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du 12 février 2004
RESTAURATION

Cuisines exiguës, frigos défaillants, clients exigeants

ET SI VOUS DEVENIEZ 'CHEF À DOMICILE', UN MÉTIER D'AVENIR ?

Le chef Frédéric Rame a créé la première association de chefs à domicile en France, pour promouvoir cette nouvelle 'variante' du métier et fédérer ses acteurs. Il nous livre son expérience, les avantages et les inconvénients d'une profession qui répond à de nouvelles attentes de la société de consommation.

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Pour Frédéric Rame, "l'idéal, c'est un dîner pour 8 personnes".

Après 1 h 30 de route, Frédéric Rame arrive sur les hauteurs d'Alès à bord de son auto qui peine un peu sous cette chaleur d'été, après cette sinueuse route des Cévennes. Sa cliente du jour, Mme Melinas, fête son anniversaire, et pour profiter au maximum de cette journée, elle a choisi de faire faire la cuisine par un chef. Frédéric Rame connaît déjà les lieux : il est venu en repérage quelques semaines auparavant pour voir le matériel, les conditions de travail et l'espace.
Il est 18 heures. Le chef à domicile sort les caisses de produits de sa voiture - un peu comme un musicien qui s'apprête à monter sur scène - et du réfrigérateur pour les transférer dans sa cuisine d'un soir. Dans ses grandes boîtes plastique, il transporte les assiettes, le nappage, les chiffons, quelques casseroles, une rallonge et le matériel de base pour cuisiner. Aujourd'hui, la cliente a débarrassé toute la cuisine. Il n'a donc plus qu'à s'installer. Il protège les meubles et la table de travail avec des chiffons. Il a même ramené la machine à café, au cas où... Et il ne se déplace jamais sans ses poêles ! Il y aura 16 convives ce soir. La cliente a réservé la surprise du chef à ses invités. "Aujourd'hui, c'est mon jour. Je ne m'occupe de rien. C'est une amie qui m'a parlé de M. Rame, parce que son oncle l'a fait venir plusieurs fois. J'ai trouvé l'idée séduisante, ce n'est pas très courant...", estime Mme Melinas.
En 4 ans, Frédéric Rame a construit son réseau de clientèle, par le bouche à oreille. Son activité de professeur de cuisine à l'Education nationale, à mi-temps, lui a permis de tester et de se lancer dans cette nouvelle activité en douceur... qui a mis 3 ans à démarrer, avant de pouvoir en vivre."La première année, c'est impossible de s'en sortir. J'ai commencé en répondant à une annonce pour une maison bourgeoise qui cherchait un cuisinier au mois d'août 1997. Depuis, j'y vais tous les ans, environ un mois et demi éparpillé sur l'année, avec des repas midi et soir. J'ai trouvé que c'était une formule sympathique." Sa nouvelle clientèle : des gens aisés de la région, mais pas de grande bourgeoisie. "Ça reste convivial, on n'est pas considéré comme du petit personnel." En ce sens, l'activité du chef à domicile a légèrement tendance à se démocratiser vers une clientèle qui n'aurait pas fait appel à ce genre de service avant. La télévision aidant, l'idée du chef à domicile commence à se faire connaître et accepter, même s'il est vrai que tout le monde n'est pas prêt à ouvrir sa cuisine à un 'inconnu'. "Ce n'est pas facile de rentrer chez les gens dans la région. Dans le nord, les gens sont moins chaleureux au premier abord, mais plus faciles après. Ici c'est plutôt le contraire." Mais après la diffusion de l'émission télévisée sur les chefs à domicile par Envoyé Spécial en novembre 2002 puis en mai 2003, le site Internet www.chef-a-domicile.com est passé de 50 à 600 connections par jour !  

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Frédéric Rame vient en repérage pour voir le matériel, les conditions de travail et l'espace.

Avoir l'œil partout
Le plus important de l'activité pour le chef à domicile est concentré le week-end, le vendredi et le samedi soir. "En général, les repas sont commandés 1 à 2 mois à l'avance, mais certains prévoient 4 mois à l'avance, et pour les fêtes, c'est 8. Au printemps, j'ai beaucoup de communions, de baptêmes, de fiançailles. Je n'ai pas encore démarché le marché des affaires mais je le ferai plus tard", commente Frédéric Rame tout en essayant de comprendre comment fonctionne le four de Mme Melinas... C'est une des nombreuses surprises qu'il rencontre sur le terrain. Mais le chef commence à les connaître. "Je n'y avais pas pensé avant ma mésaventure, mais il faut faire attention aux animaux domestiques. Un jour, j'avais posé le plat sur le rebord de la fenêtre pour le faire refroidir et le chat de la maison l'a confondu avec sa gamelle !" Quand on est chef à domicile, il faut avoir l'œil sur tout. "La propreté est hyper importante. Il faut aussi un laboratoire pour pouvoir préparer ses mises en place et du personnel de confiance et qui s'adapte." Il déplie le nappage damassé, pose les photophores et met la table, sort le seau à champagne, remplit le frigo, et voilà qu'il attaque les feuilletés des petits fours. Aujourd'hui, les clients ont choisi le menu à 30 e par personne, le moins cher sur la carte du chef. En entrée, ce sera une Terrine de lapereau à l'estragon, compote d'oignons confits, vinaigrette d'herbes, puis une Escalope de saumon poêlée, terrine de roquefort aux abricots mi-secs marinés au muscat et Rôti d'abricots, suivi de mignardises. Le chef sort les canapés qu'il a préparés le matin même puis enfourne les feuilletés. Exceptionnellement, et parce qu'il a fini très tard la veille, il a effectué sa mise en place et les apéritifs dans la journée dans un laboratoire. Jusqu'à 8 personnes, le chef travaille tout seul ; au-delà, il prend quelqu'un en salle. Le client, lui, ne s'occupe de rien. Le chef à domicile peut même fournir le pain et le vin, selon la demande, même si les clients ont souvent leur boulanger attitré. "Au début, je ne proposais pas la vaisselle ou je la louais. A présent, je viens avec mon service, ce qui m'évite de nettoyer chez le client. Mais le prochain investissement, c'est la voiture !" Frédéric Rame vit à Palavas-les-Flots. La veille, il a fait un dîner à Saint-Etienne. Dans ces cas-là, il facture le trajet (0,5 e du kilomètre) et la nuit d'hôtel si nécessaire. Côté finances, l'activité a ses avantages et... ses inconvénients. "Financièrement, on dépense seulement ce dont on a besoin en termes de produits, et c'est une garantie de fraîcheur pour le client. Je me fais plaisir en faisant ces repas. Je ne calcule pas le temps. Les heures, je ne les ai jamais comptées, les prix de vente sont fixés par rapport au prix d'achat des matières, pas par rapport au temps passé, c'est un ensemble. La moyenne des repas que je vends est de 42 e. La première fois, les gens prennent tout le temps le menu le moins cher (30 e). Ils me versent un acompte de 50 % pour les courses. J'ai entre 12 et 15 personnes en moyenne. J'ai fait 3 Saint-Valentin l'année dernière. Dans ce cas-là, je ne gagne rien, même avec le menu le plus cher. En fait, je ne suis pas payé au taux horaire. J'ai fait un mariage pour 60 personnes, mais je ne le ferais plus, c'est une autre organisation. 25 personnes, c'est le maximum. L'idéal, c'est un dîner pour 8 personnes."
Il est 19 heures. Les mises en bouche sont prêtes, la table est mise, les aliments rangés. Mais le chef, lui, ne mangera pas ce soir. Pas pendant les heures de service. Il reprend : "On peut gagner plus en travaillant moins, on n'est pas à attendre le client au quotidien, on a une vie un peu plus réglée puisque les prestations sont prévues à l'avance. Si l'on a assez travaillé, on peut lever le pied. Cependant, on a les mêmes contraintes que les restaurateurs face au client. Il faut être encore plus souple, mais on a une relation différente avec eux : ici on nous voit, pas dans un restaurant. C'est un métier qu'on peut faire quand on a fait ses bases dans de bonnes maisons, et lorsqu'on sait être polyvalent. On me pose beaucoup de questions à travers l'association, les jeunes pensent qu'ils vont moins travailler. La différence, c'est qu'on travaille pour soi..."

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Au-delà de 8 personnes, le chef prend quelqu'un en salle.

Déduction fiscale pour les tuiles à l'orange
Et le chef sait de quoi il parle. Ancien finaliste du championnat de France du Dessert et diplômé de l'Académie nationale de cuisine en 1984, il a travaillé notamment dans les cuisines des frères Troisgros à Roanne, des Haeberlin à l'Illhaeusern et de Joël Normand au Palais de l'Elysée avant de se lancer. Autre avantage de ce nouveau métier, c'est la déduction fiscale de 25 % du prix d'un menu (soit une réduction qui correspond à la moitié des sommes versées) pour prestations de services à domicile. "Je sais que certains chefs à domicile ne sont payés qu'en chèques emploi-service et en liquide pour les courses. Les gens sont très peu au courant qu'ils peuvent bénéficier d'une déduction d'impôts. C'est conséquent, 25 % de déduction. Quant aux chèques emploi-service, les gens les connaissent très peu. J'ai monté une microentreprise en nom propre, je n'ai donc pas de comptable et je suis imposé sur le revenu. C'est un système qui est bien si l'on n'a pas beaucoup d'investissement, mais l'inconvénient est la TVA que je paie ; je ne la récupère pas. L'avantage, ce sont les paperasses. Je fais une déclaration sur le revenu sur l'année. Je sais que beaucoup de chefs à domicile sont en microentreprise."
19 h 30. Entre les petites Madeleines au citron vert qui seront servies en mignardises et les Tuiles à l'orange en dentelle, Frédéric Rame met la dernière touche aux assiettes d'entrée. Les Pruneaux au lard à la poêle sont tout juste cuits ; il va pouvoir lancer l'apéritif. 20 heures. Les invités arrivent au compte-gouttes et défilent dans la cuisine pour voir le chef, un peu étonnés, avant de se réunir pour l'apéritif sur la terrasse. Les bouteilles de champagne sont débouchées et le chef se transforme en serveur. "Les restaurateurs me regardent de travers parce qu'ils ont peur qu'on leur vole de la clientèle. Mais c'est une nouvelle tournure pour la profession et il va falloir faire avec. C'est une entreprise nouvelle", commente-t-il. Une adaptation du métier à son époque qui n'est pas concurrente de la restauration classique mais complémentaire. Et, au vu de l'engouement des jeunes pour cette variante du métier, il serait temps d'en parler dans les formations...
K. Kulawick zzz22v

