Restaurateurs et spécialistes du vin étaient réunis autour des bordeaux et bordeaux supérieur.
GEORGES JALLERAT
* Mon restaurant est sur la route des vins de Loire, donc très axé sur ces vins. Mais
notre deuxième vente reste le bordeaux, depuis toujours. Le client qui commande un
bordeaux recherche un goût spécifique. Or, est-ce que les bordeaux aujourd'hui ont le
goût bordeaux ? Je me souviens d'une personnalité que les gens retrouvaient dans une
carafe de bordeaux il y a vingt ans et qu'à présent, à mon avis, ils ne retrouvent pas.
L'offre est assurément très large et variée, mais j'estime que dans la même fourchette
de prix, une trop grande variété de qualité subsiste. Pourtant, je reste convaincu
qu'il y a un réel avenir dans la restauration actuellement pour des vins raisonnables et
de qualité, des vins de soif, à boire avant les grands vins.
PHILIPPE CASTÉJA
* En ce qui concerne le goût bordeaux et la carafe, évoqués précédemment, j'ai un
souvenir. Lorsque j'ai débuté dans ce métier, nous avions lancé une opération carafe
pour les bordeaux rouges. Cette opération consistait à remettre à un certain nombre de
brasseries des carafes sur lesquelles était marqué « Bordeaux ». Mais ces vins
destinés à la carafe étaient expédiés en cubitainer, avec des problèmes de qualité,
de suivi, d'authenticité que cela implique. C'est une des raisons pour lesquelles cette
pratique a un peu disparu. En ce qui concerne le goût bordeaux, je pense que nous
disposons aujourd'hui d'une palette de vins plus auhtentiques, à la typicité plus
réelle qu'elle n'était il y a 25 ou 30 ans.
JEAN-LOUIS TROCARD
* Il est vrai que le bordeaux en carafe était une idée excellente, qui a peut-être eu
le tort d'avoir raison trop tôt, comme on dit. Le vin sélectionné devait avoir cette
personnalité de bordeaux authentique, mais assez jeune, avec toute la typicité, le
fruité, et la qualité tannique de cette appellation. Par contre, même s'il existe un
grand type de bordeaux, la diversité des vins de bordeaux est évidente, y compris dans
nos appellations. Avec 55 000 hectares, il ne peut pas en être autrement. (...) Si la
marque rassure, offre un repère, pour les châteaux c'est la même chose. On fait
confiance à l'étiquette et à la signature. Il est vrai que si l'on va au hasard, comme
dans toutes les régions viticoles, toutes les surprises, bonnes et moins bonnes, sont
possibles. (...) Globalement, le bordeaux qu'on boit aujourd'hui n'est plus le même que
celui qu'on buvait il y a vingt ans. Parce que le consommateur n'aime plus les mêmes
types de vin, le savoir-faire a changé. Il y a eu, et cela se vérifie dans toutes les
appellations, une lente évolution.
JEAN LEGLEYE
* Sommelier de profession, je pars régulièrement dans le vignoble. Le goût du bordeaux
a effectivement changé. Mais j'ai l'impression aujourd'hui que beaucoup de jeunes
nologues sont formés sur le même moule. Il suffit de passer d'un château à un
autre pour remarquer un cousinage assez frappant entre plusieurs vins. Ne généralisons
pas, mais on a le sentiment que le goût bordeaux s'est un peu homogénéisé, ce qui est
vrai aussi dans d'autres vignobles. On est beaucoup plus satisfait de boire un bordeaux
aujourd'hui. Il y avait autrefois beaucoup plus de crus moins bons, mais parmi les bons,
on goûtait peut-être davantage de typicité et de diversité.
JACQUES BOUDIN
* Le bordeaux a progressé en qualité, mais il ne faudrait pas que l'on s'oriente vers
des vins un peu trop techniques, un peu trop standardisés au détriment de cette
délicatesse qui caractérise les vins de bordeaux. Je pense que l'oenologie sait
s'arrêter là où il faut malgré tout.
Les AOC bordeaux déclinent un large choix de vins
dans une gamme de prix raisonnables. Rouge, rosé, blanc, liquoreux...
