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LICENCE IV
Bière

Bière artisanale

Jean Michard, dernier brasseur limougeaud, songe aux Etats-Unis

Unique survivant d'un monde aujourd'hui oublié, Jean Michard perpétue la tradition limougeaude des brasseurs. Il envisage même d'exporter son savoir-faire aux Etats-Unis. Rencontre.

Par Jean-Pierre Gourvest

En ouvrant sa nouvelle brasserie de l'autre côté de la place Denis Dussoubs, au coeur de la capitale porcelainière, Jean Michard, âgé de 49 ans, aura fait plus que changer de trottoir. Son emménagement marque une nouvelle étape dans une stratégie d'expansion démarrée en 1987, quand, avec audace, il renoue avec la tradition limougeaude des brasseurs.

Car, le saviez-vous, Limoges, en dehors de ses assiettes, et plus récemment de son basket, était au début du siècle réputée pour ses bonnes bières ? On comptait alors 49 établissements du genre, dont le célèbre Mapataud fermé en 1970, et bien d'autres baptisés Picat, Grasser, Rey et Cie, Les Bénédictins. La raison de leur succès, et de leur prolifération, étant liée, dit-on, à la qualité des eaux locales.

Elève des 3 Brasseurs

Jean Michard, cafetier de métier, se veut aujourd'hui l'héritier de ces artisans. Mais c'est sa rencontre, dans les années 80, avec les 3 Brasseurs, à Lille, qui sera déterminante.

C'est à leurs côtés qu'il va tout apprendre du métier de brasseur. Une fois formé, Jean Michard décide de réécrire l'histoire de la bière limousine, version fin de siècle, la technologie en plus.

Après avoir commercialisé avec succès sa production au café Le Paris, il vient donc d'inaugurer sa Brasserie Saint-Martial, du nom du saint protecteur de la ville. Dans un décor qui n'est pas sans rappeler l'intérieur d'une usine à bières, il propose "sa" boisson, déclinée en six versions, et vendue sur place ou à emporter : blanche, ambrée, brune, blonde, elles ont toutes en commun d'être fabriquées sur place, devant les consommateurs, du concassage à l'embouteillage, en passant par la bactériologie.

"Deux notions qualitatives sont à retenir, souligne notre homme. D'abord l'eau des sources limousines, qui n'a pas varié depuis cent ans. Ensuite, les souches de levures à partir desquelles j'élabore mes bières. Le reste est une affaire de tour de main".

Un tour de main unique et indépendant, car la Brasserie est une S.A. qui ne dépend d'aucun grand groupe national. Les bières se débitent à la pression, à près d'un millier d'hectolitres par an, ou s'enlèvent en bouteilles à raison de 1.500 litres en moyenne par semaine.

Du tourisme et des demis

"Nous avons de plus en plus d'amateurs, se rejouit Fernando, directeur du lieu. Des autocaristes nous ont inscrits sur leurs catalogues, dans le cadre du tourisme industriel, et même si nous sommes très modestes par rapport à des monstres comme était Mapataud, avec ses 250 employés et ses 80.000 hl annuels, nous tenons notre place. En assumant en quelque sorte un héritage."

La "Bière à Michard" est non pasteurisée, riche en saveurs et son prix reste attractif : 10 F le demi au comptoir.

"Nous ne sommes pas une micro-brasserie, rappelle Jean Michard. Nous sommes avant tout une brasserie artisanale, qui gère l'ensemble de sa filière production, de la matière première brute au robinet verseur. Nous exerçons un métier de passion, mais pas d'amateurs. Nous sommes extrêmement rigoureux, notamment en matière d'hygiène".

Quant à l'avenir, l'unique brasseur de Limoges pense réellement aux Etats-Unis, "là où on encourage encore l'entreprise individuelle". Les USA voient naître de nombreuses petites brasseries et Jean Michard est certain d'y avoir sa place.

"Ici, on meurt de la fiscalité et de la frilosité bancaire. Lorsque je me suis établi, j'ai dû trouver les fonds moi-même, les banques pratiquent une prudence qui freine les bonnes idées. Là-bas, si on présente un projet sérieux, viable, les crédits se débloquent..."

Autre formule à envisager, la mise en franchise du concept qui peut s'implanter n'importe où, dans des conditions identiques, avec un même matériel, et des possibilités similaires. Investissements de base : 700.000 F. A Limoges, le Saint Martial accueille 200 personnes en rez-de-chaussée, 350 au premier étage, emploie 4 salariés, et réalise un CA en progression constante. "Métier de pro, martèle l'entrepreneur, et de gens qui aiment ce qu'ils font. Tout est encore possible et je crois que je le prouve face aux deux ou trois grands groupes qui régissent le monde de la brasserie en France".

Une réussite qui a toutes les chances de s'exporter. Le brasseur limousin doit aller prochainement en Californie, étudier sur place les paramètres d'un marché prometteur. Mais l'oeuvre qu'il aura construite dans sa bonne ville a toutes les chances de lui survivre : ici, la bière quand elle est bonne, s'appelle Michard.

 
La brasserie de Jean Michard, au coeur de Limoges.


L'HÔTELLERIE n° 2565 Magazine 11 Juin 1998

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