du 8 novembre 2007 |
L'ÉVÉNEMENT |
LES 40 ANS D'ACCOR
L'AVENIR D'ACCOR EST SANS LIMITES
Le duo Dubrule et Pélisson a bâti - en quarante ans - l'un des leaders mondiaux de l'hôtellerie et des services. Les deux hommes - l'un Tourquennois, l'autre Lyonnais - ont aussi réussi à former un couple atypique, voire unique dans le milieu des affaires. La vie d'Accor n'a pourtant pas toujours été un long fleuve tranquille. L'envie d'entreprendre, le sens de l'innovation, le goût du risque et le souci des hommes et des femmes ont eu raison des difficultés. Actionnaires et administrateurs du groupe, les deux cofondateurs reviennent sur leur aventure. Une aventure qu'ils estiment avant tout humaine et qui a encore de beaux jours devant elle.
Propos recueillis par Claire Cosson
Paul Dubrule : "Aujourd'hui, je suis content, même un peu surpris de voir ce qu'Accor représente." | Gérard Pélisson : "J'ai su d'emblée qu'il fallait foncer pour gagner la partie." |
L'Hôtellerie Restauration : 4 000 hôtels dans 100 pays, numéro 1 des titres de services, 170 000 collaborateurs, un chiffre d'affaires de 7,607 milliards d'euros… Aviez-vous, l'un et l'autre, imaginé que votre 'association' puisse aboutir à un tel empire ?
Paul Dubrule : L'idée de développer une chaîne d'hôtels standard était bonne. D'autant qu'en 1963, c'était le désert en hôtellerie dans l'Hexagone. L'objectif était d'élaborer : un produit standard duplicable à l'infini, destiné à s'implanter à la périphérie des villes ou le long des autoroutes. Un motel à l'instar d'Holiday Inn, tout électrique, doté de chambres toutes identiques avec salle de bains intégrée, téléphone direct, télévision, chauffage réglable, parking, restaurant, piscine, salles de réunion… À l'issue de ma première rencontre avec Gérard en 1963, j'ai cru toutefois que celui-ci avait trouvé mon idée sans aucun intérêt. Notre association - longue de quarante ans - prouve que j'ai eu tort. Aujourd'hui, je suis content, même à la limite un peu surpris de voir ce qu'Accor représente. J'avais fait de grands rêves pour cette entreprise. La réalité dépasse mes espérances. Je suis persuadé cependant qu'Accor a les moyens d'aller encore plus loin.
Gérard Pélisson : Lorsqu'André Petit, patron d'une entreprise de papeterie (Papyrus), à laquelle je prodiguais des conseils, m'a présenté Paul Dubrule, son beau-frère, j'ai tout de suite trouvé que son projet était loin d'être idiot. Et puis, le jeune homme faisait sérieux, nous étions issus d'un même milieu familial, nous avions tous les deux une culture américaine… Très vite, j'ai vu l'intérêt de dupliquer le concept de Novotel. Avec le développement des routes et des moyens de transports, les gens allaient se déplacer davantage et donc avoir besoin d'hôtels fonctionnels. Directeur plans et contrôle chez IBM France, je pouvais apporter une crédibilité et un savoir financier au projet de Paul. J'ai su d'emblée qu'il fallait foncer pour gagner la partie. Ainsi, Accor a grandi rapidement. Aujourd'hui, l'avenir d'Accor est sans limites.
Pourtant, les débuts n'ont pas été
faciles ?
P. D. et G. P. :
Ils ont même été durs. On nous disait que construire un hôtel
dans un champ de betteraves, ça ne marcherait jamais ! De surcroît,
le champ en question était rempli de trous. Résultat : la construction
a été plus longue et plus coûteuse que prévue. Autre handicap
de taille : nous avions une mise de départ à peu près identique,
c'est-à-dire quasiment égale à zéro. Or, l'hôtellerie
est un gros mangeur de capitaux. Au final, quand nous avions un terrain, nous n'avions
plus l'argent et inversement. Sans compter que le concept Novotel ne répondait
pas aux normes du ministère du Tourisme !
