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du 31 mars 2005
HORIZONS LOINTAINS

Cambodge Avec une explosion de fréquentation touristique sans précédent dans ce pays, les écoles hôtelières Sala Baï et Dubrule oeuvrent pour former de jeunes cambodgiens aux métiers de l'hôtellerie et de la restauration. 8 h 15 du matin. Cuisine de l'école Sala Baï : Johannes Rivière, chef-pédagogue, s'active dans les 30 m2 de surface qui lui sont impartis pour assurer la mise en place du menu du midi. Parallèlement, le chef contrôle le service des derniers clients attablés devant un copieux petit-déjeuner, prêts à partir à l'assaut des temples d'Angkor.
PAR GAËLLE GIRARD ET BRUNO MARCHANDISE

Avec 500 000 touristes en 2004 

Sala Baï et Paul Dubrule, deux écoles à pied d'oeuvre


Le site d'Angkor Wat illuminé pour Les Nuits d'Angkor, spectacle de ballet français et khmer organisé par l'ambassade de France en l'honneur du roi du Cambodge.

Sans répit, le chef Johannes Rivière virevolte d'un gaspacho de potiron mijotant à une tarte citron meringuée sortant du four, seigneur d'un minuscule domaine où il enseigne les arcanes de la cuisine internationale à une équipe de jeunes Cambodgiens en apprentissage pour 1 an.
La journée de Johannes Rivière a commencé depuis 2 heures déjà et se trouve encore loin de son terme. Après un tour à l'aube au marché de Siem Reap pour repérer de nouveaux produits et serrer la main de quelques fournisseurs, le chef a suivi ses élèves dans leur gestion du rush matinal. Il continuera son enseignement toute la matinée pour courir ensuite au meeting de l'Association des chefs de Siem Reap, dont il est le cofondateur et l'un des principaux animateurs.
Comme les autres toques expatriées à Siem Reap, il a ressenti la nécessité de poser sur la table les enjeux de son métier et d'en débattre avec ses collègues : transmission d'un savoir gastronomique, formation d'un personnel local compétent et recherche sur place de produits de qualité. Car ce sont bien les questions fondamentales auxquelles doivent répondre les hôteliers-restaurateurs en poste depuis l'explosion du tourisme à Angkor.
Redécouvert par le grand public en 1996, le site d'Angkor et ses temples majestueux attirent chaque année un nombre toujours plus grand de visiteurs. La croissance est exponentielle : de 500 entrées vendues en 1996, le site a reçu plus de 500 000 touristes étrangers en 2004, pour tout autant de Cambodgiens. Et pense atteindre le million de visites internationales en 2006. C'est dire si les questions d'hébergement et de restauration se posent au sein de cette petite ville en mutation constante. Car depuis 2002, ce sont en moyenne 2 hôtels par mois qui ouvrent, sans compter le nombre inimaginable de guest-houses, bars et restaurants qui poussent comme des champignons après la pluie, menaçant de saturer un marché déjà fort bien pourvu. Sur le plan de la segmentation, on trouve de tout, du complexe 5 étoiles à l'échoppe de nouilles, en réponse à une demande multiforme. Car tout le monde vient visiter Angkor. Alors, il en faut pour toutes les bourses, tous les goûts… et toutes les nationalités. Dans le centre-ville se côtoient les établissements luxueux accueillant une clientèle européenne, japonaise et nord-américaine. Sur la route de l'aéroport, ce sont surtout des hôtels pour touristes chinois et coréens qui s'ouvrent sans cesse à perte de vue, palliant ainsi la demande croissante des tours asiatiques. Le tourisme de masse connaît son heure de gloire à Angkor pour le meilleur et pour le pire, à observer le ballet incessant des cars qui sillonnent les circuits de la cité khmère. Quitte à défigurer son merveilleux paysage.


Les chefs de Siem Reap se réunissent régulièrement. Ici, ils posent pour L'Hôtellerie Restauration devant la piscine du Meridien.

Il semble difficile d'ignorer les conséquences de cette explosion de fréquentation touristique sans précédent pour un pays autrefois sinistré, qui vient d'attraper en marche le train du développement et qui compte sur la manne touristique pour se sortir du marasme économique, de la pauvreté et des vieux démons du génocide. Le bilan s'avère plutôt mitigé. Car si l'arrivée massive de devises semble permettre de transformer la province de Siem Reap en bassin d'emplois tout en finançant le développement des infrastructures, elle génère également le cercle vicieux de l'inflation. Et pose les problèmes fondamentaux du développement durable, de la gestion de l'eau et des déchets. Sans parler de la corruption et du blanchiment d'argent, habitude devenue malheureusement endémique au sein du cercle du pouvoir cambodgien. Car la construction d'hôtels constitue un placement efficace pour certains barons locaux en mal de légalité financière, même si ces vastes complexes hôteliers flambant neufs demeurent le plus souvent inoccupés.
Pourtant, on continue de bâtir à toute allure à Siem Reap : le ministère du Tourisme khmer compte déjà 5 200 chambres sur la ville, mais prévoit d'en tripler le nombre d'ici à 2010. Et aménage petit à petit 1 000 hectares de terrain non arable à l'orée du site d'Angkor, vaste zone encore en friche où bientôt, peut-être, verront le jour un golf, un musée et plusieurs dizaines de resorts. Une concurrence à venir pour les établissements déjà présents qui ne voient pas toujours d'un bon oeil cette flambée hôtelière anarchique. Surtout lorsque les nouveaux venus viennent s'abreuver à la source des plus anciens, en débauchant à coup de dollars des employés qu'on a parfois mis des mois à former…
Se pose aussi le problème récurrent de l'embauche : comment répondre à la demande toujours plus forte de personnel hôtelier sensible aux exigeants critères de la population internationale en vacances ? Une seule réponse possible : l'éducation et la formation. Le choix qu'ont fait les 2 écoles hôtelières Sala Baï et Paul Dubrule.


