du 20 octobre 2005 |
JURIDIQUE |
DU CÔTÉ DES PRUD'HOMMES
L'USAGE DU TÉLÉPHONE AU TRAVAIL
Passer ou recevoir un coup de fil personnel au travail, pas toujours facile de trouver la démarcation entre le droit et l'abus. D'autant que dans des professions de service cela peut se faire au détriment du service à la clientèle. L'entreprise peut-elle alors intervenir, et si oui dans quelles conditions ? Le conseil de prud'hommes de Paris jugeait dernièrement un dossier où le téléphone était au centre des débats.
Le taux de possession de téléphone mobile atteint selon les statistiques la saturation dans la population française. Les 18-19 ans ou encore les 30-31 ans possèdent à 90 % un téléphone portable. Celui-ci vient s'ajouter au téléphone fixe déjà présent dans les établissements. Le téléphone est désormais omniprésent au travail.
L'affaire
commence par un coup de fil
Le salarié en cause est employé
dans l'un de ces prestigieux cafés littéraires parisiens. Cela fait désormais près de
15 ans qu'il y occupe les fonctions d'officier, assurant la préparation des salades,
sandwiches et autres desserts servis à une clientèle où se mêlent artistes,
célébrités et touristes.
Les conditions de travail dans cet établissement sont bonnes. Il travaille 38 heures par
semaine et perçoit près de 1 700 E bruts par mois. Pour seule contrainte, le salarié
est soumis à des horaires de coupure qui l'éloignent une grande partie de la journée de
son domicile. Heureusement, le téléphone lui permet d'assurer le lien avec sa famille.
Justement, c'est lors du service du soir, que le salarié apprend de son directeur qu'il a
reçu un coup de téléphone de son épouse. Mais celui-ci ne lui a pas transmis l'appel :
"service service !", lui a-t-il dit, "le temps n'est pas aux
conversations personnelles".
Le salarié s'emporte. Il insulte et même menace le directeur. Des clients sont témoins,
le scandale est proche. Le salarié sent la tension montée et décide d'abandonner
purement et simplement son poste de travail.
Le lendemain, la direction décide de prendre des mesures disciplinaires. Le salarié est
convoqué à un entretien préalable, puis se voit notifier son licenciement pour faute
grave. Il lui est reproché d'avoir agressé verbalement son directeur devant la
clientèle, puis d'avoir abandonné son poste de travail, en plein service.
Téléphone et
règlement intérieur Le règlement intérieur fixe dans l'entreprise
les règles générales et permanentes relatives à la discipline. Il est donc normal que l'employeur y fasse figurer les règles
qu'il entend imposer aux salariés pour encadrer l'usage des téléphones fixes ou
mobiles. |
et
se poursuit devant le conseil de prud'hommes de Paris
Le salarié décide, en effet, de
saisir le conseil de prud'hommes de Paris afin d'obtenir la condamnation de son employeur
à lui payer, outre deux mois de préavis et les congés payés afférents, son indemnité
de licenciement (il y en a pour presque 2 mois de salaire brut) ainsi qu'une indemnité
pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse qu'il chiffre à hauteur de 6 mois de
salaire brut.
Le
salarié minimise les faits
Le salarié conteste avoir injurié
ou menacé le directeur de l'établissement. Il indique avoir fait observer à ce dernier
qu'il aurait dû lui transférer la communication lorsque son épouse l'avait appelé au
téléphone car si celle-ci avait téléphoné au travail, c'est qu'il y avait sûrement
un problème à la maison.
Il affirme que c'est le directeur qui a commencé à
élever la voix lorsqu'il lui a fait cette remarque. S'il est vrai qu'une altercation s'en
est suivie, la responsabilité entière en incombe au directeur.
Il ajoute que cet échange verbal, certes assez vif, a eu pour cadre la cuisine. Aucun
client n'a pu en être témoin, contrairement à ce que soutient l'employeur, et n'a eu à
en souffrir. L'employeur ne peut donc prétendre que les propos imputés au salarié ont
fortement nuit à l'image de son établissement et à sa réputation.
Enfin, il rappelle qu'il a travaillé dans cet établissement pendant près de 15 ans sans
faire l'objet de la moindre sanction disciplinaire. Selon lui et son avocat, l'employeur
aurait dû faire preuve de plus de mesure dans la mise en oeuvre de son pouvoir
disciplinaire. Si le salarié a, le cas échéant, pu commettre une faute, celle-ci ne
justifiait pas la sanction suprême du licenciement.
L'appel
ne présentait aucun caractère d'urgence
Pour commencer sa plaidoirie,
l'employeur commence à réfuter les propos tenus à la barre par le salarié. Il fait
d'ailleurs remarquer au conseil de prud'hommes, que celui-ci ne produit pas le moindre
élément de preuve à l'appui de ses déclarations :
rien ne prouve qu'il n'a pas insulté ou menacé le directeur
comme cela lui est reproché,
rien ne prouve l'urgence de l'appel téléphonique passé ce
soir-là par son épouse.
Il poursuit en
indiquant aux juges que ce salarié, qui ose se faire passer pour modèle, a quand même
fait l'objet, préalablement à son licenciement, de divers courriers disciplinaires.
Déjà dans le passé, il avait fait l'objet d'un avertissement pour un abandon de poste.