Au bout de quatre ans et une
course effrénée à la recherche de fonds, nous avons réussi
à boucler le 1er hôtel Novotel à Lesquin (Lille),
financé par Monsieur Dubrule père. Puis nous sommes parvenus à
créer Novotel SIEH au capital de 1 100 000 francs (167 428 E). À l'ouverture
- le 23 août 1967 - nous avons accueilli le premier client… le seul.
Le lendemain, il n'y en a eu aucun. Le troisième jour, ils étaient deux.
Petit à petit, l'occupation a grimpé. Mais on gardait les yeux rivés
sur les comptes tous les jours.
Dix ans plus tard (1977), la société
comptait 146 établissements, 34 restaurants, en France et à l'étranger.
Parmi ces hôtels figurait notamment le Novotel Bagnolet (600 chambres) - inauguré
le 1er mai 1973 - dont le système de financement a constitué
une véritable innovation à l'époque puisqu'il a été réalisé
par la première société de leasing hôtelier, Sicotel. Le principe
visait à ne pas payer de loyer, mais des annuités qui correspondaient
au remboursement du capital emprunté et au paiement des intérêts.
Un principe dont nous avons su faire bon usage.
Tout électrique, confortable, à un prix modéré, Novotel a révolutionné l'hôtellerie française. |
Le 1er Novotel a ouvert en 1967 à Lesquin. |
Dès 1977, on recense 3 enseignes différentes parmi vos 146 hôtels ?
P. D. et G. P. :
C'est exact ! Au départ, on nous a déconseillé de miser sur les 2
étoiles. Nous étions pourtant certains qu'il fallait s'attaquer à
ce marché. D'autant plus vite que plusieurs de nos clients réclamaient
ce type de produit. Et
puis nous devions attirer des gens plus jeunes, aux moyens plus modestes. Avec Robert
Larrivé (directeur technique), nous avons conçu en 1974 une chambre
- Ibis en l'occurrence - qui devait afficher un prix 30 % moins cher que celle de
Novotel. Nous avons procédé de la même manière plus tard pour
lancer Formule 1 et Etap Hotel.
Pour parvenir à baisser le prix de la chambre,
les surfaces ont été réduites d'un tiers et l'organisation interne
de l'hôtel entièrement repensée. Le bidet dans les chambres a aussi
été supprimé. De quoi nous mettre à nouveau hors normes !
C'est Jacques Médecin qui donnera le feu vert à notre projet en proposant
la catégorie 2 étoiles NN. Le premier Ibis a ouvert à Bordeaux.
Aujourd'hui, la chaîne est la première en Europe et totalise quelque
750 hôtels dans le monde.
Au cours de cette même décennie,
nous avons racheté les restaurants Courtepaille. Histoire de s'essayer à
la restauration. Sans oublier la reprise de Mercure (3 étoiles non normées)
- monté par quelques dissidents - qui nous a permis d'offrir un choix plus
large d'hôtels à nos clients.
La suite de votre aventure, c'est la création
de Formule 1, d'Etap Hotel, de Suitehotel, l'acquisition de Motel 6, Red
Roof, Sofitel, celle de Jacques Borel International (Ticket Restaurant, Générale
de Restauration, L'Arche, What a Burger…), de la Compagnie des Wagons-Lits
(Pullman, Altéa…), de Lenôtre… Qu'est-ce qui vous faisait
courir ainsi ?
P. D. et G. P. :
Nous sommes des entrepreneurs,
ne l'oubliez pas. Nous voulions développer, innover, voir du pays. Nous avions
un esprit de conquête, le goût du risque, l'envie d'aller de l'avant.
L'argent ? Nous voulions évidemment
en
gagner, surtout au début. Après, ce n'était pas une fin en soi. En
fait, nous avions des idées et sentions qu'elles répondaient aux aspirations
des hommes d'affaires et autres touristes. Il suffisait de les adapter à
leurs moyens et qu'elles soient rentables. Et puis, nous nous devions de poursuivre
notre développement pour faire grandir nos collaborateurs. Les motiver, leur
donner envie de se dépasser. Accor, c'est surtout une aventure humaine !
