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Oberkampf (Paris XIe)
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Vous avez dit "art district" ?

Alors que le début et la fin de la rue Oberkampf affichent des établissements classiques, entre café crème et bar-tabac, à l'angle de la rue Saint-Maur bat un poumon tout neuf, greffé sur les anciennes boutiques du quartier. Les bistrots s'appellent Café Charbon, Café Mercerie ou encore l'Estaminet. Pour eux, le bonheur est dans le style.

m Sylvie Soubes

Oberkampf part de la République pour rejoindre Ménilmontant. En remontant quatre à cinq ans en arrière, rien ne laissait présager du succès que rencontre aujourd'hui cette artère, à l'angle de la rue Saint-Maur. Quelques bistrots, flanqués de formica, cultivaient surtout le vague à l'âme des petits commerces déchus, rideaux fermés, et l'espoir à 10 sous des solderies et des fins de série.
Le coup d'envoi revient au Café Charbon. C'est Olivier Van De Putte (VDP) et Jean-Claude Sergues, des anciens de la rue de Lappe et de Bastille, qui l'ont donné en reprenant cet ancien bar-tabac, au passé bougnat depuis 1890. Quand vous entrez, aujourd'hui, le bois sombre, la hauteur sous plafond, l'esprit "Charbon" en jettent ! Mais ne vous y fiez pas. Seuls le comptoir et le sol sont d'époque. Les peintures délavées comme les fresques romantiques ont l'âge du rachat, quatre bougies en vue. C'est étonnant de constater comme le temps passe vite dans cette rue. Nombreux sont les fidèles qui vous répètent que l'établissement est là depuis une dizaine d'années. Ils ont tout faux. On leur pardonnera pourtant ce manquement aux rigueurs calendaires. Ce sont des bohèmes, des marginaux, des gens qui ne veulent pas se montrer mais qui vivent d'émotions indociles. Couleurs et pays sont mélangés. Leur point de repère s'arrête au lieu qui les accueille sans jugement ni critique et leur procure cet instant d'éternité dont ils ont tant besoin... Le début du succès pour le Café Charbon. Les prémices d'une aventure pour un quartier soudain gagné par l'ambition. Très vite, en effet, d'autres licences IV s'installent dans le sillage. Le monde attire le monde, dit le proverbe.

Cocktails et grosses salades
Le Café Charbon est un rendez-vous cosmopolite, branché. Toutes générations confondues. Si l'activité a démarré uniquement par la limonade, elle évolua en fonction de la demande vers des "salades-repas", des plats rapidement servis. Sébastien, l'actuel manager, constate "la rue n'est pas gastronomique, ce sont des bars qui servent quelque chose à manger. Au Charbon, nous freinons d'ailleurs un peu la restauration car nous n'avons pas dans l'immédiat la structure adéquate". Le matin, s'assoient davantage les littérateurs et les plumitifs, en salle comme au comptoir. Plus la journée avance, plus la population se diversifie avec une pointe plus jeune l'après-midi et le week-end en soirée. Si les grosses salades (épinards, dinde, club, etc.), le steak de thon ou le poulet tandoori, présentés sur des ardoises accrochées, séduisent à midi, les cocktails coulent à flots quand le soleil se couche. La mode (l'unique registre mode dans les boissons, dont la gamme se limite aux "basiques") est aux cocktails cubains et brésiliens. Caïpirinha, Mojito... (comptez 30 à 38 F). Quant à la musique, comme inévitable, celle-ci "s'adapte" à l'humeur ambiante.
Oui, le soir, le Café Charbon joue du coude-à-coude. Difficile de se frayer un chemin, de trouver un coin de libre au comptoir, malgré la grande taille de celui-ci. C'est aussi ce qui fait le charme de l'enseigne. Participe également en salle un service féminin. "Ce ne sont pas des professionnelles, mais des jeunes femmes qui ont des activités à côté : théâtre, chant, danse. Ce qui permet un service plus détendu, qui correspond d'ailleurs mieux à l'ambiance et à la clientèle." Sébastien compare volontiers le service du Café Charbon avec celui d'un "bar de plage". "Il faut que les gens soient heureux de travailler, qu'ils montrent une certaine bonne humeur."
Le Charbon bénéficie d'une terrasse sur la placette qu'il côtoie indirectement. Par beau temps, des tables sont sorties à gauche de l'établissement, en contrebas. Elles partagent l'espace avec le café Les Cimes, qui appartient aussi à Olivier Van de Putte. Une clientèle moins branchée fréquente l'endroit. Petits noirs et Coca se vendent bien, dans une déco moins recherchée, volontairement tout public. Juste en face se tient Chez Justine. Autre propriétaire (Le Dôme, à la Bastille), autre cadre, d'inspiration coloniale. A deux pas, sur le même trottoir, se tient le Café Mercerie, signé VDP (encore lui). Toiles contemporaines, atmosphère plus feutrée qu'au Charbon, la façade de l'ancienne Mercerie cache les tête-à-tête amoureux et les discussions enflammées.

