Sur le versant non touristique de la butte, A. Beauvilliers est une adresse qui dure. Un lieu de rendez-vous baroque cultivé par Edouard Carlier, officier de l'art du recevoir et de la fête.
Lydie Anastassion
De la dizaine d'étoilés au
guide Michelin qui se partageaient le XVIIIe arrondissement il y a seulement 8 ans, il
n'en reste hélas plus qu'un : A. Beauvilliers. Avec son macaron obtenu en 1976, il
rayonne sur les 3 arrondissements du nord-est (XVIIIe, XIXe, XXe). La force d'Edouard
Carlier, le maître de céans, c'est de perdurer depuis 26 ans hors du périmètre d'or
des "grands" restaurants. Chez lui, la cuisine et le décor baroque constituent
deux ingrédients indissociables d'une combinaison étrange aux effluves indéfinissables.
"Ça sent la fête", se dit-on en entrant en milieu de matinée. Dehors,
le soleil d'un mois d'août et le calme de la rue Lamarck ne font qu'accentuer cette
impression de plongée dans un univers de réjouissance endormie à ce moment de la
journée et protégé par une barrière de verdure.
Les couleurs, le brillant de la laque bleue des plafonds, les dorures autour des miroirs
doivent y être pour quelque chose. Au bar, les verres scintillent sous le soleil. "Ce
restaurant ne ressemble à aucun autre. Je l'ai créé de toutes pièces",
explique Edouard Carlier. Né en 1938 dans une famille de chefs de cuisine du Nord de la
France, il acquiert, en 1974, la petite boulangerie vétuste La Muse des Arts, située au
52 de la rue Lamarck dans un immeuble de 1889. Aussitôt, les travaux commencent. Ils
dureront six mois. "J'ai tout refait. Les appartements du fond ont été
transformés en salles à manger. Et puis nous avons créé la terrasse sur pilotis."
Un quart de siècle plus tard, elle semble avoir toujours existé, planté sur l'une des
pentes de la butte, juste à côté d'un escalier public.
Il fallut aussi trouver un nom. "J'ai écrit sur une page 25 noms différents,
dont certains avec des consonances montmartroises. J'ai trouvé l'enseigne A. Beauvilliers
'Officier de Bouche' en relisant les Méditations gastronomiques de Brillat-Savarin
dans lesquelles l'auteur en faisait l'éloge. J'avais l'ambition de faire un grand
restaurant alors que je n'avais encore aucun client. Comme il fallait que le nom soit
prononçable par des étrangers, nous l'avons écrit sur des cartons et nous nous sommes
postés à l'aéroport, aux arrivées des touristes. Nous leur avons demandé de lire le
nom à haute voix. Le test s'est avéré concluant et j'ai donc déposé le nom de
l'enseigne à l'Institut national de la propriété industrielle", raconte
Edouard Carlier. Pari gagné : le Beauvilliers est devenu un haut lieu de la fête à
Paris, apprécié des hommes politiques et vedettes du showbiz du monde entier.
Esprit Second Empire
D'Antoine Beauvilliers, le restaurant n'a pas que le nom. Il prolonge une façon d'être
héritée de l'officier de bouche et cuisinier du comte de Provence, futur Louis XVIII, et
du dernier maître queux de la reine Marie-Antoinette (lire encadré). "Les plats
sont inspirés par les recettes de Beauvilliers. Ils sont allégés", précise
Edouard Carlier. Ouvrons la carte. "Petits apprêts, hors-d'uvre, éperons
ou entrée de bouche", peut-on lire, en ancien français, en sous-titre des
entrées froides et chaudes. Au-dessus des "plats retrouvés" et
"mitonnés", figurent les "créations culinaires de la maison" : la
Rognonnade de veau, la Timbale de macaronis au ris de veau, les Escalopines de foie gras
poêlées à la périgourdine.
Deuxième élément de la combinaison : le décor. Au Beauvilliers, il faut aller au moins
trois fois - voire une quatrième aux beaux jours pour profiter de la terrasse. La
première fois, essayez le salon des Moulins et découvrez le Mont-Martre (en deux mots
pour l'occasion) d'autrefois. Des dessins originaux de Violette, des gravures de Denis
Raffet, des sanguines, un original de Bernard Buffet célèbrent les 10 moulins de la
butte du Second Empire ainsi que le dernier couple de meuniers, les époux Debray. A la
seconde visite, passez à la salle des portraits. Les mines réjouies des enfants
gourmands partagent les murs avec celles des premiers ambassadeurs de France auprès du
tsar, immortalisés par Raffet. Dédié à Johnny Stark, "dernier grand seigneur
de la table", le salon des couronnes de mariées, où l'impresario donna
d'ailleurs plus de 500 dîners, est à réserver pour une occasion romantique. Figés sous
leurs cloches de verre, plus de 40 bouquets, glanés chez les antiquaires et brocanteurs,
tapissent les murs. Un symbole apprécié du couple Chirac qui a fêté, dans ce salon,
ses 40 ans de mariage.
Festivals gastronomiques
Au-delà de la butte et de Paris, Edouard Carlier exporte sa gastronomie à l'étranger,
dans le cadre d'un contrat avec une importante chaîne hôtelière, en Inde, en Chine, en
Turquie, des pays éloignés des pratiques culinaires occidentales. Ce sont les festivals
gastronomiques Beauvilliers. Ainsi, à Beijing, en 1995, plus de mille Chinois ont
découvert la cuisine parisienne à l'hôtel Jianguo. "A chaque fois que nous nous
déplaçons, nous rencontrons un immense succès", commente Edouard Carlier dont
le dernier voyage remonte au mois de janvier, au Bosphorus en Inde. Il poursuit : "Si
le nombre de grands chefs français qui ont défendu les couleurs de la table de notre
pays est important, tant aux Etats-Unis qu'au Japon, c'est que, grâce au pouvoir d'achat
de ces géants économiques, les retombées commerciales sont importantes pour la France.
En revanche, l'entreprise est plus hasardeuse dans des pays éloignés où la cuisine
française est totalement inconnue." *
Beauvilliers
52, rue Lamarck
75018 Paris
Tél. : 01 42 54 54 42
Durant 9 ans, Edouard Carlier a collaboré à la réalisation de la rubrique
"La Table d'Edouard" de l'émission quotidienne Matin Bonheur.
A. Beauvilliers, le précurseurEn 1793, Antoine Beauvilliers (1754 - 1817) commence une seconde vie professionnelle.
Revenu d'Angleterre, l'ancien officier de bouche du comte de Provence ouvre son restaurant
La Taverne de Londres, rue de Richelieu à Paris. Selon Edouard Carlier, on lui doit
l'origine du mot restaurant. Dans son établissement, les clients sont installés à des
tables séparées et non plus à des tables d'hôte comme cela se faisait chez les
traiteurs-rôtisseurs de l'Ancien Régime. |
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L'HÔTELLERIE n° 2683 Magazine 14 Septembre 2000