ALAIN VARET
* Je voudrais revenir à l'idée du pichet. Je crois que tous se sont servis de cette
idée pour proposer n'importe quoi sans se préoccuper réellement du goût. Aujourd'hui,
nous pouvons nous tourner vers le service des vins au verre et je crois qu'on n'y pense
pas assez. La chaîne Oh!..Poivrier! a commencé à servir des vins au verre il y a un peu
plus de dix ans. Aujourd'hui ce mode de dégustation est en plein dans l'air du temps. De
plus en plus, lorsqu'un client commande un vin, il choisit une bouteille pour l'ensemble
du repas. La personne qui le sert doit lui conseiller un vin capable d'accompagner aussi
bien une viande qu'un poisson. Parmi les bordeaux, on privilégiera des vins légers et
non des vins au goût trop prononcé.
JEAN LEGLEYE
* Dans certains types de restauration, le pichet s'avère bien utile. Par contre, dans un
restaurant traditionnel, c'est exclu. A tous les prix, je ne propose chez moi que des vins
en bouteilles. Le vin au verre offre aussi une ouverture très intéressante. Il ne s'agit
pas de pousser la consommation ou de la réduire. Je pense que le service du vin au verre
ne change pas grand chose au niveau de la quantité de vin consommé. Par contre, c'est un
luxe particulièrement bien accueilli ? Le client apprécie cette possibilité de pouvoir
goûter de très bons crus sans être obligé de prendre une bouteille ou une
demi-bouteille. Le verre est une très bonne solution que l'on devrait pratiquer de plus
en plus. En ce qui concerne le prix, il est normal qu'il soit proportionnellement plus
élevé. Une bouteille correspond grosso modo à six verres. Vous en utilisez une en
général pour trois ou quatre verres, ce qui induit une perte.
ALAIN VARET
* Ces dix dernières années, nous avons noté à Paris un engouement pour les vins de
Loire frais et légers adaptés à une grande palette de plats. D'autres régions,
d'autres pays proposent aujourd'hui leurs gammes, ce qui va permettre de rétablir l'ordre
et de diversifier l'intérêt. Le fait de pouvoir offrir un vin au verre, donc en petite
quantité, et de qualité, devrait favoriser la consommation de vin au déjeuner, un peu
tombée ces dernières années.
PIERRE BLANC
* En France, nous étions des consommateurs de vin. On s'aperçoit que cette consommation
a tendance a baisser au profit de boissons non alcoolisées, de bières également. (...)
On a essayé de lancer la bouteille de 50 cl, sans trop de succès. Je crois que lorsqu'on
va dans un restaurant, c'est pour le côté convivial. En tant que restaurateur, je n'ai
pas peur de mettre un magnum sur la table quand les convives sont assez nombreux. La
grande bouteille est plus conviviale, plus sympathique. Je ne suis pas pour les petits
contenants, même si un bon vin au verre de temps en temps est une solution. Plus vous
mettez un grand produit sur une table, plus vous donnez au client l'envie de consommer.
PIERRE BLANC
* Il y a deux sortes de consommation de bordeaux, celle des grands et celle des petits
crus. Aujourd'hui, les grands bordeaux, si ce n'est le problème du prix, ne sont pas
très concurrencés. C'est toujours ceux qu'on choisit pour honorer son invité. En
revanche, le petit bordeaux est concurrencé par toute une gamme de vins, du type Loire
frais, vins de cépage. Peut-être en France a-t-on le tort de ne pas informer sur
l'étiquette des cépages qui composent le vin. Pour certains clients qui n'aiment pas
certains cépages, cela faciliterait le choix. Dans la famille des petits vins, les vins
frais, gouleyants, ont le vent en poupe. Et le phénomène dépasse les frontières
largement. Lorsque vous arrivez aux Etats-Unis, on vous sert un verre d'eau glacée.
Toujours le froid. La tendance aujourd'hui est de servir des vins, et de jeunes bordeaux
l'acceptent, à des températures de plus en plus basses, voire glacées. (...). Il n'y a
pas que le vin qui se consomme de moins en moins. Le nombre d'assiettes par client a aussi
diminué de façon significative. Il y a quelques années, on faisait couramment un repas
avec six assiettes. Aujourd'hui, la moyenne de nos brasseries est de 2,4 assiettes par
client, voire 1,95 chez Clément, ce qui revient à dire que certains clients prennent une
salade, un plat et un café, même pas de dessert.