Smaïn
Un peu plus haut dans la rue, faisant murs mitoyens avec une sorte de bar-restaurant portugais aux horaires d'ouverture variables (!), une petite maison individuelle, blanche et coquette avec ses fenêtres de bois, reçoit les potes et les admirateurs de Smaïn. Le comédien et Rémy Guilbert sont maîtres à bord. Rien à voir avec le restaurant méditerranéen qu'ils ont lancé place Sainte-Catherine. Même si le chef a longtemps travaillé dans les cuisines du restaurant Le Marché. Table d'hôte à l'étage, salle cosy et une autre au cadre "jardin" en rez-de-chaussée. Une clientèle assez sélecte fréquente l'adresse dont l'inauguration a eu lieu en novembre dernier. C'est vrai qu'il faut oser rentrer. Le spot qui projette le numéro 108 au pied de la porte, sur le sol, à l'extérieur, est un repère, non une invitation pour le quidam. En revanche, ceux qui osent passer le cap apprécient. L'intérieur, design et apaisant, se rapproche d'un intérieur privé dont le fil conducteur serait l'amitié et la bonne bouffe (on mange généralement fort bien au 108 Café !).

Ambitions gourmandes
N'en déplaise à Sébastien, l'Estaminet, sis 116 rue Oberkampf, s'est lui aussi donné des ambitions gourmandes. Depuis novembre 1997, ce bar-restaurant, dans la mouvance avec des murs patinés, beaucoup de bois et une ambiance vieux zinc concocté par les derniers artisans du quartier, séduit les affamés. A partir de 20 heures, fini le bar. Toutes les places assises sont réservées à la restauration. Filets de bœuf, blanquette de lotte, jarret de porc, andouillette au chablis, escalope de veau... La cuisine tient au corps. Même les salades, présentées dans des vastes récipients, calent les grosses faims. "L'accueil est important", souligne Franck Juyol, un Aveyronnais de 30 ans, détenteur d'un CAP et d'un BEP professionnels et directeur de l'Estaminet. "Au dîner, il y a toujours de l'attente alors j'offre un verre de vin et un peu de saucisson pour patienter. Ça plaît." Pas de nappage sur les tables. Heureusement, car les plateaux de bois peint valent le coup d'œil. "Mais nous changeons les serviettes qui sont en papier avec le dessert", souligne Franck. Le petit plus. Le café, quant à lui, est versé dans de petits verres de cuisine. Il n'y a pas de tables individuelles mais des tables pour quatre que l'on rapproche quand on est plus. "Chez nous, les gens sont habitués à partager leur table. Ce n'est pas courant en France mais le principe passe bien ici." Questionné sur le personnel en salle, Franck Juyol partage la tendance : "Nous préférons des jeunes non professionnels que nous formons sur le tas. Ce sont des personnes qui ont d'autres activités en parallèle. En ce moment, au service du déjeuner, nous avons deux comédiennes
et une chanteuse de pop. Bien sûr, la direction, le bar et la cuisine réclament des personnes issues du métier. Ce n'est pas pareil.
" Franck ajoute : "Même s'il faut que le service tourne, je préfère 110 couverts servis avec gentillesse que 160 servis sans chaleur." L'Estaminet est l'œuvre d'un certain Marcel Villaret, déjà propriétaire du Cithéa, à deux pas, le seul établissement ouvert jusqu'à 6 heures du matin dans la rue. L'accès est payant et donne droit à une boisson. Plusieurs concerts live sont organisés chaque semaine, avec pas mal de reggae et de jazz. Le Cithéa est une des plus anciennes adresses du quartier, bien avant la création du Charbon. Son propriétaire, toujours aidé de Franck, ouvre en ce moment une nouvelle enseigne dans la rue de Charonne (le prochain quartier à la mode ?).
En redescendant, côté numéros impairs, La Forge est la toute dernière création d'Alain Guillemin et de sa ravissante compagne irlandaise, Anna. La Forge est un bar de soir. La décoration, réalisée en grande partie par Philippe Pellant, vous emmène dans une autre époque. Parce que le fer forgé est omniprésent et que l'influence gothique de certains objets parlent au premier regard, d'aucuns évoquent le caractère médiéval de l'endroit. A vous de juger. Une certitude : La Forge dépayse et surprend. On est bien loin du disquaire poussiéreux qui siégeait à cette adresse l'an dernier.

