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LICENCE IV
Portrait

La Caravelle à Marseille

Ambiance bateau et jazz, du petit déjeuner
à l'après dîner...

Ecumeur de cafés-jazz, Jean-Louis Carasso a repris en gestion le bar d'un ancien hôtel à matelots où un officier de marine avait déposé sa nostalgie de la mer et des voyages. Il y a rajouté son amour de la musique et, pour animer la Caravelle de 7 heures à 2 heures du matin, il a imaginé une formule différente pour chaque moment de la journée.

Par Lisa Casagrande

Epées d'abordage, tête de proue datant du XVIIIème siècle, colonne censée provenir du navire de Richard Le Noir, pirate du XVIIème, maquettes de voiliers suspendues à un plafond grand bleu... tout évoque ici les épopées marines. Il est vrai que La Caravelle est le bar d'un ancien hôtel à matelots du Vieux Port de Marseille.

Racheté avant-guerre par Maurice Boré de Loisy, un officier de marine devenu assureur et taraudé par la nostalgie, l'hôtel Bellevue, atteint de vétusté, est fermé depuis deux ans en vue d'une totale rénovation.

Mais, au premier étage, son bar, dont le balcon surplombe le Vieux Port, pile en face de la Bonne Mère, a continué, lui, de vivre sa vie. Pour lui redonner du vent dans les voiles, le fils du marin, jeune dandy parisien, l'a confié en gestion indépendante à un Marseillais, plus roturier que son père mais tout aussi baroudeur.

Jean-Louis Carasso, 46 ans, n'a pas écumé les mers mais a depuis toujours parcouru les bars, les bars à jazz surtout, musique dont il est fan. Au point qu'après divers détours par la poissonnerie, l'assurance et la direction de supermarché, il a fini par s'y arrimer il y a dix ans et en faire son métier, toujours accompagné par les notes de quelque piano ou saxo.

Une ambiance de vieux bateau et de voyage au long cours

Aux commandes de La Caravelle depuis un an, il a gardé intacte la décoration style carré de bateau imaginée jadis par l'officier de marine, avec son ambiance de voyage au long cours, ses statuettes exotiques, sa fresque murale sur laquelle le peintre Lourié a dessiné en 1939 les contours de la Côte d'Azur, ses tables aux piétements de cuivre et dont le bois a été patiné par des milliers de coudes, ses chaises et ses vieilles banquettes un peu défoncées...

 
Ambiance jazz et méditerranée.

Trois petites salles en enfilade baignent dans une atmosphère mi-ombre, à l'intérieur, mi- soleil près du balcon et, dans le contre-jour luit le couvercle d'un piano. Ici, la musique se promène, en douceur, dans les oreilles des clients presque toute la journée.

Une habitude qui, elle aussi, remonte à loin : après-guerre, les artistes de cabarets qui fréquentaient Marseille se donnaient rendez-vous à la Caravelle à l'issue de leurs concerts. Yves Montand, Edith Piaf, Evelyne Presle, Ray Ventura y ont souvent fini la nuit avec leurs musiciens.

Aujourd'hui Jean-Louis et sa compagne, Audrey Brown, ont souhaité en faire un lieu de jazz, tendance moderne, histoire de se démarquer du Pêle Mêle officiant sur l'autre rive du Vieux Port et préférant le be-bop. A côté du bar de contreplaqué marine, l'espace sono est soigneusement rangé.

Dès 7 h du matin et jusqu'à 10 h 30, la Caravelle sert des petits déjeuners accompagnés de jazz, classique ou moderne, en musique d'ambiance. Les clients, parmi lesquels beaucoup de comédiens et d'artistes, y ont leurs habitudes et aiment venir y lire le journal tout en sirotant leur café. Outre un petit déjeuner complet à 19,50 F avec café, thé ou chocolat, tartines grillées avec beurre, confiture et orange pressée, la Caravelle leur propose trois quotidiens nationaux -Le Monde, Libération, l'Equipe- deux quotidiens régionaux et divers magazines.


Petit déjeuner au balcon : 19,50 F avec café, tartines grillées, beurre, confiture, orange pressée...

Une formule pour chaque moment de la journée...

