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Jean-Louis Manoa, vingt ans rue Mercière à Lyon !

Né en Bresse, ce cuisinier au physique de Viking a grandi en Beaujolais avant de s'installer à Lyon. Vingt ans déjà et, à l'époque, la rue Mercière n'était pas l'artère piétonne plutôt bien fréquentée que l'on connaît aujourd'hui.

Etait-il précurseur en s'installant là où, à l'époque, personne ou presque ne le faisait ? Jean-Louis Manoa s'amuse de la question. "Je pourrais répondre que j'avais flairé un bon coup, mais la vérité est surtout que je n'avais pas d'argent et que je ne pouvais m'établir que dans ce quartier."
La rue Mercière d'alors n'était pas celle que connaissent les touristes aujourd'hui. A l'époque, cette artère de la presqu'île lyonnaise était plutôt mal famée.
Quelques bars et hôtels pour une clientèle... interlope, le Bistrot de Lyon ouvert par Jean-Paul Lacombe et Jean-Claude Caro, deux compères qui avaient encore envie de brûler leur jeunesse, et ce Mercière, créé par Jean-Louis Manoa, qui ouvrait là sa première affaire. Voilà pour l'essentiel de la rue en ce 1er mai 78 où Manoa casse sa tirelire pour en sortir 160 000 francs nécessaires à l'achat d'un pub qui fut, auparavant et à partir de 1890, le restaurant Lafay puis Chez Charles. A deux pas du marché de gros sur le quai Saint-Antoine, le patron y servait alors de la soupe à l'oignon et des mâchons dès quatre heures du matin !
Dans sa traboule (1) sur quelques mètres carrés, le succès de Jean-Louis Manoa est immédiat et son restaurant de vingt places (2) affiche souvent complet. Si les copains assurent au départ l'essentiel de la clientèle, celle-ci s'élargit très vite. Et l'on vient désormais rue Mercière avec l'assurance de se régaler d'une cuisine classique que l'on n'avait pas l'habitude de trouver dans le coin.
"C'était un peu atypique et ça choquait un peu, mais c'est la cuisine qui me plaisait et que j'avais apprise..." Manoa a été à bonne école. A Chanoz-Chatenay d'abord, le village de sa petite enfance, tout près de Vonnas où une certaine Mère Blanc régalait les Lyonnais en goguette. Chez son père Paul ensuite, à Villié-Morgon dans le Beaujolais à l'enseigne du Relais des Caveaux. De cette enfance au milieu des fourneaux est née, tout naturellement, la vocation. "Jamais à aucun moment, je n'ai imaginé faire un autre métier", dit Jean-Louis Manoa qui s'embauche chez Francelin, le pâtissier de Beaujeu avant d'opter, définitivement, pour la cuisine. A 14 ans, il entre chez la Mère Andrée comme on entre en religion. A Tassin la Demi-Lune, dans la banlieue est de Lyon, son restaurant est réputé. Michelin a attribué deux étoiles à cette élève de la Mère Brazier. En cuisine, Jean Ladevant propose les classiques du répertoire : quenelles, volaille demi-deuil, soufflé glacé au Grand Marnier. "C'était magnifique, s'enflamme encore aujourd'hui Jean-Louis Manoa. On pouvait comparer cette cuisine sincère et véritable à celle de Paul Bocuse à Collonges. Aujourd'hui, parler de la qualité des produits est à la mode... alors que c'est quand même la moindre des choses. Là, on n'en parlait pas, mais c'était fondamentalement beau et bon."
Complété par les cours dispensés par les chefs Perrier et Maret, véritables apôtres de la formation professionnelle, un tel apprentissage le marque à vie !
La suite passe par le Pied de Cochon de Roger Chapeland, des saisons à l'Alpe d'Huez, et des stages dans deux belles brasseries lyonnaises aujourd'hui disparues : les Archers et le Savoy. C'est enfin l'installation rue Mercière où les clients découvrent à la carte le foie gras et les coquilles saint-jacques copinant avec l'andouillette, les écrevisses à la crème et le coq au Morgon...
"Pendant quatre ou cinq ans, ce qui est énorme à Lyon, j'ai bénéficié d'un beau courant de mode avec une clientèle de notaires, avocats et médecins. A la fin des années soixante-dix, les gens venaient s'encanailler dans les petits bistrots. Ensuite, la mayonnaise est montée avec l'arrivée de nouveaux restaurants et nous nous sommes orientés vers cette cuisine de bouchon qui était notre vocation. Aujourd'hui je propose 50 % de cuisine lyonnaise et 50 % de cuisine de saison."
La clientèle change, les prix grimpent dans cette rue où il faut désormais aller quand on passe à Lyon. Le Mercière s'en tire plutôt bien et devient la "cantine" des gens de cinéma qui tournent entre Rhône et Saône. Au fil des ans, Manoa copine avec Patrice Chéreau, Bertrand Tavernier, Jacques Deray et Gérard Jourd'hui.
Vingt ans plus tard, la rue Mercière est-elle toujours ce qu'elle était ? "Elle n'a pas très bonne image, surtout chez certains confrères qui pensent qu'il suffit d'ouvrir la porte pour avoir des clients. Ce n'est quand même pas tout à fait le cas et il y a des creux comme partout."
Jean-Louis Manoa ne se plaint pas. En vingt ans, le "petit menu" est passé de 21 à 79 francs et le pot de 46 cl de rouge de 7 à 50 francs. Il affichait l'année dernière un chiffre d'affaires de 6,1 MF contre 4,6 MF deux ans plus tôt ! "Avec un ticket moyen à 120 F le midi et à 160-170 F le soir. La hausse du chiffre provient de la vente plus importante de vins bouchés que de pots. Je pense depuis longtemps à m'installer ailleurs pour être plus au large (NDLR : il évolue dans une cuisine de 10 m2) et faire la cuisine que j'aime. Je veux créer une maison classique avec des idées actuelles", affirme pourtant Jean-Louis Manoa.
J.-F. Mesplède

(1) C'est ainsi que l'on nomme à Lyon une ruelle reliant des maisons ou des groupes d'immeubles. Stendhal écrivit en 1833 lors d'un séjour à Lyon : "Ce qui fait mon désespoir, ce sont ces allées obscures et humides qui servent de passage d'une rue à l'autre."
(2) Il s'est par la suite agrandi avec l'acquisition d'un local contigu (500 000 F d'investissements en 1982). La capacité est désormais de 74 places à l'intérieur et 55 en terrasse.

© Christelle Viviant

"Jamais à aucun moment, je n'ai imaginé faire un autre métier", dit Jean-Louis Manoa .© Christelle Viviant

Le Mercière
56 rue Mercière 69002 Lyon
Tél. : 04 78 37 67 35.
Ouvert tous les jours
Formule du jour à 79 F
Menus à 118 et 138 F.


L'HÔTELLERIE n° 2605 Hebdo 18 Mars 1999

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