Le
mariage de l'eau et du feu
Alors
que le divorce devient monnaie courante dans la vie civile, Paul Dubrule et Gérard
Pélisson fêtent cette année leurs noces d'émeraude. Du jamais
vu dans le monde des affaires ! Rien ne prédestinait ce Tourquennois et ce
Lyonnais à s'unir. Pour le meilleur, bien sûr. L'un était diplômé
d'HEC à l'université de Genève. L'autre, diplômé de
l'École Centrale. L'un pratique la bicyclette. L'autre, le golf. L'un est
réactif. L'autre reste calme. L'un jongle avec les chiffres. L'autre flaire
l'air du temps et imagine des concepts. "C'est le mariage de l'eau et du feu",
confie en souriant un ami intime des deux hommes. |
En quarante ans, le groupe Accor est effectivement
passé d'un collaborateur à 170 000. L'humain est-il vraiment
la clef de votre réussite ?
P. D. et G. P. :
C'est une donnée fondamentale ! Nous nous sommes très vite aperçus
que nous étions une entreprise de services. Nous avons d'entrée de jeu
tout misé sur l'humain en formant nos équipes afin qu'elles soient les
meilleures dans leur domaine. Au départ, une petite camionnette véhiculait
des formateurs, d'hôtel en hôtel, afin de dispenser des conseils aux
exploitants qui en avaient besoin. Ensuite, nous avons fondé l'académie
Accor qui s'est démultipliée à travers le monde pour totaliser
maintenant 14 sites.
Grâce à la formation,
nous avons découvert des choses formidables. Nos collaborateurs avaient soif
d'apprendre, de s'ouvrir aux autres. Et ils nous le rendaient bien. Les hommes et
les femmes qui ont partagé notre aventure nous ont toujours rendu au centuple
ce que nous leur avions donné. Ce n'est pas le cas des banquiers…
Jamais, les diplômes n'ont constitué
pour nous un critère de recrutement. On préfère les gens qui ne sont
pas handicapés par l'expérience. Ceux qui sont dynamiques, ceux en qui
on peut avoir confiance ! Sincèrement, Accor ne serait jamais devenu ce qu'il
est sans ses collaborateurs.
Une réussite telle que la vôtre est assez
rare. Au cours de toutes ces années, vous avez bien essuyé quelques
échecs ? Avez-vous des regrets ?
P. D. et G. P. :
Qui dit prendre des risques, dit essuyer des échecs ! C'est la règle du
jeu. Nous nous sommes plantés en restauration, en particulier dans la restauration
commerciale. Dinocroc, Chuck and Cheese, Freetime, Churrasco… rien n'a véritablement
marché. À l'exception de Courtepaille et aussi Pizza Del Arte. La restauration
n'était
pas notre 'core business'. C'est une activité assez éloignée de l'hôtellerie
où tous nos choix ont été industriels. Nous ne regrettons pas ces
essais.
En revanche, nous éprouvons un pincement
au coeur en évoquant Hilton International que nous avons raté à
50 millions de dollars près. Reste que si nous avions acheté Hilton, nous
n'aurions probablement pas fait Formule 1. L'autre regret, c'est la reprise manquée
de Méridien en 1994. Cela nous a fait perdre plus dix ans sur le créneau
du luxe. Et puis dans la foulée, un peu vexés, nous avons acheté
Motel 6. Probablement un peu trop cher !
"1 000 hôtels en Chine, nous les voyons comme si nous y étions !" |
Aujourd'hui, quel regard portez-vous sur la politique
menée par le groupe Accor ?
P. D. et G. P. :
La nouvelle équipe se débrouille
bien. Elle fait preuve d'une grande énergie et d'une grande aisance à
communiquer. Nous n'avons jamais très bien su le faire notamment auprès
de la communauté financière et des médias.
Au niveau stratégique,
la relance des marques est une excellente chose. Créer All Seasons, ressusciter
Pullman et repositionner Sofitel, également. Plus le volume de voyageurs augmente,
plus il devient indispensable d'affiner son offre. Une condition néanmoins
: le contenu de chaque enseigne doit être parfaitement défini.
Concernant la rénovation de Formule
1, elle est convaincante même si peut-être un peu élevée.
