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du 10 février 2005
LA PAGE DU CHEF

FORTE DE SON IDENTITÉ CULINAIRE

L'ITALIE DE NADIA SANTINI FACE AUX VISIONS FUTURISTES DE FERRAN ADRIà

Milan Du 23 au 25 janvier, l'Italie a organisé son premier congrès de cuisine d'auteur en s'inspirant ouvertement de ce que les Espagnols font à San Sebastián et Madrid, avec d'ailleurs Ferran Adrià en invité-vedette, désormais incontournable dès qu'il s'agit de débattre de cuisine créative.

Ferran Adrià, de El Bulli à Rosas : "Dans 4 ans, l'azote liquide sera comme l'huile d'olive aujourd'hui." Carlo Cracco, chef du Cracco-Peck à Milan : "On peut être créatif sans utiliser ni azote ni gélatine."

Treize cuisiniers italiens, trois Espagnols, un Français et un Américain ont animé cette manifestation baptisée Identità Golose (Identité gourmande), qui aura finalement souligné l'écart entre les chefs italiens, proches d'une cuisine traditionnelle toujours fortement ancrée, et les protagonistes d'une cuisine résolument moderne.
Les Espagnols (Andoni Luis Aduriz et Enrique Dacosta accompagnaient Ferran Adrià) et le New-Yorkais Wylie Dufresne, avec sa mayonnaise sans oeuf, ont apporté technicité et chimie. Les Italiens, plus pragmatiques, se sont limités à une "approche différente d'un produit", sans s'éloigner de leurs racines. Parmi les chefs italiens créatifs et reconnus, Carlo Cracco (Milan), Ciccio Sultano et Corrado Assenza (Sicile) ont présenté des spaghettis, sans farine pour le premier, faits d'un mélange de semoule de blé et d'encre de seiche pour le second, cuits dans de l'eau et du miel pour le dernier. Moreno Cedroni (Ancone) a confirmé sa démarche d'une cuisine décalée, traitant le poisson comme une viande avec un Osso buco d'espadon, après avoir lancé la cuisson des pâtes façon risotto.
"La cuisine italienne n'est pas linéaire. Il y a celle du Sud, celle du Nord, celle de Sicile, celle des Pouilles, etc. Chaque chef italien se revendique d'ailleurs de sa région, pas de l'Italie", a souligné Paolo Marchi, créateur d'Identità Golose. Mais la rupture entre tradition et création est apparue plus grande encore au niveau de la perception de la cuisine entre, par exemple, Nadia Santini (Dal Pescatore, près de Mantoue) et Ferran Adrià, tous deux triplement étoilés au Michelin. Ainsi, pour Nadia Santini, "la cuisine doit avoir un lien étroit avec le lieu où elle s'exprime, le menu d'un restaurant doit être la photographie d'une culture ; l'identité italienne est celle d'un goût collectif", mais Ferran Adrià exprime un jugement opposé : "La comparaison entre tradition et création est dépassée. Aujourd'hui, on constate que les progrès réalisés en cuisine sont tributaires de la création, et les congrès sur la gastronomie ne sont faits ni pour débattre ni pour apprendre, mais pour partager."

"Dans 4 ans, l'azote liquide sera comme l'huile d'olive aujourd'hui"
"On m'attribue l'utilisation de l'azote liquide depuis 2 ans. C'est faux. Les premières expériences datent de 1996 en France, et le premier cuisinier à l'avoir appliquée, c'est le chef britannique Blumenthal. En 1984, quand j'ai réalisé mes premières écumes, on se moquait, et désormais, tout le monde en propose. Dans 4 ans, l'azote liquide sera comme l'huile d'olive aujourd'hui", a conclu le chef catalan.
Les jeunes cuisiniers italiens partagent cet état d'esprit et ne voient pas d'incompatibilité entre création et tradition, même s'ils avouent qu'il est "plus difficile d'être créatif en Italie, où l'image de la cuisine roborative de la 'mamma' résiste".
Enrico Crippa, 33 ans, qui dirigera au printemps les cuisines d'un nouveau restaurant à Alba, capitale de la truffe blanche, dit être au milieu du gué. "Avant, les jeunes cuisiniers allaient en France ; maintenant, ils vont en Espagne. J'ai eu la chance d'apprendre aux côtés de Christian Willer, de Ghislaine Arabian, de Michel Bras. J'ai acquis chez eux les bases, mais c'est vrai que pour avancer, il faut être créatif et que, désormais, la modernité est en

Espagne", avance-t-il avant de conclure : "Je suis impressionné par la chimie qui déboule en cuisine. Mais je ne sais pas si, en dirigeant un restaurant, j'aurais le temps pour pousser plus avant la recherche, et même si j'en aurais les capacités." 