A midi, le bar se transforme en petit snack et propose salades, assiettes froides, feuilletés, entre 32 et 52 F. Avec jazz, toujours en arrière fond et, en prime, nappes et serviettes en tissu. "Grâce à cette touche soignée, souligne Jean-Louis Carasso, les hommes d'affaires viennent volontiers avec leurs clients, car nous leur offrons un déjeuner pas cher et un cadre original."

La formule a un succès indéniable et chaque jour les clients -dont la moyenne d'âge est d'environ 35 ans- remplissent en un temps record l'établissement.


Il faut arriver tôt pour avoir une place au balcon, l'endroit est très prisé.

L'après-midi, la Caravelle devient l'un des endroits silencieux de Marseille. On éteint la musique : c'est l'heure où les habitués viennent à nouveau s'installer, au calme, pour écrire, travailler, discuter à voix basse, devant une pâtisserie ou un jus de fruits.

"Nous ne servons pas de boisson chaude pour avoir le moins de manipulation possible, souligne le patron, car les gens restent longtemps et consomment peu. Si on servait des cafés, on ne gagnerait rien !»

A l'heure de l'apéro, vers 18 heures, la musique reprend ses droits. Voici venue l'ambiance "tapas", ces amuse-gueules à l'espagnole dont la maison a fait sa spécialité. Pois chiches à l'oignon, courgettes au cumin, patates aux harengs, chorizo, toast à la tapenade ou à l'anchoïade... une demi-douzaine de petites assiettes accompagnent systématiquement -et gratuitement- les verres de pastis (14 F) ou les demis (20 F). Leur aspect convivial incite chacun à remettre sa tournée sans se faire prier. Surtout si l'on a eu la chance d'arriver assez tôt pour trouver une place sur le balcon et siroter son verre en regardant le soleil se coucher sur le Vieux Port...

"Quand on boit à l'apéro, il faut éponger de temps en temps», plaisante Jean-Louis qui propose notamment quatre bières à la pression : une blonde française, une rousse anglaise, une brune irlandaise et une tchèque, la Pilsner Urquell, "la meilleure blonde du monde, affirme t-il, mais que peu de bars proposent car elle est infernale à tirer..."

Bar de nuit et concert après les tapas

Mais tout a une fin et à 21 h 30 les "tapas" restent en cuisine. La Caravelle devient un bar de nuit, ouvert jusqu'à deux heures du matin, où les alcools forts sont appréciés. Titulaire d'une licence IV, elle propose une quinzaine de marques de whiskies et de bourbons, jusqu'à 15 ou 17 ans d'âge, ainsi que rhum, tequila, cognac, armagnac, poire, mirabelle, prune...

Jean-Louis Carasso peut alors s'adonner en toute liberté à son amour du jazz contemporain. Tous les soirs, il compose sa sélection de disques. Et une fois par semaine, le jeudi, il ouvre sa salle à des musiciens ou groupes régionaux, sans surplus pour le consommateur.

"J'ai choisi de promouvoir le jazz de maintenant, parce que je l'aime d'abord, bien sûr, mais aussi parce que les musiciens qui le pratiquent ont du mal à tourner et que je souhaite les encourager. La formule "club" convient bien à ce style de musique que tout le monde n'apprécie pas et permet aux habitués de rencontrer des gens passionnants".

Parfois, le concert est surprenant. Ainsi la Caravelle a-t-elle exposé pendant une quinzaine de jours des ins-
truments fabriqués par une équipe de musiciens contemporains marseillais qui, le dernier jour de l'expo, les ont décrochés pour jouer.

La Caravelle n'édite pas de programme : le bouche à oreille suffit. "Ma salle n'est pas très grande et je souhaite que tout le monde puisse s'asseoir car il s'agit de musique à écouter. Je ne peux donc accueillir que 70 personnes maximum..."

Seuls sont annoncés les quelques concerts payants -de 50 à 100 F- organisés de temps en temps au hasard des disponibilités des artistes internationaux en tournée dans les environs.

"J'ai en fait une clientèle de fidèles, dont beaucoup d'artistes, qui nous fréquentent du matin au soir. Il n'y a qu'à midi que cela change un peu. Encore que certains viennent manger chez nous jusqu'à quatre fois par semaine..."


L'HÔTELLERIE n° 2560 Magazine 7 Mai 1998

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