De bric et de broc
Alain Guillemin est également à la tête du Mécano Bar. Autre rendez-vous incontournable d'Oberkampf, créé fin 1997, au 99 de la rue (le Café Charbon est au 109).
La charpente est celle d'un magasin d'outillage, fermé depuis 12 ans. "Nous avons voulu garder en partie l'identité des locaux", explique le patron. Tous les objets de la décoration ont aussi été achetés "un par un". Dans le fond, les fauteuils dorés recouverts de velours rouge proviennent de l'ancien cabaret Lili La Tigresse. Au-dessus du comptoir, les luminaires dorés gardent le souvenir du George V, version d'hier. Six mois de travaux et des dizaines d'heures passées à chiner donnent un résultat de bric et de broc, assez chargé, mais extrêmement convivial. Le soir, si vous êtes au bar, retournez-vous : un film est projeté sur un tableau. Le tableau, aux figures indistinctes et mouvantes, devient vivant. Curieux. Magique. Sensuel.
Détailler le Mécano Bar est un plaisir. D'après Alain Guillemin, y manger également. Produits frais, parts copieuses, sauces simples mais bonnes et un service gentil. "Le plus gentil de la rue", assure-t-il. Ce fut vérifié dans les jours qui suivirent l'entretien. Effectivement, ça vaut la peine de s'y attabler en écoutant, ce soir-là, un orchestre tzigane d'excellent niveau. Le service était souriant, attentionné et ceci malgré l'affluence. Tiens, au fait, quand on parle de la rue Oberkampf, les détracteurs mettent la sécurité sur le grill. Au Mécano Bar, malgré les rires et les chants, les verres remplis et une clientèle des plus éclectiques, pas question de faire un esclandre. Derrière le bar, l'encadrement porte un œil aguerri et vigilant. C'est ce qui s'appelle du professionnalisme.
Et le professionnalisme, c'est sans doute ce qui caractérise le mieux cette rue et explique une part de son succès. L'autre étant incontestablement la mosaïque des lieux, leur forte personnalité, leur pluralité. A mots couverts, l'on vous dira aussi que c'est parce que les enseignes en place ne tiennent pas à voir n'importe qui, n'importe quoi s'établir désormais (on ne compte pas loin d'une bonne quinzaine de bars dans la rue actuellement). Objectif : "Ne pas refaire les erreurs de Bastille". n


Des cafés installés dans de vieilles boutiques. Cohabitation et contraste surprenants sur à peine 300 mètres, l'activité nouvelle de la rue Oberkampf se tient en effet sur un périmètre restreint.


La rue Oberkampf c'est aussi beaucoup de musique.


La rue Oberkampf accueille une très large clientèle en fonction de l'heure, de la saison...


L'HÔTELLERIE n° 2620 Magazine 1er Juillet 1999

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