Un autre avertissement lui avait ensuite été adressé parce qu'il ne respectait pas ses
horaires de travail. Enfin un troisième avertissement lui avait été notifié au motif
d'une absence injustifiée et non autorisée à son poste de travail.
Aucune de ces sanctions n'avait été contestée par le salarié.
L'employeur en vient ensuite aux faits à l'origine du licenciement du salarié. Il
rappelle que vers 21 h 45, en plein service, le directeur avait indiqué au salarié qu'il
avait, quelques minutes plus tôt, reçu un appel téléphonique de son épouse.
Vérification faite auprès de celle-ci, cet appel ne présentait aucun caractère
d'urgence ni même de gravité.
Pour autant le salarié s'était violemment emporté reprochant à son supérieur
hiérarchique de ne pas lui avoir transféré cet appel. À cette occasion, il avait tenu
des propos insultants et outranciers à l'égard du directeur avant d'en venir aux menaces
de représailles.
Ces paroles avaient été tenues de façon audible pour la clientèle en salle.
Enfin, le salarié avait abandonné son poste de travail sur le champ, avant la fin de son
service.
L'employeur prend soin de verser au débat les témoignages de 3 salariés présents au
moment de ces faits.
Il ajoute que rien ne saurait être
reproché au directeur de l'établissement qui n'a fait que respecter le règlement
intérieur en vigueur : celui-ci précise en effet qu'il est interdit aux salariés "de
recevoir des communications personnelles, sauf en cas d'urgence ou de gravité
exceptionnelle".
L'employeur conclut au licenciement pour faute grave
du salarié.
Le
règlement intérieur limite l'usage du téléphone
Après avoir entendu les plaidoiries
des parties, le conseil de prud'hommes s'est retiré pour délibérer. Le jugement qu'il a
rendu est sans appel.
Le conseil de prud'hommes considère tout d'abord
que le directeur a agi conformément aux dispositions du règlement intérieur en vigueur
dans l'entreprise et agréé par l'inspection du travail. Il était ainsi autorisé à ne
pas transmettre au salarié l'appel de son épouse après avoir vérifié si celui-ci présentait ou non un caractère d'urgence
ou de gravité.
Par la suite, le salarié n'avait aucune
circonstance atténuante pour s'être ainsi emporté dans les termes rapportés par les
témoignages, cela, au vu et aux sus de la clientèle.
Les
enseignements de ce jugement sont les suivants : Les appels téléphoniques à destination
des salariés, sur le lieu de travail, pendant le temps de travail,
ne bénéficient d'aucune présomption d'urgence ou de gravité
justifiant qu'ils soient immédiatement transmis aux salariés,
peuvent être strictement encadrés par l'employeur dans le
règlement intérieur de l'entreprise.
Bien évidemment ce qui est valable pour les
téléphones fixes est valable pour les téléphones portables.
Franck Trouet (Synhorcat) zzz60c
Le contrôle des
communications téléphoniques L'employeur peut décider de mettre en place dans l'entreprise un autocommutateur qui permet d'enregistrer les numéros appelés par les salariés à partir de chacun des postes téléphoniques, ainsi que les divers éléments de la communication (date, heure, durée, coût) afin de contrôler et de maîtriser les dépenses. Cependant, cette pratique permettant d'identifier les interlocuteurs des salariés et, par là, de se procurer des informations nominatives, la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés) a indiqué les garanties dont les salariés doivent bénéficier : le système doit avoir été préalablement soumis aux représentants du personnel, les salariés doivent en être informés et bénéficient d'un droit de contrôle des destinataires de l'information et d'un droit d'accès et de rectification à ces informations, les 4 derniers chiffres des numéros de téléphone doivent être occultés sur les documents édités, la durée de conservation de ces documents est limitée à 6 mois maximum. Enfin, les représentants du personnel doivent disposer dans
l'entreprise d'une ligne téléphonique non connectée à l'autocommutateur. Enfin, il peut être utile de rappeler que l'écoute ou
l'enregistrement des paroles prononcées par une personne, à l'occasion par exemple d'une
communication téléphonique, sans son consentement, constituent une atteinte à
l'intimité de la vie privée, réprimée par le Code pénal. (Art. 368) |
Et lorsque c'est
l'employeur qui appelle son salarié au téléphone Avec la prolifération des téléphones portables, il se peut aussi que ce soit l'employeur qui cherche à appeler l'un de ses salariés sur son téléphone portable. En repos hebdomadaire ou après sa journée de travail ou même en congés payés, l'employeur peut avoir besoin de contacter un salarié. Là encore celui-ci bénéficie d'une protection : Tout d'abord, les appels téléphoniques de l'employeur devront être justifiés et répondre à une nécessité de l'entreprise. À défaut, tout abus de l'employeur pourrait constituer une atteinte volontaire à l'intimité d'autrui, fait passible de sanction pénale (un an d'emprisonnement et 45 000 E d'amende maximum). Par suite, les interventions professionnelles que le salarié serait amené à faire à la suite de ces appels devront être décomptées comme du temps de travail effectif et donner lieu à paiement. Rep. Min. n°3307 du 12 janv.1998 et n°3195 du 15 janv. 1998. |
Article précédent - Article suivant
Vos questions et vos remarques : Rejoignez le Forum des Blogs des Experts
L'Hôtellerie Restauration n° 2947 Hebdo 20 octobre 2005 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE