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Recrutement
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Le personnel en hôtellerie-restauration

Entre dimension humaine et économique

Depuis plusieurs mois maintenant, la tendance se confirme. L'hôtellerie, et en particulier la restauration, sont des secteurs qui rencontrent des difficultés croissantes pour recruter et fidéliser leur personnel. Le phénomène est tel que certains groupes de restauration disent devoir ralentir leur développement, faute de personnel compétent. Analyse d'une situation explosive.

Par Patricia Alexandre Le Naour

Qu'ils soient indépendants ou qu'ils représentent des groupes de restauration à succursales multiples, tous les professionnels de la restauration font le même constat, tous cherchent des solutions. Le problème de recrutement est à leurs yeux d'autant plus inquiétant que certains sont dès maintenant concernés par l'application de la loi Aubry et, même si de 43 heures, ils ne passeront qu'à 39 heures, ils n'en ont pas moins à opérer certaines réorganisations, qui impliqueront des recrutements dans les mois qui viennent. Les établissements de moins de 20 salariés seront confrontés au même problème d'ici près d'un an. Auront-ils, d'ici là, trouvé les solutions aux problèmes de recrutement ? Rien n'est moins sûr. Comment analyse-t-on la situation du côté patronat ? Pas tout à fait comme on l'explique du côté des salariés bien sûr... La vérité, si elle ne se situe pas forcément entre les deux, réside dans le fait que ce secteur, en cherchant à préserver ses valeurs traditionnelles, s'est trop longtemps interdit les remises en cause collectives de son organisation et n'a pas su tenir compte de l'évolution des mentalités, du rapport de l'homme avec le travail, avec la famille, avec l'entreprise. Nombreux sont les professionnels qui, encore aujourd'hui, trouvent les explications de cette pénurie dans l'allongement de l'âge de la scolarité, dans la modification des modalités de l'apprentissage, dans le laxisme des parents, des enseignants... Explications certainement trop simples pour être exactes. La société a changé, les mentalités ont évolué et l'attente des salariés envers l'entreprise n'est plus la même qu'hier. Certains peuvent bien sûr le déplorer, mais ne pourront rien y faire. Or, c'est en faisant avec son époque, avec les gens que l'on a en face de soi, que l'on peut avancer et non pas en regardant avec nostalgie ce qu'était hier. Aussi, est-il urgent que cette profession, employeurs comme salariés, accepte l'idée d'une remise en cause de son mode de fonctionnement pour mieux assurer la pérennité du secteur.

L'infidélité a un coût
De toute évidence, les problèmes de formation ne sont pas à mettre en avant pour expliquer cette pénurie de personnel. En effet, plus de 300 établissements en France, sous la seule responsabilité du ministère de l'Education nationale, forment des élèves aux métiers de l'hôtellerie-restauration, sans compter ceux qui, gérés par les chambres de commerce ou par des organismes privés, offrent aussi certaines possibilités dans ce domaine. Autant dire qu'aujourd'hui, en France, du niveau CAP à la maîtrise, les formations sont nombreuses et parfaitement bien réparties sur le territoire national. Peu de pays, pour ne pas dire aucun, peuvent se vanter d'avoir une telle répartition et une telle qualité au niveau de la formation dans le secteur. Pourtant, les jeunes le quittent vite pour faire carrière dans des métiers souvent très proches de l'hôtellerie-restauration. Quant à ceux qui restent, après avoir accepté de rester en place plusieurs années de suite, crise économique oblige, ils veulent aujourd'hui bénéficier eux aussi des fruits de la reprise et ne tiennent plus en place. Ils n'hésitent pas à démissionner, sans toujours respecter les périodes conventionnelles de préavis, ne se présentent pas toujours aux entretiens d'embauche, imposent leurs conditions, demandent des horaires continus, des jours de congés consécutifs, et le paiement des heures supplémentaires. Autant d'exigences auxquelles n'avaient jamais été confrontés les employeurs du secteur. Les saisonniers qui imposent à leurs salariés des conditions de travail plus lourdes, qui doivent loger le personnel, rencontrent eux aussi des difficultés de plus en plus fortes à chaque saison, le personnel compétent devenant exigeant en matière de conditions de vie, de conditions de travail. Refuser de se plier à ces exigences est souvent synonyme, pour l'employeur, de désorganisation de son entreprise, de mauvaise qualité de service aux clients et, finalement, d'un alourdissement important des charges.