PHILIPPE CASTÉJÀ
* On sait que la consommation du bordeaux en France a augmenté. En revanche, à Paris, le
vin de Bordeaux est victime d'un effet de mode. Les vins de Loire servis frais, légers,
faciles à consommer, le concurrencent. Peut-être que le bordeaux n'a pas su expliquer
toute la diversité de sa gamme. Il faudrait qu'il travaille davantage cette image.
CHRISTOPHE BRAULT
* Nous constatons depuis deux à trois ans une réduction du nombre de vins sur les
cartes. Et une accentuation de la diversifié. On se doit désormais de proposer sur une
carte un choix de bordeaux et de bourgognes, un deux, trois produits de la Loire et une
gamme de vins de toute la France. Sas oublier un ou deux vins découvertes, de typicité
nouvelle, vins de cépage, vins étrangers. La conception de la carte tiendra compte dans
un second temps du prix d'achat. 70 % d'une carte moyenne est désormais composée de
produits situés entre 18 et 27 F, 25% de produits entre 25 et 37 F et 5 % de bouteilles
à 35 F et plus. Pourquoi une carte réduite, mais plus diversifiée ? La communication,
le voyage, font que nous sommes de plus en plus curieux. Les phénomènes de mode sont de
plus en plus courts. La gestion, enfin, conduit vers des cartes plus courtes.
BERTRAND LEBUGLE
* Aujourd'hui, le vin est devenu un fabuleux outil de communication et beaucoup plus. En
effet, 10 % des clients choisissent la chaîne des hôtels Mercure ou Novotel par rapport
à leur carte des vins. (...) Centres de loisirs, cafés et restaurants à thème de
sport, de musique : les concepts de demain n'englobent à aucun moment le vin. Nous
préparons les futurs consommateurs à ne pas boire de vin. Les premiers partenaires des
concepts et des événements, on le voit avec la Coupe du Monde, sont la bière, l'eau et
les softs. Le vrai souci est là. D'accord, nous avons le produit, la typicité. Mais nos
clients de 18 à 25 ans ne consomment pas de vin. Comment va-t-on les amener à en boire ?
Comment va-t-on faire sortir le vin du restaurant ?
PHILIPPE CASTÉJA
* Pour ce qui est du phénomène des jeunes, bordeaux va vers les jeunes des grandes
écoles, des universités, de groupements d'élèves. Nous avons lancé tout un programme
d'animation, de dîners, de dégustations pour démystifier les vins de bordeaux et
permettre à la génération des 18-25 ans de les découvrir.
JEAN-MARC KOCH
* Il y a deux types de restauration. La grande restauration, celle qui sait bien vendre
les grands crus par le biais notamment de sommeliers, n'a pas besoin de beaucoup d'aide de
notre part. Et puis il y a la restauration traditionnelle, les brasseries, qui ont vu
notamment à Paris arriver beaucoup de concurrents. Nous avons commencé à travailler au
niveau de la formation, du marketing et aussi avec la néo-restauration. La
mondialisation, la World food, est une réalité. A peu près 20 % de restaurants sont à
l'heure actuelle des restaurants à thème, dits ethniques.
Nous suivons ce mouvement depuis cinq ans avec nos campagnes de publicité, en présentant
bordeaux et pizzas, bordeaux et saumon, bordeaux et haricots verts. Pas mal de
partenaires-restaurateurs ont appréciés ces campagnes. Des enseignes comme
Oh!..Poivirier!, Hippopotamus, l'Amanguier, ont pu constater qu'il n'y avait pas que des
grands bordeaux pour des grands restaurants. Il y a aussi des bordeaux pour une clientèle
un peu moins aisée.
Et surtout une volonté de rendre le produit plus accessible. Nous nous sommes aussi
penchés sur le marché des jeunes et des étudiants. Les études disent que les jeunes
n'aiment plus le vin. Ce n'est pas vrai. Un terme est important en ce qui concerne l'image
de bordeaux : c'est la convivialité.
Intervenants* Jean-Louis Trocard, président du CIV de Bordeaux, |
« On sait que la consommation du bordeaux en France a augmenté. En revanche,
à Paris, le vin de bordeaux est victime d'un effet de mode ».
L'HÔTELLERIE n° 2586 Magazine 05 Novembre 1998