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Plan de cuisine

La Brasserie de l'Est à Lyon

Théâtralement vôtre

Lorsque Paul Bocuse et ses associés planchent sur un nouveau concept de brasserie, il en ressort toujours un restaurant hors du commun, au succès affirmé. Après Le Nord, Le Sud, voici L'Est, une brasserie d'un nouveau type ou une autre façon de manger du Bocuse.Du Bocuse au quotidien. Mais ici le spectacle est en cuisine et les cuisiniers devenus acteurs jouent au piano. Visite d'une cuisine pas comme les autres.

Par Cécile Junod

Troisième du genre, la Brasserie de L'Est connaît depuis son ouverture un vif succès qui ne se dément pas. Une carte originale basée sur des recettes venues du monde entier revues et corrigées à la mode de Collonges, une décoration attrayante inspirée de la thématique ferroviaire, une superbe cuisine spectacle et le grand professionnalisme de l'équipe... sont les ingrédients efficaces de cette remarquable réussite.

Reste que le clou du spectacle est le ballet incessant des dix-huit cuisiniers évoluant sous les projecteurs de la cuisine. La mise en scène de cette chorégraphie est signée Frédéric Berthod, le chef. Comme dans tout spectacle, il a fallu répéter. Le personnel s'est entraîné pour adopter les bons gestes. Finis les doigts dans la sauce. Désormais, on goûte avec une cuillère, on saisit les pièces à travailler avec des pinces, on porte en permanence une toque propre et on châtie son langage. A en croire Frédéric Berthod, l'adoption de cette gestuelle apprivoisée n'a guère posé de problème. Chacun, conscient de son rôle d'acteur, s'est plié de bonne grâce aux nouvelles règles. Et pour magnifier le travail des cuisiniers, on a emprunté aux discothèques les tubes de lumière noire permettant de rehausser le blanc des tenues et d'atténuer les taches.


A l'Est, le spectacle se joue en cuisine. Entièrement ouverte sur la salle, elle est équipée de matériels beaux, sophistiqués et performants qui méritent d'être vus. Quant à la brigade de cuisiniers dirigée par Frédéric Berthod, elle fait preuve d'un si grand professionnalisme qu'elle mérite les applaudissements de la salle.

Lutter contre le bruit et les odeurs

«Implanter une cuisine si largement ouverte sur la salle, présente plusieurs intérêts majeurs, explique Jean Fleury, l'associé de Paul Bocuse. Outre la présence d'une animation permanente, la possibilité de voir tout ce qui se passe en cuisine rassure totalement les clients sur la qualité de la prestation servie. Ainsi, on joue la transparence. De plus, cela permet également de valoriser l'équipement sophistiqué mis en place. Beau et performant, il mérite vraiment d'être exposé. Cependant, cela implique l'adoption de solutions techniques adéquates pour surmonter deux principaux handicaps : les odeurs et les bruits. De plus, il est impératif d'assurer une sécurité incendie infaillible».


Le trio complice de L'Est : Paul Bocuse, Jean Fleury, son associé et Frédéric Berthod, le chef.
Un absent sur la photo : Patrice Pechereau,
le manager de l'établissement.

Pour éliminer les odeurs, de grands moyens ont été employés. Un équipement sophistiqué de soufflage et d'extraction a été installé. Par heure, 16.000 m3 d'air sont introduits par des bouches à induction placées au niveau de la salle, tandis que l'extraction en cuisine récupère jusqu'à 18.000 m3/h, créant ainsi une dépression anti-retour d'odeurs. Quant au bruit, on l'a traité, d'une part, à l'aide d'un rideau de cantonnement placé en partie haute tout autour de la cuisine, d'autre part, en suivant un principe homéopathique bien connu et efficace qui consiste à vaincre le mal par le mal. Lorsque la salle de restaurant est pleine, le niveau sonore développé par la présence des clients domine largement celui des cuisines ! D'autant plus que comme nous l'avons déjà précisé précédemment, le personnel a appris à travailler efficacement et sans bruit.