Les hôtels ouvrent avec une fréquence de 2 par mois. Les ouvriers s'y activent parfois jour et nuit pour en terminer la construction en temps et en heure.


Expatrié belge au Cambodge depuis plusieurs années, Serge Réga a ouvert une boucherie-charcuterie à Siem Reap, qui approvisionne les hôtels et restaurants de la ville.

Sala Baï : quand une ONG se mêle de gastronomie
Structure familiale, ambiance joyeuse mais sérieuse : voilà décrite en quelques mots cette sympathique école hôtelière qui a ouvert ses portes il y a 2 ans sous l'impulsion d'Agir pour le Cambodge, ONG très active dans la province de Siem Reap. La directrice de l'association, Sophie Capart, raconte la naissance du projet : "À l'origine, on développait des structures agricoles au nord de la région, dans des zones très défavorisées. Avec l'arrivée massive de touristes sur Angkor, on a compris le besoin de former des jeunes aux métiers de l'hôtellerie, avec la double nécessité de leur donner des compétences en plus d'une langue pour communiquer avec la clientèle. En 2002, après 3 ans de préparation, on s'est lancé : on a trouvé les locaux - malheureusement trop exigus -, puis on a effectué une demande de cofinancement auprès du ministère des Affaires étrangères. Ensuite, la Fondation d'Auteuil s'est jointe à nous. Aujourd'hui, on finance ce projet de 550 000 E l'année à 30 % sur fonds propres. Une proportion exceptionnelle pour une structure de cette taille. D'autant que les formations proposées sont entièrement gratuites, ce qui réduit considérablement les ressources propres de l'école."


Le chef Gaël Lardière de l'Hotel Victoria, en meeting quotidien avec le personnel de ses 3 cuisines. À l'ordre du jour : hygiène, rangement et connaissance de la carte.

Tous issus de milieux extrêmement pauvres, les jeunes participant à ce projet viennent généralement de campagnes éloignées et sont pour la plupart logés aux frais de l'école sur Siem Reap, dans une maison d'étudiants. 70 % sont des filles, un critère de sélection important pour Sala Baï : "Il faut donner une chance à ces jeunes femmes qui, sinon, n'auraient pas d'opportunités professionnelles, confie Sandrine Martel, la directrice de l'école. En les formant, en leur offrant la possibilité de trouver un emploi, on leur permet de subvenir aux besoins de leur famille, toujours nombreuse et démunie. Elles acquièrent ainsi une reconnaissance sociale, ce qui est vraiment valorisant, Sur 2 000 candidatures, on reçoit 100 élèves qui suivent une formation annuelle dont le taux de placement atteint 100 % à la fin de la scolarité. Tous nos étudiants des promotions précédentes ont trouvé un emploi et l'ont gardé, ce qui est une réussite." En effet, les apprentis de Sala Baï sont souvent courtisés par les grands hôtels de Siem Reap qui participent au projet en prenant les élèves en stage pendant l'année scolaire et qui finissent par les embaucher après coup.
Au restaurant d'application de l'école, on s'active tous les midis pour servir avec professionnalisme les clients venus goûter les trouvailles de l'équipe en cuisine. Au menu du jour : assortiment de poissons fumés, Amok (un délicieux curry khmer servi dans une feuille de bananier), feuilleté aux pommes et sa glace au thé vert. Pour la modique somme de 5 dollars, un rapport qualité-prix imbattable à Siem Reap.
Lorsqu'on lui demande qui recommande Sala Baï, Sandrine Martel répond sans détour : "Les clients ayant le Guide du Routard reviennent, séduits par la formule ; ceux qui ont le Petit Futé évitent les lieux." Et pour cause lorsqu'on lit la critique qui a été faite de cette école pourtant exemplaire. C'est que la dernière édition du guide s'est donné comme premier critère de sélection, au chapitre des hôtels-restaurants…, la francophonie. Pourtant, l'objectif principal d'un employé est de maîtriser d'abord son métier, puis l'anglais à l'aide d'une formation longue d'une année, laps de temps à peine suffisant pour acquérir les bases d'une activité hôtelière. Alors que dire de cette exigence de francophonie dans un pays où le niveau scolaire est l'un des plus faibles au monde ?


