore d'être renforcé par la réduction du temps de travail. Un nouveau marché aussi
pour les restaurateurs... Avis aux amateurs.
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Dada 1920 |
Le Panier des Halles |
Class'Croute |
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Lenôtre |
NB : Il s'agit de chiffres relatifs à l'activité de la livraison sur le lieu de travail en 1999 et non de chiffres relatifs à l'activité totale des enseignes, exception faite de Class'Croute.
Selon Antoine Ferchaud de Dada 1920, la création d'une unité coûte 1 million de francs (laboratoire de production, flotte de mobylettes, équipement divers, poste de prise de commandes et salle de restauration sur place). Quatre personnes sont employées à plein temps dans chaque unité : un manager et trois personnes en laboratoire. Des employés polyvalents, embauchés en CDI à temps partiel, effectuent les livraisons. Les coûts d'exploitation sont répartis entre les coûts de matières et d'emballages (30 %), les coûts de personnel (30 %), et les coûts de structure comme le loyer (10 %).
"Le respect des délais de livraison et la ponctualité sont
incontournables", explique Antoine Ferchaud, directeur de Dada 1920.
Si les prix des sandwiches et des salades livrés à domicile ne varient pas vraiment d'une enseigne à l'autre, ces dernières peuvent faire la différence avec l'offre de plateaux-repas. Tout dépend de ce que l'on met dessus. Le service traiteur de Class'Croute propose neuf plateaux froids composés autour de trois thèmes : vitalité, exotisme et authenticité pour des prix compris entre 108 et 141 francs. Le plateau est composé d'une entrée, d'un plat et d'un dessert. Pour élaborer ses plateaux chauds, l'Affiche (Sogeres) a fait appel au chef étoilé Jean-Pierre Vigato (L'Apicius). Ils sont conçus autour de deux gammes (tradition et gastronomie) avec chacune cinq déclinaisons (de 150 à 185 francs). Flo Prestige a opté pour une gamme de 16 coffrets de 104 francs (guacamole et crevettes, poulet rôti et salade de pâtes, fromage, pain aux noix et dessert) à 198 francs (foie gras de canard et figues fraîches, homard et légumes de Provence, fromage, pain aux noix, fruits secs et dessert). Quant à Lenôtre, il propose par exemple son plateau, Le Gastronome, sur une gamme de 8 dont le prix de base est de 132 francs, avec une assiette baltique, des médaillons de homard aux petits violets, une salade terracotta, des petits chèvres aux raisins secs et un concerto pour 250 francs.
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L'HÔTELLERIE n° 2695 Magazine 07 Décembre 2000