Faciliter le travail des cuisiniers

Côté cuisines, afin que la chorégraphie des toques ne tourne à la cacophonie générale, il était impératif d'imaginer une organisation du travail rationnelle. Et pour ne pas déroger à la législation, le premier principe appliqué fut le non croisement des circuits propre et sale. D'une belle superficie, cette cuisine permettait l'implantation adéquate de chaque poste selon la suite logique de la marche en avant.

Tout d'abord le sas de déconditionnement, suivi du local de préparation des légumes et des poissons. Celui-ci est équipé de deux bacs de lavage distincts permettant de traiter séparément les deux types de produits. A noter deux astuces intéressantes : l'espace compris entre les deux éviers est aux dimensions GN. On peut alors y glisser un bac gastro pour la dépose directe des produits traités. Autre idée à retenir : le trou aménagé dans le plan de travail qui permet aux épluchures sortant de la machine à éplucher les légumes Dito Sama, de tomber directement dans un tiroir coulissant de récupération. Ingénieux.


Au second plan, le «Maestro», la pièce maîtresse de la cuisine. Tout vêtu d'inox et de laiton, ce piano est l'oeuvre d'une équipe de professionnels passionnés.

En sortie de la légumerie, les chambres froides, organisées selon les règles à respecter. Viennent ensuite le local de préparation froide et le labo de préparation chaude équipé d'un four mixte Frima 10 niveaux GN 1/1, d'une sauteuse et d'une marmite électrique basculante à double paroi Cleveland, d'une friteuse Frymaster et d'une marmite gaz à chauffe directe Rosières. «La petite marmite électrique Cleveland nous rend de très grands services, précise le chef. Nous nous en servons énormément pour la cuisson des légumes, des bulots, bigorneaux, et autres escargots... tandis que la sauteuse nous est fort utile pour la préparation du plat du jour».

Cuisiner plaisir avec un «Maestro»

Très bel objet, pièce maîtresse de la cuisine-spectacle, le «Maestro» tout vêtu d'inox et de laiton, a vu le jour grâce à la volonté et la passion de Paul Bocuse, bien sûr, mais aussi de Thierry Brener, P.-dg de Bonnet Cidelcem-groupe HMI. Fabriqué dans la nouvelle usine
de La Motte de Galaure (Drôme) dirigée par Djamel Debousse, ce piano a été réalisé par une équipe de professionnels, amoureux de leur métier. Rappelons que lors de l'inauguration de leur nouvelle usine, Paul Bocuse, lui-même, leur rendait hommage : «Quel bonheur de voir de vrais artistes, produire des chefs-d'oeuvre dignes des Compagnons. Et de conclure, Je ne connais rien de plus beau en cuisine, qu'un Maestro. C'est la Rolls des fourneaux !» Il est certain qu'entre passionnés, le courant passe. Chacun mettant tout son coeur à la réalisation parfaite de son oeuvre.

Conçu sur mesure, comme tout piano digne de ce nom, le fourneau de la Brasserie de L'Est impressionne par ses belles dimensions : 3,5 m x 1,80 m. Particulièrement bien pensé, il est un juste mélange entre plans et points de cuisson. Equipé d'une vaste P.C.F. (près d'un mètre carré) autorisant de larges plages de températures, ce «Maestro» répond bien aux besoins des cuisiniers. On y trouve également deux feux vifs, deux plaques à snacker, deux plaques vitrocéramiques électriques, deux fours traditionnels et deux bains-marie. Une particularité, cependant à mentionner, ce fourneau n'est pas comme la plupart, surmonté d'une salamandre. Ici, on a jugé que pour le confort du personnel, il valait mieux placer ce gril dans un endroit plus isolé. En effet, rien de plus désagréable pour celui qui travaille devant le piano que d'avoir ce fort rayonnement de chaleur à la hauteur du visage.

