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du 15 juillet 2005
LA PAGE DU CHEF

LES HUÎTRES TRIPLOÏDES

GRASSES MAIS PAS LAITEUSES, LES HUîTRES DE L'ÉTÉ

Certains consommateurs refusent de consommer des huîtres en été : ils pensent qu'en dehors des mois d'hiver, les mois en R, c'est risqué pour la santé et/ou ils n'aiment pas leur saveur et leur texture laiteuses. Mais aujourd'hui, grâce aux contraintes sanitaires que s'est imposées la filière ostréicole et à grâce aux huîtres triploïdes, sécurité et plaisir riment toute l'année.
Bernadette Gutel


A gauche une huître triploïde, à droite une huître standard. Cette photo prirence entre l'huître triploïde grasse et charnue et l'huître standard pleine de laitance.

Du point de vue de la sécurité alimentaire, la règle des mois en R n'a plus aucune raison d'être aujourd'hui. Elle était valable autrefois quand les dispositifs de contrôle ne permettaient pas de garantir un niveau de salubrité acceptable des coquillages issus des zones de production et du fait que la chaîne du froid était mal maîtrisée. Actuellement, les contrôles sont bien organisés et la filière est bien équipée en locaux et véhicules de transport frigorifiques. Du point de vue organoleptique, pour permettre aux consommateurs qui n'aiment pas les huîtres laiteuses en été (car en pleine période de reproduction), les chercheurs de l'Ifremer (Institut de recherches sur les produits de la mer) ont développé des huîtres creuses stériles. Ces huîtres sont triploïdes, c'est-à-dire que leurs chromosomes marchent par 3 et non par 2 comme dans les huîtres normales dites diploïdes. Les huîtres triploïdes sont obtenues par croisement entre une huître diploïde normale et une huître tétraploïde (dont les chromosomes marchent par 4). Stériles, au lieu de consacrer une bonne partie de leur énergie à la reproduction en été, les huîtres triploïdes la consacrent à leur croissance. Elles offrent donc deux avantages. D'une part, elles grossissent plus vite : en 3 ans au lieu de 4. D'autre part, durant la période estivale, elles ne sont pas laiteuses mais plutôt grasses, charnues et légèrement sucrées (de par leur richesse en glycogène, leur réserve d'énergie) tout comme les huîtres diploïdes en période hivernale.

15 à 20 % de la production totale
"Initiée dans les années 1970 aux Etats-Unis, la technique de production des huîtres triploïdes a fait l'objet d'études en France par l'Ifremer dans les années 1980, explique Philippe Goulletquer, responsable du programme national 'Durabilité des Systèmes de Productions aquacoles' Ifremer. Au départ, la technique n'était pas performante et les taux de mortalité au cours de l'élevage étaient très importants. Depuis 1990, l'Ifremer a développé une nouvelle technique sans aucune intervention chimique ou manipulation génétique et qui donne des résultats très satisfaisants pour les ostréiculteurs." Résultat : la production d'huîtres triploïdes s'est développée pour atteindre 15 à 20 % de la production totale et près de la moitié des ostréiculteurs travaillent plus ou moins des huîtres triploïdes. Ce taux pourrait être supérieur si certains établissements de la grande distribution ne refusaient pas de les vendre sous divers motifs.

6 écloseries en France
Les huîtres triploïdes (comme la plupart des huîtres standards) naissent dans des écloseries (il en existe 5 en France, bientôt 6 : une dans chaque région ostréicole). Pour obtenir des huîtres triploïdes, les écloseries produisent des semences d'huîtres femelles diploïdes qu'elles mélangent avec de la semence d'huîtres mâles tétraploïdes fournie par l'Ifremer. En effet, seul l'Ifremer est habilité à produire cette semence mâle d'huître tétraploïde. "Le ministère de l'Agriculture, le Syndicat des producteurs sélectionneurs d'huîtres et le Centre national de conchyliculture se sont mis d'accord sur ce point, explique Philippe Goulletquer, pour éviter tout risque d'impact néfaste sur l'environnement, c'est-à-dire la dissémination dans la mer de semence tétraploïde qui risquerait de rendre stériles une partie des huîtres nées en mer". Les oeufs obtenus donnent naissance 24 heures après à des larves nageuses prêtes à se fixer au bout de 15 jours sur des grains de poudre d'huîtres dispersés dans l'eau des bassins de fécondation. Ces 'naissains' sont alors placés en nurserie dans des conditions de température et de salinité bien contrôlées et sont nourris avec du plancton. Après 2-3 mois, les huîtres sont transférées en mer dans des bassins de prégrossissement. Elles sont vendues aux ostréiculteurs 3-4 mois après quand elles mesurent environ 1,5 cm de long sur 0,6-0,8 cm de large pour être élevées dans les parcs. Là, le taux de survie de ces 'naissains' d'écloserie est d'au moins 70 % alors qu'il n'est que de 50 % pour des 'naissains sauvages' récoltés de façon traditionnelle.