Oublier le passé
La forme même des entreprises du secteur a marqué d'une manière très forte les rapports qui existent, aujourd'hui encore, au sein des entreprises entre salariés et employeurs. Les hôtels, comme les cafés et les restaurants, aussi grands et prestigieux qu'ils soient, étaient toujours des affaires familiales. On y entrait pour un premier emploi dès l'adolescence afin d'y apprendre un métier et, très souvent, on y faisait carrière. Les parents confiaient ainsi à une autre famille, celle de l'employeur, la mission éducative qu'ils n'avaient pas pu achever. Les salariés étaient très souvent logés sur place (plutôt mal, voire très mal...), de jours de congés on ne parlait pas vraiment, mais l'ambiance était familiale. Plusieurs générations travaillaient ensemble. De la famille du propriétaire, nombreux étaient les membres à venir aider un peu, à consoler, à conseiller quelquefois les plus jeunes, les plus fragiles. Tout le monde mangeait à la même table et personne ne cherchait à avoir une vie personnelle, au-delà de ce qui était vécu dans l'entreprise où d'ailleurs, très souvent, on trouvait l'époux ou l'épouse. Histoires de famille et histoire de travail étaient intimement mêlées et les libertés de langages, les rapports quelquefois durs, autoritaires, étaient, par nature, beaucoup plus facilement tolérés. Mélanges permanents d'admiration, de crainte, de respect... On souffrait, mais en silence, on tenait bon et on était fier d'avoir eu la force de résister... Autant dire que très vite, on allait reproduire les modèles avec les plus jeunes, les manier avec dureté pour qu'ils comprennent combien il était difficile d'avoir sa place dans ce métier... et combien ceux qui l'avaient étaient respectables... Et de perpétuer, de génération en génération, ces valeurs, ces modes de fonctionnement. Pouvait-on d'ailleurs faire autrement ? Il y avait bien sûr, comme aujourd'hui, de bonnes maisons, et des moins bonnes... Tout reposait sur la qualité de la famille propriétaire qui savait donner le ton sur le type de rapports qui existait au sein des équipes. Tout cela est du passé et il faut, sans nostalgie, savoir tourner la page avec tout ce que cela implique. Les hôtels, cafés et restaurants, même si nombreux sont ceux qui sont encore des affaires de famille, sont avant tout des entreprises avec des objectifs économiques contrôlés par le marché et la réglementation. Il va sans dire que les choses ne peuvent plus s'y faire sans référence : le temps de travail, mais aussi les rémunérations, les modes de fabrication, la tarification, sont aujourd'hui réglementés. Plus question donc de garder 12 heures de suite un salarié, même si, en contrepartie, on lui apprend des choses extraordinaires, plus question de le faire dormir en sous-sol avec deux ou trois autres, sans confort sanitaire de qualité. Ce qui paraissait acceptable hier ne l'est plus aujourd'hui, les temps ont changé, un point c'est tout. Bien sûr, en contrepartie, l'ambiance chaleureuse, familiale que l'on a connue dans certaines bonnes maisons hier ne se retrouvera presque plus, mais c'est aujourd'hui la règle et les salariés entendent la voir respectée. Le secteur a résisté longtemps à cette évolution persuadé que, dans ces métiers, il était impossible de compter son temps... N'a-t-il pas fallu 17 années de négociations pour que, quelques mois avant le vote de la loi sur les 35 heures, la profession se dote d'une convention collective déterminant le temps de travail à... 43 heures ? Et de marquer encore un peu plus l'écart entre les salariés de l'hôtellerie-restauration et les autres...

Se battre seul pour évoluer
Nombreux sont les chefs d'entreprise à être conscients de cette évolution et à en tenir compte au quotidien dans leur manière de travailler et d'organiser leurs maisons. Ils se sentent souvent seuls et peu accompagnés des autres professionnels, des associations professionnelles auxquelles ils cotisent. On les trouve un peu trop révolutionnaires, déstabilisants, certains sont traités gentiment de "gauchistes"... Aussi, est-ce le plus souvent seul, en cherchant dans d'autres secteurs que les CHR d'autres chefs d'entreprise qui se remettent en cause, qu'ils réussissent à évoluer. Mais c'est aujourd'hui enclenché, les mentalités évoluent même s'il y a encore beaucoup de chemin à faire chez ceux qui rencontrent le plus de difficultés à recruter mais surtout à fidéliser leur personnel. Qu'est qu'un salarié ? Quelles sont les méthodes pour gérer le personnel ? Quelle attitude adopter face aux comportements de la main-d'œuvre jeune ? Une réflexion qui s'impose.