"Je ne veux pas être une star, je veux être cuisinier"
Moreno Cedroni
, 40 ans, sans cesse porteur d'idées nouvelles comme l'ouverture, chez lui à Senigallia, d'une 'charcuterie de la mer', revendique sa créativité. "Mais sans l'apport de la cuisine traditionnelle, je ne serais rien. La tradition nous dit qui nous sommes. Je n'ai pas recours à l'azote liquide, mais les idées nouvelles me donnent envie d'aller plus loin", a-t-il affirmé.
Pour Carlo Cracco, 38 ans, "on peut être créatif sans utiliser ni azote ni gélatine. Les techniques nouvelles permettent d'appréhender de nouveaux domaines, mais on a une cuisine parce qu'on a une tradition. J'ai appris en France, mais je fais de la cuisine italienne".
Massimiliano Alajmo, 30 ans, chef du Calendre près de Padoue, triple étoilé Michelin, estime qu'il ne faut pas confondre "mode" et "métier" : "Le métier, c'est la tradition, et c'est difficile d'en parler. Un cuisinier ne crée pas, je préfère parler d'assemblage. J'aimerais que l'on accole le mot 'dignité' au mot 'cuisine'. Cela signifierait qu'elle serait faite par des hommes qui croient en ce qu'ils font. Je ne veux pas être une star, je veux être cuisinier." Les stars ? Elles étaient là, côté italien, avec Gianfranco Vissani et Fulvio Pierangelini, cuisiniers emblématiques des années 1980-1990, réfugiés dans leur tour d'ivoire, faussement modestes, et qui n'ont pas présenté de plats. Un seul cuisinier français avait été invité : Jean-Luc Fau, du restaurant Goûts et Couleurs à Rodez (12), qui a laissé son auditoire perplexe en insistant plus sur ses qualités de peintre que sur son savoir-faire en cuisine.

Paolo Marchi a annoncé que le congrès Identità Golose "sera reconduit l'année prochaine, toujours avec l'idée de mettre en avant une cuisine d'auteur et, au fond, de réparer une injustice : cette image de la cuisine italienne de la 'pasta' et de la 'mamma'. Le monde entier rêve de nos voitures, nous envie nos couturiers, nos designers… en aucun cas nos cuisiniers. Et même en Italie, nul ne reconnaît le génie d'un chef…".
Bernard Degioanni
zzz22v

Les participants
Italie

Nadia Santini, Dal Pescatore à Canetto Sull'Oglio (Mantoue) ; Massimiliano Alajmo, Le Calandre à Rubano (Padoue) ; Corrado Assenza, Caffé Sicilia à Noto (Sicile) ; Moreno Cedroni, Madonnina del Pescatore à Senigallia (Ancone) ; Carlo Cracco, Cracco-Peck à Milan ; Accursio Craparo, Gazza Ladra à Modica (Sicile) ; Enrico Crippa, Ristorante Piazza Duomo à Alba (Piémont) ; Pietro Leemann, Joia à Milan ; Norbert Niederkofler, St Hubertus à San Cassiano (Sud Tyrol) ; Fulvio Pierangelini, Gambero Rosso à San Vincenzo (Livourne) ; Davide Scabin, Combal Zero à Rivoli (Turin) ; Ciccio Sultano, Duomo à Ragusa Ibla (Sicile), et Gianfranco Vissani, Ristorante Gianfranco Vissani à Baschi (Terni).
Espagne
Ferran Adrià, El Bulli à Rosas ; Andoni Luis Aduriz, Mugaritz à Erenteria-Renteria (Pays basque) ; Enrique Dacosta, El Poblet à Denia (Alicante).
France
Jean-Luc Fau, Goûts et Couleurs à Rodez.
États-Unis
Wylie Dufresne, WD-50 à New York.

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L'Hôtellerie Restauration n° 2911 Hebdo 10 février 2005 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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