Maîtriser l'humidité au doigt et à l'oeil

Outre le «Maestro», cette partie de la cuisine à la portée des regards de tous comprend également le poste à pizzas équipé d'un four Morice, en face duquel se trouve le poste de cuisson des poissons. De l'autre côté du piano central, le poste pâtisserie permet la préparation des délices et gourmandises juste «sous le nez» des consommateurs (la présence d'un pare-haleine garantit le respect des normes d'hygiène). Ce poste de travail est muni d'un comptoir saladette contenant tous les ingrédients nécessaires à la réalisation des desserts, d'un conservateur de glace et d'un gaufrier. A L'Est, la gaufre maison est une spécialité. Servie avec une compote de fruits ou du chocolat chaud et de la chantilly, c'est un régal.


Le labo de préparation chaude est équipé d'un four mixte Frima, d'une sauteuse et d'une marmite basculante Cleveland, d'une friteuse Frymaster et d'une marmite gaz Rosières.

 
A côté du poste pâtisserie, voici le dernier-né des fours mixtes Frima, le «Combi ClimaPlus»,
dont Frédéric Berthod nous vante les mérites.

Juste à côté du rayon pâtisserie se trouve le dernier-né des fours mixtes Frima. Véritable petit bijou technologique, le «Combi ClimaPlus» permet de maîtriser dans l'enceinte de cuisson, non seulement la température, mais également le degré hygrométrique. «Pouvoir régler le taux d'humidité, explique Frédéric Berthod, est vraiment un «plus» intéressant pour la qualité finale du produit». Cette fonction permet effectivement de recréer les conditions climatiques idéales à la cuisson de chaque produit. Et pour être sûr de la régularité de la qualité, cet appareil est programmable.

Dès sa conception, il est programmé avec de nombreuses recettes préétablies en usine. Mais le chef peut de son côté établir ses propres programmes. «Plus facile à utiliser que ses prédécesseurs, ce nouveau four Frima est très fiable. Et pour simplifier encore plus la vie de mon équipe, j'ai programmé nos principales cuissons. Il n'y a plus qu'à appuyer sur le bouton. Température, taux d'humidité et vitesse de rotation du ventilateur sont ainsi fixés pour chaque produit à cuire. Et si on veut, ce four peut même s'exprimer en plusieurs langues. Je ne me sers pas de cette possibilité, mais on ne sait jamais...».

Cuisiner théâtral avec une Labesse-Giraudon

Frédéric Berthod utilise de maintes façons son «Combi ClimaPlus», véritable appareil multifonctions. La cuisson à la sonde se justifie pour les jambons et gros rôtis qui ne peuvent être cuits à la broche tandis que la cuisson lente à basse température, programmée la nuit, permet de cuire les très grosses pièces.

«On peut également régler la vitesse de rotation du ventilateur, reprend le chef. C'est aussi très important surtout pour la cuisson des soufflés qui grâce au réglage du degré hygrométrique montent parfaitement et ne se dessèchent pas. Grâce à ce four, nos soufflés chauds sont devenus une vraie spécialité. Et ça marche très fort ! Et d'une façon générale, on peut dire que ce four est très sollicité, notamment pour la pâtisserie : pâte feuilletée, génoise, biscuits... mais aussi pour le pain, les légumes, les gratins, et autres préparations».

Non loin de là, et bien placée juste en face de la porte d'entrée du restaurant, la rôtissoire. Une superbe Labesse-Giraudon en tôle émaillée noire, ornée de laiton. Equipée d'un double foyer à deux sections, elle offre quatre zones de chauffe distinctes pouvant accueillir deux broches horizontales et six verticales. Poulets et volailles de Bresse, pièces de boeuf et de porc, gigots et noix de veau... se dorent lentement tout en aiguisant l'appétit du visiteur. Véritable cuisson théâtrale, la rôtisserie remporte toujours un grand nombre de suffrages. Et pour cause. Lorsque la broche tourne doucement, les graisses qui suintent de la viande s'écoulent lentement tout au-
tour de la pièce. Cet auto-arrosage réalise petit à petit un véritable glaçage. Résultat : des produits bien dorés et croustillants à souhait.