Accor ne doit pas
/font>abandonner
ce créneau. D'une part, pour barrer la route à la concurrence. D'autre
part, parce qu'il existe une demande réelle pour ce produit d'entrée de
gamme.
L'avenir du groupe Accor, vous le voyez comment
?
P. D. et G. P. :
Compte tenu de ce que nous avons
transmis à la nouvelle équipe, il s'annonce sous les meilleurs auspices…
Pour le moment, on ne voit pas de limites au développement d'Accor. Et ce,
tant dans les services que dans l'hôtellerie. Le potentiel de la Chine - par
exemple - est gigantesque. Il y a là-bas une demande forte pour le haut de
gamme, mais aussi pour de l'hôtellerie économique. 1 000 hôtels
en Chine, nous les voyons comme si nous y étions. Mieux vaut cependant rester
vigilant sur ce marché qui, s'il s'enrhume, peut faire de gros dégâts.
On peut aussi être optimiste
quant à l'expansion du groupe en Inde notamment. De belles perspectives existent
en Afrique, au Maghreb ou bien encore au Moyen-Orient. Même en Europe, le
groupe a encore des possibilités de croissance grâce à la segmentation
affinée de son portefeuille de marques. Sans compter que l'on peut aujourd'hui
encore non pas révolutionner, mais innover dans l'hôtellerie, surtout
économique. Nous avons quelques idées en tête mais on se les garde
pour le moment. En fait, Accor a tout l'avenir devant lui.
Et en France, vous voyez l'avenir en rose également
?
P. D. et G. P. :
Nous
ne sommes pas inquiets pour notre activité en France. L'Hexagone reste et demeurera
une destination touristique d'envergure internationale. En revanche, on peut se
faire du souci quant aux capacités de la France à exporter son savoir-faire.
Nous comptons beaucoup sur les réformes à venir. Il faut casser l'environnement
rigide dans lequel la France évolue depuis trop longtemps et donner la possibilité
à chacun d'entreprendre.
Quels conseils donneriez-vous aux
jeunes générations ?
P. D. et G. P. :
Difficile de répondre. Le monde a changé,
l'environnement concurrentiel également, tout comme les conditions économiques.
Il n'empêche que ce n'était pas plus facile d'entreprendre hier qu'aujourd'hui. Les jeunes doivent faire preuve de persévérance,
savoir s'entourer et grimper
les marches une à une. Rome ne s'est pas faite en un jour ! Il faut accepter
de se remettre en cause et ne pas hésiter à réinventer, à
sortir des normes. La réussite n'est pas dans l'instant présent, ni dans
les froides analyses. Elle vient de vous-même. Pour ceux que l'hôtellerie
intéresse : la règle du millième reste d'actualité, exception
faite du très haut de gamme. Ce qui marche mieux, c'est évidemment la
règle du 800e. On peut rêver !
*Historique non exhaustive zzz18p zzz36t
Souvent
hors normes Qu'il s'agisse de Novotel, d'Ibis ou bien encore de Formule 1, les coprésidents ont souvent été hors normes. Novotel proposait ainsi une salle de bains par chambre, mais le règlement imposait une salle de bains commune par étage. Anecdote similaire pour Ibis avec la fameuse histoire du bidet. Résultat : la norme 2 étoiles NN verra le jour pour imposer la chambre sans bidet. Enfin, avec Formule 1 dont les chambres ne disposent pas de salle de bains, un classement zéro étoile voit le jour. "Accor l'aventure du possible" L'art et la manière de battre le rappel des souvenirs à
propos de la naissance d'une entreprise. Joyeuse et délicieuse promenade où
chacun se souvient des moments forts de l'évolution du groupe, ce livre est
bien plus qu'un simple historique. C'est l'illustration à la lettre du dicton
: si tu n'as pas de passé, tu n'as pas d'avenir ! Lisez-le ! C'est instructif
et constructif à la fois. Ouvrage collectif "Accor l'aventure du possible" est publié par les éditions le cherche midi. parution prévue fin novembre dans toutes les bonnes librairies. prix : 29 euros. |
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L'Hôtellerie Restauration n° 3054 Hebdo 8 novembre 2007 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE