Après le succès de la manifestation du 11 octobre
L'Hôtellerie :
Vous avez fait venir, entre vos associations et les syndicats, près de 3 000
professionnels. Comment pouvez-vous émettre des réserves sur la réussite de cette
manifestation ?
Fernand Mischler :
En la matière, nous ne pouvons en effet qu'exprimer une réelle satisfaction : nos
collègues sont venus de la France entière pour exprimer leur inquiétude et nous avons
réussi à nous faire entendre. Bien sûr, on peut regretter les dérives qui ont amené
certains à bombarder les forces de l'ordre de farine et d'ufs mais après tout,
avec le recul, si ce sont justement ces écarts de comportement qui nous ont permis de
mettre les projecteurs sur nous, et bien tant mieux ! Nos réserves sont dues à
l'attitude de l'UMIH.
Antoine Westermann :
Nos associations (Maîtres cuisiniers de France, Jeunes restaurateurs de France,
Euro-Toques et la Chambre syndicale de la Haute cuisine française) étaient à l'origine
de cette manifestation. Nous voulions montrer un visage uni aux politiques et exprimer, en
descendant dans la rue, le degré d'inquiétude et de saturation auquel nous sommes
arrivés. En ce sens, je ne peux qu'exprimer ma satisfaction face à cette mobilisation
qui a été bien au-delà de ce que j'imaginais. Je suis persuadé que c'est une prise de
conscience importante des restaurateurs et si demain nous devons organiser une autre
manifestation, je suis sûr que nous serons le double de ce que nous avons été le 11
octobre. Au-delà de ce succès, nous ne pouvons que déplorer le non-respect de l'UMIH
dans les accords passés.
Bernard Fournier :
On voulait démontrer le ras-le-bol de toute une profession, de tous les artisans
restaurateurs, qui achètent des produits bruts, qui les transforment et qui de ce fait
ont des besoins et des contraintes spécifiques parce qu'ils ne se contentent pas de
réchauffer et d'assembler, et qu'ils ont dès lors des charges beaucoup plus lourdes que
les autres. Je crois qu'en la matière, on ne peut être que satisfait de cette
mobilisation. De très nombreux restaurateurs sont venus à notre appel, nous avons été
remarqués, notre action a été relatée dans le monde entier. Comment ne pas être
confortés dans nos convictions. Autant dire que je ne regrette absolument rien et surtout
pas de les avoir entraînés à montrer un peu d'animation. Je reste choqué par le peu de
considération de la FNIH.
Patrick Fulgraff :
Sur la forme, je ne regrette qu'une chose : les ufs et la farine, mais cette
attitude reflète à mon sens parfaitement l'état d'esprit des restaurateurs aujourd'hui.
Notre inquiétude est très importante et si autant de collègues étaient aussi nerveux,
c'est de toute évidence qu'ils considéraient ne plus rien avoir à perdre ! Nous n'avons
plus aucune marge de manuvre et l'attitude aveugle de nos dirigeants, qui nous
imposent de nouvelles charges sans vouloir nous entendre, nous mène droit à la faillite
pour certains d'entre nous. Tout le monde sera perdant : nous d'abord, nos collaborateurs
ensuite qui perdront travail et espoir et l'Etat au final qui veut mettre en place cette
loi pour justement améliorer la situation de l'emploi.
Amertume toutefois vis-à-vis de l'attitude de la FNIH sur la manière dont elle
considère nos actions et n'entend pas nos revendications.
L'H. :
Alors en quoi pouvez-vous être déçus et exprimer des réserves ?
F. M. :
Dans les messages qui sont passés lors de cette manifestation et dans les
interviews qui ont suivi. Nous avions un accord entre la Chambre syndicale de la Haute
cuisine française, Euto-Toques, les Jeunes restaurateurs de France, les Maîtres
cuisiniers de France et les syndicats que sont la Confédération, la FAGIHT, le SNRLH et
l'UMIH et cet accord n'a pas été respecté par André Daguin, ce que nous déplorons et
dénonçons. L'UMIH, de son propre chef, sans nous consulter sur le fond, a envoyé des
communiqués de presse en contradiction avec le message sur lequel nous étions tous
d'accord. Ce n'est pas pour une TVA à 14 % sur la restauration que nous sommes descendus
dans la rue. Adressé au gouvernement, notre message était : donnez-nous les moyens
d'appliquer la réduction du temps de travail. C'est une revendication beaucoup plus large
et globale. Nous sommes parfaitement conscients que nos métiers attireront de moins en
moins les jeunes si nous ne réorganisons pas les relations sociales au sein de nos
maisons et n'améliorons pas les conditions de travail et en particulier le temps de
travail. Mais ce que nous voulons faire comprendre au gouvernement, c'est qu'à l'heure
actuelle, étant donné les charges très nombreuses que nous supportons, nous n'avons pas
les moyens de réduire le temps de travail sans mettre immédiatement en péril nos
établissements. La loi Aubry, censée permettre à l'emploi de se développer, aura dans
le secteur de la restauration l'effet inverse. Ce que nous voulons, c'est une baisse des
charges. Alors bien sûr, des charges sociales allégées ou une baisse de la TVA sur la
restauration sont autant de cartes que peut utiliser le gouvernement pour nous permettre
de passer ce cap.