Le blocage des chefs de service
Côté employeur, une prise de conscience se fait plus ou moins rapidement, on le constate dans les témoignages des restaurateurs. Parfaitement conscients de l'importance de la prise en compte de la dimension humaine de l'entreprise, de plus en plus de responsables devancent actuellement l'application de la loi Aubry, en l'absence de tout accord de branche dans le secteur. La tâche n'est pourtant pas facile, il faut aussi savoir imposer un autre mode de communication au sein des entreprises. Jean-André Charial, le propriétaire de l'Oustau de Baumanière aux Baux-de-Provence, Relais & Châteaux, 170 salariés, a signé depuis plus d'un an maintenant un accord de réduction du temps de travail au sein de son entreprise. Lui aussi s'est senti très seul ces dernières années quand, justement, il cherchait à voir comment faire évoluer les conditions de travail au cœur de l'entreprise dans le cadre de la législation. Lui aussi a décidé de prendre le problème d'une manière pragmatique, avec le soutien logistique de la chaîne Relais & Châteaux pour la mise au point d'un accord. Une année après, outre la présence régulière de l'Inspection du travail qui tient à contrôler l'application de l'accord, c'est avec les "anciens", les chefs de service qu'il rencontre le plus de difficultés. C'est à eux qu'il doit faire comprendre qu'ils doivent organiser leurs équipes pour permettre justement le respect des horaires, qu'il n'est pas normal d'être fataliste et de se contenter d'estimer que "dans cette profession, on ne peut pas faire autrement"... Une attitude que l'on rencontre partout chez des gens particulièrement impliqués et disponibles. Autant dire qu'il y a encore beaucoup de travail à faire auprès de l'encadrement, auprès de certains salariés, convaincus que les métiers de la restauration ne peuvent pas être abordés d'une autre manière...

Les mentalités évoluent
Mais il y a maintenant une volonté de changement, c'est un signe encourageant. Bien sûr, toute évolution coûte cher et l'on comprend pourquoi les employeurs sont si nombreux à tout faire pour que le secteur ne soit pas concerné par la loi Aubry... Les charges sont lourdes, trop lourdes, et certains savent qu'ils ne résisteront pas à toute nouvelle charge. Là encore, les mentalités doivent changer, les prix doivent augmenter si la qualité le justifie pour justement pouvoir rémunérer comme il se doit le service rendu, le travail effectué. Aux organisations professionnelles de se battre pour faire reconnaître la spécificité des entreprises du secteur en matière d'emploi et de savoir proposer une réelle réduction du temps de travail en échange d'une baisse des charges.
Depuis quelques mois, signe des temps, les annonces parues dans L'Hôtellerie ont changé de ton elles aussi : on y parle de niveau de rémunération, de nombre d'heures de travail, d'accord d'intéressement, d'avantages sociaux, de mutuelle. Une tendance qui se confirme depuis la parution d'une annonce qui avait fait sensation en été 1999 : le George V, pour son ouverture, avait pris une page pour annoncer la liste des postes à pourvoir et les salaires correspondants. Aujourd'hui, la pratique est enfin tombée dans les mœurs des hôteliers-restaurateurs qui ont compris que la rémunération pouvait aussi être un élément essentiel pour les candidats... Tous ceux qui ne prendront pas en compte la dimension humaine au sein de leur entreprise prennent le risque de la mettre en danger dans les années qui viennent. Il faut savoir faire avec les jeunes que l'on a en face de soi.


Michel Porcel, p.-d.g.
de Restoleil : gère plusieurs restaurants dans des stations
de sports d'hiver, au bord de la mer et en ville. Un mélange d'entreprises saisonnières
d'été et d'hiver.

"De par la structure même de nos entreprises, nous recrutons une population jeune qui cherche en même temps à vivre sa jeunesse et sa vie professionnelle. Ce que nous constatons, au niveau du personnel saisonnier, c'est qu'il ne demande pas, contrairement au personnel installé dans des villes qui travaillent à l'année, à travailler moins mais plutôt à travailler autrement. Ils veulent travailler, gagner de l'argent tout en pratiquant un sport, en faisant la fête. C'est une problématique essentielle que nous devons prendre en considération pour leur permettre de satisfaire ce besoin tout en protégeant l'organisation de l'entreprise.
Y arriver est un élément de motivation, le refuser est un élément certain de démotivation, voire même de départ en cours de saison avec tous les problèmes qui peuvent alors se poser à l'entreprise. A nous d'accepter, de supporter et donc d'assumer les problèmes d'assistance, de logement mais aussi d'être présents pour porter les problèmes de maladie, voire de cœur ! Les jeunes aujourd'hui attendent une qualité de vie. Notre problématique consiste à créer une culture d'entreprise afin de compenser la précarité et la mobilité. Partant du principe que l'on ne peut s'intégrer au sein d'une équipe que si on la découvre aisément, si les rapports sont clairs, facilités, si chacun connaît parfaitement les règles du jeu, nous consacrons beaucoup de temps à l'accueil, à l'intégration. Ainsi, nous avons créé le book du manager et les livrets "passeport" pour les nouveaux salariés. Nous avons un "M. Recrutement" qui se consacre exclusivement à cette tâche. Nous recrutons les gens en double pour pallier au turn-over et faire face au développement. Les mutations internes permettent de fidéliser le personnel d'une saison à une autre. Car la précarité n'empêche pas la fidélité."

 
Luc Reversade, trois restaurants à Val-d'Isère.
Si aujourd'hui Luc Reversade s'implique autant dans l'intégration de son personnel, c'est, il ne s'en cache pas, parce qu'issu de la restauration traditionnelle, formé à la dure, comme il était coutume, il a compris qu'en reproduisant les modèles qui avaient été les siens, il n'arrivait plus à rien. Une remise en question personnelle de son mode de management lui a permis d'essayer d'autres pistes et de consacrer du temps, de l'attention à son personnel.

"Nous avons trois restaurants à Val-d'Isère et nous recrutons chaque année 70 employés. Nous leur exposons notre philosophie à l'aide d'un livre de présentation. Depuis 5 ans, nous travaillons avec des fiches de poste aussi bien pour la salle que pour la cuisine, établies selon les horaires. Nous consacrons beaucoup de temps à leur accueil, à leur intégration. Pour moi, l'humanité va avec la qualité de la vie. Je reste persuadé que demain encore, plus qu'aujourd'hui, la qualité de la prestation dans nos entreprises de services sera directement proportionnelle à la qualité de vie des salariés dans nos établissements. A nous de savoir investir du temps et de l'argent pour régler les problèmes personnels des saisonniers. Même si c'est difficile, nous sommes très proches les uns des autres mais c'est le jeu. C'est un apprentissage de la vie en commun que nous devons faire, nous devons pour bien vivre une saison ensemble consacrer du temps à la cohésion de l'équipe. Pour ce faire, tous les ans avant la saison, j'organise un séminaire réunissant tous les gens que j'ai recruté. Nous passons deux jours ensemble, apprenons à nous connaître, avec l'aide de formateurs, parce que je suis persuadé qu'un patron fait moins facilement passer ces messages que quelqu'un d'extérieur. L'année dernière, nous n'avons pas eu de défection dans le courant
de la saison."

 
Jean-André Charial, propriétaire
de l'Oustau de Baumanière aux Baux-de-Provence.

"Pour moi, l'entreprise se doit d'être citoyenne, un employé est une entité dans une entité, c'est un acteur, un collaborateur. A moi de lui donner une dimension d'individu à part entière au sein de l'entreprise, de l'équipe, du centre de profit qu'est le restaurant. A moi de savoir lui parler, non pas comme à un subalterne mais comme à un patron à part entière, en charge de l'unité de responsabilités que je lui ai confiée. Il faut savoir donner une place à nos collaborateurs au sein de l'entreprise, à nous de savoir leur donner nos valeurs pour qu'ils suivent la ligne que nous avons tracée, pour qu'ils aient les moyens d'assumer les responsabilités que nous leur avons confiées. L'expérience en restauration n'est plus fondamentale, c'est avant tout une question d'état d'esprit. Il faut trouver les gens qui ont envie de participer à un projet commun et leur donner les règles du jeu. Sur le marché du travail, on trouve de moins en moins de professionnels mais de plus en plus de jeunes intéressés par le secteur ; à nous de savoir les attirer et les motiver, à nous de savoir leur faire une place. C'est en comprenant leur fonctionnement que l'on peut construire quelque chose avec eux, c'est en parlant leur langage, en comprenant leurs valeurs. Les jeunes, aujourd'hui, ont d'autres références que le travail, leur passion nourrit leur travail et inversement. A nous de savoir les écouter, les rassurer avec une bonne qualité d'encadrement. Quant à leur vie dans l'entreprise, pas besoin d'attendre de tous qu'ils veuillent rester et faire carrière. Il suffit de savoir que sur un laps de temps plus ou moins long, on fera un bout de chemin ensemble, l'essentiel étant qu'on le fasse le mieux possible. Dans le lot, certains accrocheront mieux et plus vite que d'autres, à nous de savoir leur donner les moyens d'évoluer, et grâce à la formation continue, nous pouvons leur apporter beaucoup de choses. Ce sont des projets que l'on partage ensemble avec le plus grand bonheur. La personne que nous recrutons doit comprendre quel est notre pari. Mes chefs de rang, par exemple, sont des forces de vente. Ils sont prêts à jouer le jeu. Je leur parle davantage de business que de culture d'entreprise."

 
Thierry Bégué, directeur du groupe George V (Barfly, Buddha Bar, Barrio Latino à Paris).


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L'HÔTELLERIE n° 2683 Supplément Formation 14 Septembre 2000


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