L'Association des chefs cuisiniers à domicile

L'Association des chefs Cuisiniers à domicile a été créée pour produire une dynamique de groupe : fédérer, échanger les expériences, créer un répertoire national, et se battre pour que ce métier soit reconnu.
"Qu'on parle davantage de nous. On est plus forts quand on est plus nombreux. En tant que chefs à domicile, nous n'avons pas de vitrines, pas de boutiques, si l'on est en réseau, on sera mieux référencés, sur Internet notamment. La cotisation est de 150 e par an. Nous avons créé un site Internet : www.chef-a-domicile.com et un guide des chefs à domicile."
Les 60 adhérents viennent de France, mais aussi de Belgique, de Suisse, d'Ecosse, de Nouvelle-Calédonie ou de l'île Maurice, ont entre 22 ans et "l'âge de la retraite", et compte 4 femmes.
En France, Frédéric Rame a dénombré 80 chefs à domicile. "Je refuse beaucoup de repas. Le but de l'association est justement de se passer des clients. Si je ne peux pas venir, ils me demanderont si je connais quelqu'un."


www.chef-a-domicile.com
E-mail : rame@free.fr
24, av. du Général de Gaulle
34250 Palavas-les-Flots
Tél. : 06 11 32 79 38 zzz76v

 

La vocation d'être chef à domicile

Rodolphe Fischnalier, 31 ans, n'est plus un chef comme les autres. Après avoir œuvré sur différents grands pianos parisiens et étrangers, il est venu s'implanter à la frontière du Lot et de la Corrèze, fondant, avec 8 000 e, sa propre SARL.


Rodolphe Fischnalier a réalisé 80 000 e de chiffre d'affaires en 2003. 

Vocation affichée : aller chez les autres se mettre aux fourneaux et proposer aux particuliers les services d'un grand cuisinier à leur domicile. "La formule plaît, résume Rodolphe Fischnalier, et les demandes ne cessent d'affluer. J'apporte mes gamelles - le client choisissant avec moi auparavant menus et denrées - et je prépare le restant sur place jusqu'au dessert. La maîtresse de maison peut profiter de mes connaissances et rester en cuisine avec moi à regarder la conception des plats."
Avec un investissement limité à l'apport, sans personnel et sans frais excessifs, le jeune chef aura réalisé, en 2003, 80 000 e de chiffre d'affaires, travaillant à 90 % le week-end entre Brive, Cahors et Périgueux. Sa prestation coûte en moyenne 30 e par convive, et il peut en traiter une petite centaine en banquet.
"Mais ce sont souvent des particuliers, pour des repas familiaux, qui me réclament, estime Rodolphe Fischnalier. Des soirées de 10 à 20 couverts la plupart du temps, sur des menus que je propose souvent (une vingtaine est élaborée à l'avance) ou en suivant les désirs précis de mon client." Intégré à l'Association des chefs cuisiniers à domicile créée en septembre dernier par son homologue Frédéric Rame de Palavas-les-Flots, ce cuisinier indépendant développe de nouvelles idées. Comme la conception d'un laboratoire normalisé (30 000 e d'investissement), qui lui permettra de monter un service traiteur et d'embaucher 1 ou 2 salariés.
"Ma recette de réussite est simple, admet-il. La publicité se fait par le bouche à oreille, et les dépenses de départ sont limitées à des outils pratiques. Le marché est prometteur, les besoins réels, la clientèle existe, mais il y a des contraintes. Il faut être disponible, avoir l'esprit ouvert, proposer du concret et ne pas s'endormir sur ses lauriers. Ici, ce n'est pas le client qui vient chez nous, c'est le contraire."
J.-P. Gourvest zzz22v

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L'Hôtellerie Restauration n° 2859 Hebdo 12 Février 2004 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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