A. W. :
Depuis de début, André Daguin aborde l'action syndicale avec une démarche
marketing qui veut que l'on ne demande qu'une chose à la fois et que l'on parle toujours
de ça et uniquement de ça. Il a choisi le dossier de la TVA et n'aborde l'inquiétude de
nos métiers qu'à travers ce sujet, ce qui ne nous convient absolument pas.
P. F. :
Les rapports de nos associations avec les syndicats devraient être beaucoup plus
forts. Nous n'avons aucune écoute du côté de la FNIH. Ce qui est formidable c'est
d'arriver, comme nous le faisons avec les quatre associations, à travailler ensemble, à
avoir un front uni dans nos analyses, nos revendications. Personne au sein de ces
associations ne veut prendre la place des syndicats, à chacun son territoire, mais si
nous nous sentons écoutés, compris, entendus à la Confédération, on ne peut pas en
dire autant à la FNIH. Les présidents de syndicats doivent être à l'écoute de tous
leurs membres ; dans nos associations, un certain nombre sont membres de la FNIH où
malheureusement nous ne sommes pas entendus. Cette manifestation était une vraie
mobilisation, pas une promenade champêtre comme celle du Champ-de-Mars. Ce qui est
formidable, c'est justement l'unité qui existe entre les associations, nous sommes
solidaires, complémentaires. Quel dommage que nous ne puissions pas arriver à la même
unité avec l'ensemble des syndicats. Il est dangereux pour la profession que l'un d'entre
eux choisisse de travailler seul, comme s'il détenait seul la vérité. Nous, nous sommes
tous de vrais chefs d'entreprises avec des soucis quotidiens, des engagements financiers
dans nos maisons. Nous savons de quoi nous parlons, alors on aimerait bien être entendus
aussi de la FNIH.
L'H. :
Que reprochez-vous au message de l'UMIH ?
F. M. :
De proposer un taux de 14 %. Donner un chiffre, c'est le meilleur moyen de
s'entendre dire que l'Europe l'interdit. Nous souhaitons simplement demander le taux
minoré sur la nourriture. A l'Etat de trouver les solutions tant budgétaires
qu'européennes. Ensuite, nous refusons dans nos discours toute comparaison, tout
affrontement avec la restauration rapide. C'est à nous de nous remettre en cause pour
mieux répondre à l'attente de nos clients. Arrêtons de tirer sur les autres pensant
qu'en les affaiblissant nous nous renforcerons. C'est une grave erreur. Notre combat n'est
pas celui de la "mal bouffe" contre la "bonne bouffe", c'est un combat
économique. On ne peut pas donner plus que ce que l'on a. Pour nous, cette manifestation
n'était pas un baroud d'honneur comme le proclamaient certains organisateurs, c'était le
moyen de préparer l'avenir. C'est très différent. Dans de nombreuses entreprises, dans
deux mois et demi, nous devrons appliquer une loi que nous n'avons pas les moyens de
respecter. Voici notre inquiétude, voici notre message. Réduisez les charges, réduisez
la TVA, c'est le seul moyen de créer de l'emploi. Mais d'une manière unanime, nous
refusons ces propos démagogiques qui consistent à montrer les autres du doigt.
Occupons-nous de nous, défendons nos intérêts.
A. W. :
Bien sûr que nous voulons une baisse de la TVA sur la restauration mais nous ne
sommes absolument pas d'accord sur la démarche de la FNIH qui ne cesse de proposer un
taux moyen de 14 %. Pour nous, proposer un taux, c'est le meilleur moyen de se le voir
refuser ! Et après ce refus, qu'avons-nous d'autre que nos yeux pour pleurer ? Nous
voulons beaucoup plus : l'ouverture de négociations avec l'Etat pour la reconsidération
de la situation de nos entreprises. La TVA est un élément majeur à prendre en compte
mais pas le seul. Nous souhaitons aborder, en même temps, tous les problèmes :
fiscalisation, charges sociales, loi Aubry. Ce n'est pas une aide de l'Etat que nous
réclamons mais les moyens de respecter la loi Aubry. Nous sommes demandeurs de moyens
pour justement permettre à nos collaborateurs d'avoir de meilleures conditions de
travail. Aujourd'hui, on en a marre de les voir travailler comme ça sans avoir les moyens
d'agir ; c'est parce qu'ils sont passionnés qu'ils restent à nos côtés mais jusqu'à
quand ? Ils ne sont pas contre nous, ils sont parfaitement conscients de la situation mais
il faut que cela change ! C'est tout le problème de l'artisanat. Demain, ce que je
souhaite, c'est pouvoir justement descendre dans la rue avec mes collaborateurs.
B. F. :
Dans la mesure où au sein des associations nous avons mobilisé, amené des
dossiers complets, chiffrés, établi un rapport à la suite du forum organisé en juin
dernier, nous souhaitions, en tant qu'initiateurs de cette manifestation, que les
instances syndicales nous écoutent. Nous avions une conviction, des arguments concrets
mais la FNIH a préféré seule, sans nous y associer, envoyer des délégations
rencontrer les politiques. Nous avons beaucoup travaillé pour créer une réelle union de
nos métiers, et cette attitude va à l'encontre des intérêts de la profession. On ne
peut que la déplorer.
L'H. :
Comment envisagez-vous la suite de votre combat ?
F. M. :
Par une mobilisation active au sein de nos associations pour soutenir les syndicats
professionnels qui mènent un combat dans la concertation. Nous venons de donner mandat à
la Confédération pour qu'en notre nom, au nom des professionnels membres de nos
associations, elle mène à bien ce dossier devant les instances compétentes. C'est elle
qui semble la plus en phase avec nos revendications et nos priorités.
A. W. :
Certainement pas en opposant les uns aux autres. Je refuse le combat de la bonne
bouffe contre la mal bouffe et ne demande certainement pas à ce que ceux qui
bénéficient du taux réduit perdent cet avantage. Si McDo existe et connaît un tel
succès, même si ce n'est pas ma culture, je ne peux que m'incliner devant sa capacité
à répondre à un besoin de la clientèle que nous n'avions pas bien évalué. Nous avons
de toute évidence aussi des choses à apprendre d'eux. Nous n'avons pas de demande
formelle en matière de taux de TVA ; ce que nous voulons, c'est obtenir du gouvernement
qu'il nous permette, par tous les moyens qui sont en son pouvoir, de faire respecter la
loi Aubry. Dans nos revendications et la manière de les aborder, nous sommes en phase
avec la Confédération que nous mandatons, mais ça ne veut pas dire que nous rejetons la
FNIH. A elle de savoir nous écouter et adapter la forme de son combat syndical à
l'intérêt des entreprises. Ce qui est sûr, c'est que, unis plus que jamais au sein des
associations, nous continuerons à nous mobiliser et à nous faire entendre.
Les grandes toques de la restauration française venues clamer leur indignation.
La CDIH 42 en colèreSuite à la manifestation du 11 octobre, la Chambre départementale de l'industrie
hôtelière de la Loire "complètement retournée et indignée par
"l'accueil" reçu à Paris" a interpellé le préfet de son département à
travers une lettre ouverte. Extrait. |
Le PS dit nonLe lendemain de la manifestation des restaurateurs à Paris, Christian Pierret,
secrétaire d'Etat à l'Industrie, a indiqué qu'une baisse de la TVA en France
contreviendrait à la réglementation européenne. "Cette baisse est dans l'état
actuel du droit communautaire impossible", a-t-il déclaré lors de la séance de
questions à l'Assemblée nationale, soulignant que la priorité du gouvernement français
était de baisser le taux de TVA sur le... logement. "Il n'est pas envisagé pour
l'instant d'aller au-delà des priorités affichées en faveur de l'emploi et du
logement", a-t-il ajouté. |
La réponse d'André Daguin"Pour ma part, personne ne m'a appelé pour me dire qu'il était mécontent.
Maintenant, si on veut faire baisser la TVA, il faut savoir que si on avait envoyé en
délégation un chef connu et étoilé à 700 F le couvert, il se faisait tirer comme un
lapin. Et puis je ne réclame pas un taux à 14 %. Ce que nous réclamons, c'est
l'égalité fiscale. Je dis seulement que si tout le monde paie 14 %, ça ne coûte rien
à Bercy. C'est le professeur d'économie Lorenzi qui l'a démontré (...). ========================================= |
L'HÔTELLERIE n° 2636 21 Octobre 1999