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Expérience

Cuisine entre quatre murs

Ce livre fait actuellement la joie - si l'on peut dire - de beaucoup de détenus dans les prisons françaises. Brûlot d'humeur et d'humour, il décrit avec esprit, et un indéniable talent littéraire, l'univers glauque des maisons d'arrêt par le biais de la cuisine.

L'auteur, Philippe A. Leclercq et l'éditeur Antoine Soriano (*) ont tous les deux été les hôtes de la... Santé, haut lieu carcéral ainsi nommé à cause de sa mission rédemptrice et éducatrice qui se manifeste, entre autres élévations spirituelles, par le soin et le goût apportés à la confection des repas.
Comme beaucoup d'aventuriers, l'auteur aura exercé les métiers les plus divers en Europe, en Afrique et aux Etats-Unis : terrassier, barman, colporteur, chanteur et musicien, conseiller particulier d'un chef d'Etat, usurier (serait-ce la même fonction ?) et, bien sûr, chef de cuisine.

Plat chaud : servi froid
Aussi, au fil des pages, faisons-nous un parcours... savoureux car s'il ne mâche pas ses mots, il les savoure en revanche à l'instar d'un Queneau, d'un Frédéric Darre voire d'un Victor Hugo. C'est un adepte de la "sémiogustativologie". Tout y passe, de la philosophie éthérée au réalisme le plus sordide, avec son cortège de puanteurs et de bassesses, avec ses rêves de gueuletons rabelaisiens ou sa théorie sur l'art de trier les patates qui fait l'homme libre. Avec ses complicités, avec des musaraignes incarcérées mais libres, ou son aversion pour un compagnon de cellule abject savourant une saucisse aussi capiteuse que pourrie.
Leclercq a aussi quelques définitions-clefs comme : "plat chaud : servi froid" ; "maton : porte-clés parasite du détenu, lequel développe à son corps défendant une complophilie aiguë" ; "rab : part de prébende des absents allouée en supplément aux présents, bien que la prison soit un sacerdoce sans bénéfice".
On aura compris que faire de la cuisine à la Santé avec des casseroles de fortune et des ingrédients mal définis c'est, en empruntant les aphorismes d'un Oscar Wilde ou d'un Pierre Dac, une forme d'évasion.
C. Bannières

(*) Antoine Soriano, éditeur, 127 rue de la glacière, 75014 Paris.


Philippe A. Leclercq


L'HÔTELLERIE n° 2632 Hebdo 23 Septembre 1999

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