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Le succès de Régis et Martine Crépy

Voilà un peu moins de quinze ans, Régis et Martine Crépy se sont risqués à traverser la Manche. Une aventure qui leur a réussi puisqu'ils sont aujourd'hui à la tête de trois entreprises implantées à une bonne heure de Londres et emploient près de quarante personnes. Récit de "voyage"...

Par Claire Cosson

Des yeux pétillants de malice, un sourire enjôleur, l'homme ajuste son gilet de flanelle et lance à la cantonade dans un anglais impeccable : "Welcome and have a nice stay at The Great House !" Installé au coeur d'un charmant petit village, Lavenham, situé à une centaine de kilomètres au nord-est de Londres, dans le Comté du Suffolk, Régis Crépy a tout du parfait "Gentleman Farmer" lorsqu'il accueille ses hôtes dans sa demeure. C'est à n'y rien comprendre d'ailleurs. Parce que malgré ses "faux-semblants" avec Tony Blair, ce patron dynamique, la quarantaine séduisante, n'a pourtant rien de britannique puisque né de l'autre côté de la Manche à Lille.

Reste qu'on ne choisit probablement pas de s'exiler au pays de l'auteur du "Roi Lear" sans partager avec cette nation une forte volonté d'indépendance et un singulier esprit d'entreprise. Ce n'est pas en effet exclusivement pour les "Petites Anglaises...", qu'à l'âge de 27 ans, Régis s'en est allé travailler en Grande-Bretagne. Attendu qu'il ne s'y est pas rendu seul, Martine, son épouse, étant toujours à ses côtés pour faire les valises et filer vers des cieux plus cléments.

Ce n'est pas uniquement non plus pour acquérir un irréprochable accent "typically british" ou bien encore s'adonner au "Tea Time" que cet hôtelier-restaurateur s'est décidé à effectuer la traversée Calais-Douvres. Un tempérament à part et le goût du risque ont en fait motivé ce voyage, aujourd'hui encore sans retour (à l'exception de quelques trajets vers Rungis pour y faire son shopping en charcuteries, fromages et autres denrées rares en Angleterre). Et le jeu en valait apparemment la chandelle.

Les choses ont en effet là-bas plutôt bien tourné pour le couple Crépy. La preuve. En un peu moins de quinze ans, voilà aujourd'hui nos "aventuriers des temps modernes" à la tête de trois entreprises représentant un chiffre d'affaires global de l'ordre de 15 millions de francs et employant une quarantaine de personnes. Le tout bien sûr "délocalisé" outre-Manche, à une bonne heure de la capitale londonienne.

"Aventuriers des temps modernes"

Pour parvenir à de tels résultats, il y a eu inévitablement des hauts et des bas. D'autant plus, qu'en dépit de leurs diplômes obtenus sur les bancs de la fameuse Ecole hôtelière de Lausanne et leur solide expérience professionnelle dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration (Novotel Neuchâtel, "Le Rhodannia" à Verbier en Suisse, "Le Chalet suisse" à Lausanne groupe De Mercurio, "Les Roches Fleuries" au Lavandou...), nos deux protagonistes n'excellaient guère fin 1983 dans la langue de Shakespeare.

"A l'époque, je ne parlais pas un mot d'anglais", avoue un peu honteux Régis Crépy. Qu'à cela ne tienne. Quand on veut, on peut ! Il repart à zéro et joue les serveurs de restaurant durant quelques mois à Londres tandis que sa femme se fait hôtesse au Swiss Center. Très vite, on le repère et lui confie un poste à responsabilités alors qu'il persévère dans sa découverte de l'anglais en suivant des cours particuliers l'après-midi. Le voilà donc qui prend la direction d'un restaurant gastronomique à Hertford dans le Hertfordshire, sur la route de Cambridge à une heure de Londres. Les mois passent et le savoir-faire de Régis, associé à sa "French Touch", séduisent chaque jour davantage les Britanniques. A tel point qu'un client fidèle lui glisse à l'oreille à l'occasion d'un dîner : "je viens de prendre une petite affaire fort sympathique à Lavenham dans le Suffolk, baptisée The Great House. Ça vous tenterait ?".