Bien appréciées par les consommateurs
"La polyploïdie est un phénomène naturel, poursuit Philippe Goulletquer. Elle est fréquente notamment chez les végétaux : clémentine sans pépins, tabac et blé polyploïdes et aucune réglementation n'impose de signaler aux consommateurs que ces produits sont polyploïdes." Il en est donc de même pour les huîtres. Gérard Allemandou, fondateur des restaurants La Cagouille et L'Huître à Paris, les propose depuis 4 ans à ses clients sous l'appellation 'Huîtres d'été'. "C'est David Hervé, mon fournisseur de pousses en claires de Marennes Oléron qui me les a proposées, explique-t-il. Et, j'ai été le premier à les mettre sur le marché à Paris avec lui. La première année, je n'ai rien dit à mes clients. Vu qu'ils les ont appréciées, j'en ai remis à ma carte l'année suivante en leur expliquant qu'elles étaient triploïdes. En fait, ils les trouvent bonnes et ne se posent pas de questions. Pour leur faire comprendre pourquoi ceshuîtres sont grasses mais pas laiteuses en cette saison, je leur dis qu'elles ont été 'chaponnées' comme le chapon ou le boeuf." Si vous voulez donc proposer des huîtres triploïdes à vos clients, renseignez-vous auprès de votre fournisseur. Mais sachez que bon nombre d'ostréiculteurs soucieux de maintenir la tradition et le côté naturel des huîtres se refusent d'élever ce genre d'huîtres. zzz44

Témoignage

Catherine Coutant, ostréiculteur à la Tremblade
"100 % de ma production d'huîtres est triploïde
J'élève des huîtres triploïdes depuis 1997. à cette époque, la technique de production des naissains par les écloseries n'était pas fiable. Aujourd'hui, les naissains sont 100 % triploïdes et présentent un taux de survie d'au moins 70 %. Les huîtres triploïdes ne s'élèvent pas de la même façon que les huîtres normales. J'ai donc dû changer totalement ma façon de travailler et, pour mieux maîtriser ma production, j'ai décidé de n'élever que des triploïdes. Il ne faut pas oublier que la qualité d'une huître dépend beaucoup de 'la main de l'ostréiculteur'. Ces huîtres triploïdes poussant plus vite que les huîtres normales, il faut bien contrôler leur croissance, voire la freiner : en 2 ans, elles atteignent une taille commercialisable mais leur taux de remplissage (poids de chair par rapport au poids total de l'huître non ouverte) est trop bas. Il faut donc compter 3 ans d'élevage. On gagne une année d'élevage par rapport aux huîtres normales qui en demandent 4, mais on perd en fréquence de manipulations. Durant ces 3 années, pour que leur coquille soit bien formée, les huîtres triploïdes doivent être retournées tous les 15 jours au lieu d'une fois tout les 1,5 mois. Elles présentent alors la même forme que les huîtres standards. En été, ces huîtres n'ont pas besoin d'être affinées en claires. Je ne les affine qu'en hiver et à faible densité car elles mangent plus que les huîtres normales… Pour bien informer mes clients, je commercialise ces huîtres triploïdes sous l'appellation 'Huître des quatre saisons' et je ne manque pas de leur donner toutes les explications nécessaires. Je fais également visiter mon exploitation à des touristes. Je leur explique que ces huîtres comme les hybrides ne se reproduisent pas et leur donne l'exemple du mulet qui résulte du croisement entre un âne et un cheval ou du canard mulard issu du croisement d'un canard femelle Pékin et d'un canard mâle de Barbarie. Certains de mes clients GMS, les appellent les 'stériles'. En fait, les consommateurs après la visite, dégustent ces huîtres sans aucune appréhension. Quant à mes clients restaurateurs, ils sont satisfaits de pouvoir désormais vendre des huîtres en été, d'autant plus que n'étant pas en période de reproduction, ces huîtres sont plus résistantes."

Catherine Coutant
17 390 La Tremblade
Tél. : 05 46 36 10 70

David Hervé
Le Fenard
17 320 Saint-Just-Luzac
Tél. : 05 46 36 03 88

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L'Hôtellerie Restauration n° 2933 Hebdo 15 juillet 2005 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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