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du 12 juin 2008
VIE PROFESSIONNELLE

ENTRETIEN CROISÉ

ANDRÉ DAGUIN ET JEAN-PIERRE BLANC : DU BON USAGE DU CAFÉ

Donner ses lettres de noblesse au café, notamment par l'intermédiaire du commerce équitable : un atout majeur pour la restauration et le bistrot. Constat partagé par André Daguin, président de l'Umih, et Jean-Pierre Blanc, directeur général des cafés Malongo.
Propos recueillis par Sylvie Soubes


À gauche, Jean-Pierre Blanc, directeur général des cafés Malongo, aux côtés d'André Daguin, président de l'Umih. La société niçoise a été pionnière en matière de commerce équitable. Ce torréfacteur compte plus de 360 collaborateurs et affiche un chiffre d'affaires de 76 millions d'euros (en 2006).

André Daguin : Comment vous êtes-vous lancé dans le commerce équitable ?
Jean-Pierre Blanc : Je suis un maniaque de la qualité. Je cherchais des produits haut de gamme, biologiques, et je suis tombé par hasard sur cette population de la Sierra Juarez, au Mexique, en 1992. Ils n'avaient rien, mais partageaient tout avec vous. Et il y avait ce curé hollandais, docteur en théologie et en économie, qui était un fou furieux. Il développait le label Max Havelaar. Il a commencé en réunissant les paysans, en leur disant qu'ils allaient faire un produit haut de gamme, qui pourrait être vendu plus cher. Le fait est qu'il a eu raison. Vous ne le savez sans doute pas, mais pendant les périodes de disette, nous, acheteurs de café commerce équitable, avons payé le double du prix du marché. Aujourd'hui, là-bas, 3 000 familles vivent du café.

A. D. : Bien sûr, ils ont compris l'importance de leur travail… Mais, maintenant, le danger n'est-il pas qu'ils deviennent un peu élitistes ?
J.-P. B. : Pas du tout. Les populations indiennes ont un respect extraordinaire pour la "terra madre", de la terre mère qui les nourrit. Ils ont des valeurs, et pour nous, ce sont des amis. D'ailleurs, quand on peut leur apporter autre chose, quand on peut les aider en montant des programmes avec eux, c'est extraordinaire. On va, par exemple, financer des maisons pour l'écotourisme… /font>

A. D. : Finalement, on dit que le café c'est cher. Mais ça ne l'est pas. Et puis, c'est cher que pour ceux qui en font peu.
J.-P. B. : C'est pour cela qu'on a développé des cartes de café dans les restaurants, parce que ça permet - tout comme pour le vin - d'avoir des goûts différents, d'expliquer au consommateur les produits et de moduler les marges brutes. Vous pouvez avoir un café à un prix, et un autre un peu plus cher. Et ça vous fait un mix. La restauration se bat contre la banalisation. Là, avec ces coopératives, on travaille sur des bourbons, des typicas…, de belles espèces qui font moins de produits mais qui offrent davantage de saveurs. C'est exactement comme le vin. Et comparable de la fermentation à la cueillette. La seule différence, c'est que cela ne se bonifie pas avec le temps lorsqu'il est en bout de process.

A. D. : Est-ce qu'on traite l'arbre pour qu'il produise moins ?
J.-P. B. : Généralement, les vieilles variétés produisent peu, et les nouvelles beaucoup. Produire beaucoup n'est jamais bon. Autre facteur essentiel dont dépend la qualité : la maturité de la cerise. Il faut savoir que les paysans passent sept fois sur le même arbre. C'est comme l'oranger, vous avez à la fois des fleurs, des cerises mûres et des cerises vertes sur le même rameau. Au Mexique, un homme va cueillir 60 kg maximum. Il ne prendra que les cerises arrivées à maturité. Au Brésil, avec un tracteur et deux personnes, on rentre 60 000 kg de cerises par jour… C'est une autre approche du café. Un caféier idéal est un arbre de 1,50 m à 2 m, qui va porter 5 à 6 kg de cerises, c'est-à-dire moins qu'un paquet de 250 g de café.

A. D. : On est donc à peu près au niveau du sauternes, où on est à une bouteille par cep. Le commerce équitable, c'est aussi un état d'esprit, qui peut aller jusqu'où ?

J.-P. B. : En Haïti, qui est un des pays les plus pauvres de la planète, on a installé, avec l'aide d'Alcatel, l'internet à haut débit dans une zone où il n'y a pas d'électricité. On a tout réalisé à l'énergie solaire. Ce qu'on voulait au début, c'est tracer le café du petit paysan qui amène son panier jusqu'à la tasse du consommateur. Ensuite, on s'est dit qu'on pouvait en faire profiter les écoles et on les a équipées. Cela permet notamment le télé-enseignement et le désenclavement des zones rurales. Il se passe là-bas ce qui s'est passé chez nous après-guerre. Si on ne fait rien pour les jeunes, ils quittent la campagne pour la ville. Malheureusement, ils s'agglutinent dans les bidonvilles et deviennent miséreux. À partir du moment où on crée du marché, on crée du développement. Quelque part, on est responsable du développement de nos propres fournisseurs.

A. D. : Le café est un prétexte à la civilisation…
J.-P. B. : Le café a été trop longtemps banalisé, et l'utilisation de produits de mauvaise qualité n'a pas arrangé les choses, alors que c'est un produit d'une grande richesse. Nous, ce que l'on cherche, c'est lui donner ses vraies lettres de noblesse. Si l'on en fait un produit noble, que ce soit pour le restaurateur ou le cafetier, cela devient un produit intéressant à travailler. On peut faire des compositions, on peut moduler les prix, on peut faire découvrir, on peut argumenter.

A. D. : Nos gars ont besoin de formation là dessus.
J.-P. B. : C'est essentiel. À l'institut Paul Bocuse, on vient d'ouvrir un lieu dédié à la formation au café. On dispense des cours pour les élèves mais aussi pour les restaurateurs, pour les étrangers, pour les particuliers. L'objectif est de faire comprendre le produit, de savoir le servir et le déguster. Ce que l'on souhaite, c'est transmettre la passion du produit.  

A. D. : On devrait essayer de mettre un truc d'aplomb, parce que le bistrot dérouille en ce moment et que vous, les cafés, avez sans doute des réponses à apporter.
J.-P. B. : On le fait à partir des cartes de cafés, mais aussi à partir des préparations. On réalise des produits tout à fait spéciaux à base de café dans lequel la valeur ajoutée est importante. Au lieu de vendre un produit à 0,80 centimes qu'on jette sur le comptoir, on peut proposer autre chose de bien servi avec un prix de vente situé entre 4 et 5 E.

A. D. : Il faut réfléchir à d'autres prestations. Le café, ça peut aussi se manger. Je l'ai fait quelque fois à Auch. J'ai assaisonné avec du café et ça donne des choses intéressantes.
J.-P. B. : Le café est un des produits les plus riches qui soit avec plus de 1 000 arômes différents… Quand on sait que dans le jus d'orange il y en a moins de 10.

A. D. : Le commerce équitable et le bio fonctionnent et prennent de l'ampleur, y compris chez nous.

J.-P. B. : C'est une demande qui va effectivement croissante. Les établissements demandeurs sont dans un esprit de modernité, avec une clientèle jeune, urbaine, qui a besoin de nature. Et c'est dans cette lignée qu'on va sortir un produit à la fois bio, équitable et décaféiné.

A. D. : Ce qui va permettre de boire un café à toute heure sans complexe. Comme on est passé du pinard au grand vin, on passe du jus au café. zzz74v

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L'Hôtellerie Restauration n° 3085 Hebdo 12 juin 2008 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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