Nîmes
"Ce n'est pas le
travail lui-même qui est usant, ce sont plutôt le poids des charges et la pesanteur
administrative que je ne supportais plus. Un établissement comme celui-là demandait trop
pour ce qu'il laissait..." Depuis quelques années déjà, Jean-Marie Lagrange ne
cachait pas une certaine lassitude morale. Et si le cofondateur du San Francisco steak
house, dans une rue un peu à l'écart du centre-ville de Nîmes, gardait, devant son
gril, un solide sourire, c'était avant tout par goût du contact avec une clientèle
aussi nombreuse qu'au premier jour.
C'était le 1er juin 1981 et Claude Nougaro, invité d'honneur, devenait une sorte de
parrain de cet établissement original.
Original par son créneau, spécialiste de la viande ; son décor, très nord-américain
et ses créateurs, Jean-Marie Lagrange, petit-fils de boucher, fils de boucher et boucher
lui-même et Michel Hermet, fils de vigneron et... sommelier lui-même. "Nous
avons passé quatre années ensemble à Montréal à l'hôtel Quatre Saisons. L'amitié
qui nous liait nous a poussés à chercher comment nous pourrions continuer à travailler
ensemble, à notre retour en France." Ils ont donc cassé leurs tirelires (250
000 F), convaincu une banque de les aider (200 000 F) et acheté un local occupé
jusqu'alors par une brocante.
Succès immédiat
Une salle de 40 couverts, une viande sélectionnée sur pattes ou à l'abattoir, des vins
d'ici ainsi que de Californie et un lieu où les noctambules trouvaient même tardivement
un accueil chaleureux, la recette du succès était là. Il fut immédiat et le San
Francisco devint vite LE lieu à la mode de Nîmes.
Jean-Marie et Michel ont ensuite des idées et en novembre 1987, le San Francisco wine
bar, ouvert à 200 mètres de son grand frère, permet à chacun de s'exprimer dans son
domaine. Toujours associés, ils ouvrent un bar et une grande salle supplémentaire au
premier des deux restaurants (1988) puis un patio très couru durant les ferias (1990). En
1995, le boucher et le sommelier se décident à séparer les deux sociétés et
Jean-Marie Lagrande songe sérieusement à prendre du recul. "Mon objectif était
d'arrêter avec l'arrivée de l'an 2000. Mais il n'était pas question de fermer purement
et simplement. Je voulais que cette maison où il y a mon âme et où beaucoup de clients
sont des amis continue à vivre."
Pas facile, justement, de vendre un lieu aussi personnalisé. Il va d'ailleurs s'en rendre
compte. "Lorsque je fais le compte des frais engendrés par cette vente, j'atteins
un budget de 100 000 F. En France comme à l'étranger, j'ai tout essayé."
Solution interne
La solution viendra finalement de l'équipe qui compte sept salariés. Micheline Schoch,
la comptable du restaurant, et Serge Fica, son compagnon, vont proposer de tenir ce rôle
de successeurs. C'est finalement le Crédit du Nord qui va les suivre dans leur projet.
"Mais pour que la vente soit possible, j'ai dû baisser le prix, reconnaît
Jean-Marie Lagrange. Nous sommes bien en dessous de la valeur estimée par rapport au
chiffre d'affaires (3 MF en 1998) mais si on ne fait pas un effort, il n'y a personne pour
racheter."
Micheline Escoch, qui a pris la direction de l'établissement fin octobre, est aujourd'hui
en période d'observation. Et s'il n'est pas question de changer une formule gagnante,
elle espère apporter certaines petites touches personnelles. "Côté cuisine, je
pense notamment introduire plus de plats mijotés dans ce qui constitue notre formule du
jour. Mais ce sera tout. Pour le reste, nous faisons confiance à toute l'équipe et aux
fournisseurs qui connaissent la rigueur de la maison."
Avant de partir au Canada, pour des vacances mais aussi pour laisser mûrir de nouveaux
projets, Jean-Marie Lagrange a formé David Desert au travail du gril. C'est qu'ici 70 à
75 % de la clientèle viennent pour manger de la viande et que la meilleure façon de ne
pas leur faire sentir le moindre changement passe par l'assiette...
J. Bernard
L'HÔTELLERIE n° 2643 Hebdo 9 Décembre 1999