Entièrement climatisée pour le confort du personnel, mise joliment en valeur par la décoration et un éclairage par spots, légèrement surélevée par rapport à la salle, cette cuisine se vit comme une vraie scène de théâtre. «Avec un tel outil de travail et un si chaleureux contact avec la clientèle, les cuisiniers se sentent valorisés, conclut Frédéric Berthod. Si nous devions retourner derrière un mur, je crois que nous serions un peu attristés».
Une dernière précision à propos de L'Est : l'ensemble des travaux a été mené sous la direction de l'architecte Yves Boucharlat.


Face à l'entrée du restaurant, la majestueuse rôtissoire Labesse-Giraudon en tôle émaillée noire ornée de laiton, donne la dernière touche théâtrale au décor de la cuisine.

Quelques chiffres

La Brasserie de L'Est, c'est :

* un investissement de 12 millions de francs (acquisition des murs + travaux).
* une brigade de 18 cuisiniers et 14 plongeurs menée par Frédéric Berthod. Sans oublier le manager du restaurant,
Patrice Pechereau, un ancien du «Nord».

* 120 places assises pour 350 couverts/jour.
* Un prix moyen de 180 francs.

 

Jean Fleury

La réussite au bout du chemin

Puisqu'il est devenu inutile de présenter le célébrissime chef Paul Bocuse, braquons les feux de la rampe sur l'un de ses très proches collaborateurs et associés, Jean Fleury. Présent depuis plus de douze ans dans le giron du Maître Paul, Jean Fleury supervise maintenant les trois brasseries signées Bocuse (Le Nord, Le Sud et L'Est), ainsi que l'Auberge et l'Abbaye de Collonges.

 

A l'âge de seize ans, le BEPC en poche, il commence sa carrière comme apprenti cuisinier à Bourg-en-Bresse. Il poursuit sa formation au cours d'un tour de France et fait une étape de dix ans au Hilton International de Bruxelles. Entré au poste de chef saucier, il ressort chef de cuisine et bardé d'une solide expérience de la gestion. Le Frantel de Lyon sera son étape suivante. Une étape de huit années au cours desquelles il se distinguera en devenant Meilleur Ouvrier de France (1979). Quelques années plus tard, il fait la connaissance de Paul Bocuse et entre à l'Auberge comme directeur de restaurant. Le temps passe et Jean Fleury gagne la totale confiance de son maître. Aujourd'hui, il est président directeur général du groupe Nord-Investissement dont Paul Bocuse détient 50% du capital, lui-même 26%, Christian Bouvarel 13% et Roger Jaloux 10%.

Très présent sur toutes les exploitations du cru Bocuse, Jean Fleury gère 170 emplois et plus de 75 millions de chiffre d'affaires. A noter que ce groupe a investi, au cours des trois dernières années, 30 millions de francs et créé plus de 100 emplois. Une gageure en ces périodes économiques qualifiées de moroses.

A cinquante ans, Jean Fleury a toutes les raisons d'être satisfait de son parcours. «Le vecteur de ma réussite n'a pas été l'argent, explique l'intéressé. J'ai toujours préféré donner le meilleur de moi-même pour faire du bon travail. J'ai par ailleurs persévéré dans l'apprentissage. Apprendre et apprendre encore était ma devise. Outre le terrain très formateur, j'ai suivi de nombreuses sessions de formation continue : service, gestion, management... Pour revenir aux trois brasseries de Lyon, je souhaiterais ajouter encore un mot. Il faut absolument préciser que le vif succès remporté auprès de la clientèle repose essentiellement sur la qualité des hommes qui y travaillent et la formation qui leur est dispensée».

A n'en pas douter, l'investissement personnel de Jean Fleury tout au long de sa carrière a été payant. Fruit de sa passion et de sa patience, sa réussite (bien méritée) est exemplaire.


L'HÔTELLERIE n° 2551 Magazine 5 Mars 1998

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