Cinq chambres quatre étoiles

Régis Crépy ne fait ni une ni deux. Il embar-que femme et enfants en juin 1985 pour pren-dre en mains les commandes de ce qui va devenir sa tout première entreprise (achat murs et fonds de commerce). D'abord restaurant classique français proposant des spécialités du terroir adaptées au goût anglais, la maison de maître du XIVème siècle agrémentée d'une jolie façade XVIIème, "The Great House", s'embellit puis s'enrichit d'un bar et de 5 chambres cosy classées quatre étoiles (investissement de départ 2,8 millions de francs dont 1,9 en emprunt). Sous le charme, les Anglais fréquentent assidûment cette nouvelle adresse, qui petit à petit monte en puissance pour afficher fin 1997 un chiffre d'affaires de 5 millions de francs et un profit net de 12%.

Reste qu'entre temps, la "mouche" de l'entreprise fait à nouveau des siennes. "Après que la société ait trouvé son rythme de croisière, l'ennui m'a gagné", indique le patron français. Et d'ajouter, "ici, il n'y a pas de volonté de tout décider d'en haut ! Les autorités privilégient l'initiative privée et la responsabilité individuelle. Alors, j'ai essayé sans hésiter de tenter une nouvelle fois ma chance." Avec succès bien sûr. En 1994, il crée ainsi une société PC Restaurant et s'en va reprendre le bateau. Il ne s'agit pas cependant cette fois-ci de partir en mer, mais de rester amarrer aux docks à Ipswich (Suffolk) sur "Il Punto the brasserie on the quay". Ce Ferry, construit en 1899, fait en effet office de restaurant depuis le début 1990.

Le sens collectif

La "traversée" s'avère hélas agitée puisqu'à la prise de commande par Régis Crépy, l'affaire perd près d'1,5 million de francs par an. "Il y avait là un véritable challenge pour remettre le navire à flot. Avec un peu d'imagination, beaucoup de rigueur et une prestation de qualité, la chose était néanmoins jouable", confie Régis. De fait, après un investissement de 400.000 francs et une refonte de la carte (plats traditionnels de brasserie allant de 35 francs à 125 francs), le "bateau ivre" retrouve le sens du roulis en dégageant un profit net de 11% en 1997 pour un chiffre d'affaires : 5 millions de francs.

Sur sa lancée, l'argent aidant et l'esprit d'indépendance le titillant toujours autant, l'ancien élève de Lausanne délie à nouveau les cordons de sa bourse (1,8 million) pour fonder une nouvelle société et ouvrir la "Maison Bleue at Mortimers" à Bury St-Edmunds (Suffolk). Opérationnel depuis la fin avril 1998, ce restaurant de poissons devrait réaliser d'ici la fin de l'année une recette de 5 millions de francs. "Les Anglais adorent le poisson. Et puis il n'y a rien à faire les entrepreneurs "marchent" aussi à la création de valeur", précise l'intéressé. En clair, Régis envisage bel et bien de dupliquer ce concept. D'autant que des propositions d'investisseurs se profilent d'ores et déjà à l'horizon.

Reste que cette démarche individuelle n'est pas pour autant contraire au sens collectif. "Je suis indépendant de nature, mais je sais que l'on ne parvient à rien sans de solides équipes. Par conséquent, j'ai véritablement envie de développer des projets en impliquant à fond mes collaborateurs", souligne le patron de The Great House. Des paroles qui s'appliquent dans les faits puisqu'un certain nombre d'employés sont intéressés à la bonne marche des différentes entreprises avec possibilité dans l'avenir d'entrer au capital. Ajoutons en outre que le couple Crépy a acquis trois maisons pour assurer le logement des membres de son équipe. Parmi les critères de sélection, le sens de la responsabilité figure évidemment en tête de liste ainsi que la nationalité française.
A bon entendeur entrepreneur en herbe !

 


"On tue l'emploi en France en mettant en place des mesures qui finalement nuisent à l'esprit d'entreprise. En Grande-Bretagne, il n'y a pas d'Etat providence, mais on favorise les initiatives privées", reconnaît Régis Crépy.


The Great House dispose de cinq chambres quatre étoiles où l'on s'abandonne très vite aux plaisirs de la campagne anglaise.


L'esprit d'entreprise n'est pas l'ennemi du sens collectif. Régis et Martine Crépy accordent en effet beaucoup d'importance à leurs équipes intéressant ces dernières à la bonne marche de leurs affaires.


Lancé en 1994 dans la ville d'Ipswich, "Il Punto the brasserie on the quay" dégage aujourd'hui un chiffre d'affaires de 5 MF et un profit net de 11%.


L'HÔTELLERIE n° 2565 Magazine 11 Juin 1998

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