Ci-dessus et ci-dessous : Dans les cuisines de Sala Baï, Johannes Rivière et ses élèves.


L'autre chef enseignant cambodgien fignole l'assiette d'un client sous les yeux d'une apprentie.

Paul Dubrule : "Objectif n° 1, être une référence en matière de formation hôtelière"
Il faut rouler plusieurs kilomètres sur la RN6 avant de découvrir les grands bâtiments qui abritent l'école Paul Dubrule, située en dehors de Siem Reap. Entièrement financée par son célèbre fondateur et quelques donateurs extérieurs, l'école peut se targuer de posséder d'impressionnants locaux : vastes cuisines, multiples salles de classe, confortable restaurant d'application en terrasse ; le cadre se veut accueillant et professionnel. Au sein de l'équipe enseignante, des bénévoles de l'Association française des volontaires du progrès forment aux métiers de l'hôtellerie une centaine de jeunes gens, garçons pour la plupart. Car la formation est payante : 500 dollars l'année, une très grosse somme au Cambodge, où un fonctionnaire de police gagne 20 dollars par mois. Alors, les familles qui peuvent scolariser leur progéniture dans cette école préfèrent y placer leur(s) garçon(s). "Nous ne voulons pas la gratuité : les parents savent que leurs enfants trouveront un emploi en sortant de notre école. De plus, il faut savoir qu'un élève nous coûte 4 000 dollars, explique Darith Nhieim, directeur adjoint. À l'heure actuelle, nous recherchons la reconnaissance de notre diplôme par le ministère de l'Éducation, de façon à pérenniser le projet initié par Paul Dubrule. Nous ne sommes pas une académie du groupe Accor, mais nous utilisons son réseau pour envoyer professeurs et élèves en stage en Europe."
Si les démarches des 2 écoles sont distinctes, elles aboutissent néanmoins à des résultats similaires. De tous les chefs ayant embauché ces élèves cambodgiens, aucun n'a émis la moindre réserve quant à la qualité de l'enseignement. "Les jeunes y apprennent les bases, et l'on continue après coup de les former sur le tas. Si l'anglais est le fort des étudiants de l'école Dubrule, les jeunes venant de Sala Baï ont une motivation exemplaire : ils veulent vraiment apprendre", témoigne Gaël Lardière, executive chef à l'Hotel Victoria. Cet établissement recrute chaque année pratiquement tout le staff des 3 restaurants qu'il gère auprès de ces 2 écoles. Et milite au sein de l'Association des chefs de Siem Reap pour limiter le turnover trop important que subissent tous ses collègues. "Le besoin de personnel qualifié est tel que ces 2 écoles ne suffisent pas à répondre à notre demande. Dès qu'un nouvel hôtel s'ouvre, il vient débaucher au Victoria, au Pansea, au Grand Hôtel ou ailleurs. C'est l'un des objectifs de notre association : établir une charte de qualité des produits, permettre le rayonnement de la gastronomie au sein de nos cuisines, et surtout faire comprendre au personnel la nécessité d'obtenir un contrat, de poser un préavis et de se syndiquer. Souvent, les jeunes fraîchement embauchés cèdent à la pression financière : ils préfèrent quitter un établissement pour un autre les payant quelques dollars de plus ou leur proposant un poste plus prestigieux, alors qu'ils n'ont pas encore l'expérience suffisante pour l'occuper ; de plus, ils abandonnent ainsi leurs droits à une assistance médicale et à la sécurité de l'emploi. Ils ne comprennent pas qu'ils vont travailler davantage et plus dur ailleurs, pour moins de bénéfices au final. On essaye donc, au sein de cette association, de faire passer le message… Et d'éviter de se piquer du staff les uns aux autres !"
Au meeting mensuel de l'association se réunissent une trentaine de chefs et de fournisseurs. La tendance est à la recherche de nouveaux produits mais surtout d'aliments locaux de qualité. On y goûte les créations du chef qui invite, cette fois-ci, Georges Ringeisen du Meridien - ouvert depuis septembre 2004 -, on y discute des difficultés à s'approvisionner en temps et en heure pour les fêtes de fin d'année.
Doucement, les initiatives locales apparaissent. Serge Réga - un Belge expatrié depuis quelques années - a ouvert une boucherie-charcuterie sur place. Et fournit le tout-Siem Reap en boudins, côtes de boeuf et jambons fumés, à la mode Landerace-du-Roc, avec des porcs élevés et traités au Cambodge. Une première qui devrait bientôt ouvrir la voie à d'autres initiatives. < zzz70 zzz68v zzz36v zzz22v


Dans les cuisines de l'école Paul Dubrule. Un chef français retraité, en visite intérimaire, participe à l'enseignement de la cuisine.


Une stagiaire de Sala Baï (formation house keeping-personnel d'étage) au travail à l'Hotel Victoria.

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L'Hôtellerie Restauration n° 2918 Magazine 31 mars 2005 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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