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Actualité juridique

Du côté des prud'hommes

Diminuer les salaires pour sauvegarder l'entreprise

Afin d'assurer la pérennité de l'entreprise et des emplois, un employeur avait proposé à ses salariés une diminution de leurs salaires. Une décision pas facile à prendre et qui n'a pas fait l'unanimité, conduisant l'employeur devant le conseil des prud'hommes. Celui-ci a donné raison à l'employeur. Compte-rendu.

En fin d'année 1993, cette importante brasserie n'est pas au mieux de sa forme. Depuis plus de 100 ans qu'elle existe, qu'elle tient fièrement cette place agitée du nord de Paris, elle n'a jamais vu ça. Les clients se font de moins en moins nombreux. Le chiffre d'affaires est même en diminution. Les charges d'exploitation, elles, restent élevées. La masse salariale, notamment, qui ne cesse d'augmenter. La brasserie occupe toujours bon an mal an, une soixantaine de salariés.

Alors, il faut réagir, trouver des solutions. L'idéal serait de réduire la masse salariale sans réduire le nombre de salariés. Un moyen apparaît : passer du 15% service calculé sur le chiffre d'affaires T.T.C. au 15% calculé sur le chiffre d'affaires H.T.

Sur son chiffre d'affaires de l'ordre de 27 millions de francs, l'économie réalisée avoisinerait les 500.000 francs. C'est assez pour sauver la brasserie. Reste, qu'il faut obtenir l'accord du personnel rémunéré au pourcentage service.

Décembre 1993, la direction adresse donc une lettre recommandée à chacun des salariés concernés, proposant le passage au 15% H.T.. Un délai d'un mois leur est accordé pour faire part de leur accord ou de leur refus.

Parmi les salariés, deux ne sont pas d'accord. Ils ont 3 et 16 ans d'ancienneté. La modification du pourcentage service entraînerait pour eux une perte de salaire. Alors, par courrier recommandé, ils font part de ce refus à la direction.

Fin janvier 1994, les salariés sont convoqués à un entretien préalable. Le 9 février 1994, la direction leur notifie leur licenciement économique au motif qu'ils refusent la modification du mode de calcul du pourcentage service.

Licenciement abusif considèrent les salariés qui saisissent rapidement le conseil de prud'hommes de Paris.

Les réclamations des salariés

Arrivés devant le conseil des prud'hommes de Paris, flanqués de leurs avocats, les salariés multiplient les demandes.

Ils sollicitent d'abord, le remboursement de repas déduits à tort, selon eux par la direction. L'un et l'autre expliquent que pour des raisons de santé, ils n'ont pris aucun repas auprès de leur employeur. Ils fournissent même des certificats médicaux prescrivant des régimes alimentaires très stricts. Or, l'employeur s'est permis de considérer qu'ils avaient consommé leurs repas et les leur a déduits.

Les salariés poursuivent dans leurs demandes en rappels de salaires. Ils contestent la participation à la répartition du pourcentage service d'une part, du premier maître d'hôtel, d'autre part des écaillers. Ils expliquent que le premier maître d'hôtel a un pouvoir de direction et de supervision qui en fait le dirigeant de fait de la société. Le pourcentage service devant être réparti auprès des salariés, le premier maître d'hôtel doit, selon eux, être purement et simplement exclu du pourcentage. Quant aux écaillers, les deux salariés expliquent que leur travail consiste à préparer les plateaux de fruits de mer et que, dans ces conditions, ils ne participent pas au service à la clientèle.

Enfin, les salariés en viennent au gros morceau : la contestation du motif économique de leur licenciement. Ils expliquent à nouveau que la société leur a proposé une diminution importante de leur salaire. Ils estiment celle-ci de l'ordre de 14% de leur salaire brut. Les salariés en déduisent qu'il appartenait à la société de trouver d'autres solutions afin de les maintenir dans leur poste aux mêmes conditions qu'auparavant.

Au total, les demandes sont énormes. Les salariés réclament près de 2 millions de francs lourds.

Les moyens de défense de l'employeur

Face à ce torrent de demandes, la société se retrouve sur la brèche. Il lui faut absolument apporter la preuve de son bon droit ou elle sera condamnée. Et alors, il serait difficile pour elle, de se relever. Tout d'abord, pour les avantages en nature, elle rappelle qu'un arrêt très ancien du ministère du Travail du 22 février 1946 concernant les salaires des employés dans les hôtels, cafés, restaurants, donne à l'employeur la faculté soit de nourrir gratuitement son personnel, soit de lui allouer une indemnité compensatrice de nourriture. C'est à l'employeur de choisir et à lui seul.

Sur cette base, la direction de la société a donc décidé de nourrir gratuitement son personnel. Elle explique que si les deux salariés ont décidé de ne pas prendre les repas mis à leur disposition, elle reste néanmoins en droit de considérer ces repas comme consommés et de les déduire. La société produit même un arrêt de la chambre sociale de la cour de cassation du 16 février 1994 (Hassine contre société Albizzaki-Gba) confirmant ce principe. Il s'agissait en l'espèce, d'un salarié musulman pratiquant qui n'avait pas consommé de repas pendant la période du ramadan et qui réclamait le remboursement des repas déduits par sa direction. La cour de Cassation lui avait donné tort.

Poursuivant sur le pourcentage service et sa répartition, la société explique que le décret du 4 juin 1936 concernant l'application de la loi Godart, sur l'ancien département de la Seine, est toujours applicable à Paris et en région parisienne. Ce décret rappelle la liste des salariés pouvant bénéficier du pourcentage au service. Figurent notamment, les maîtres d'hôtel. Il est donc normal que celui-ci soit payé sur la masse du pourcentage service. Au surplus, la société indique qu'une jurisprudence récente s'est développée, permettant à l'employeur de sortir du «carcan» fixé par ce vieux décret.

Cette jurisprudence part du constat que la liste des emplois figurant dans le décret de 1936 est désormais obsolète. De nouvelles qualifications ont vu le jour, de nouveaux modes d'organisation aussi. Il faut donc rechercher un nouveau critère pour déterminer les salariés payés au service : ce sera le contact avec la clientèle. Les salariés occupés au service à la clientèle pourront être payés au pourcentage service.

Or, le premier maître d'hôtel assure l'accueil de la clientèle, il participe au service également. Il est logique qu'il soit payé sur le tronc.

Quant aux deux écaillers, outre la préparation des plateaux de fruits de mer, ils sont en charge de les porter à la table des clients et de les desservir, une fois terminés. Compte tenu de l'importance de cette activité pour la brasserie, c'est dire ô combien ils sont en contact avec les clients. Ils sont donc, aussi, au service.

Reste à défendre les licenciements pour motif économique des deux salariés.

La société explique qu'elle a connu une dégradation croissante de ses résultats au cours des exercices précédant les licenciements économiques. Elle a enregistré une chute du chiffre d'affaires H.T. et même un résultat imposable négatif. Elle précise que parallèlement les charges salariales n'ont cessé d'augmenter. Il convenait, en conséquence, d'assainir la situation de la société par une diminution de la masse salariale, tout en conservant le maximum de personnel.

Les salariés ayant refusé les nouvelles conditions de rémunération, elle n'a pu que procéder à leur licenciement pour motif économique. La société ajoute, qu'en procédant de la sorte, elle a, d'abord, tenté de maintenir les salariés à leur poste de travail, comme l'exige la jurisprudence, à la condition qu'ils acceptent une diminution de leur rémunération.

La décision du conseil des prud'hommes

Après un délibéré de plusieurs semaines, le conseil des prud'hommes de Paris a rendu son jugement : il a débouté les salariés de l'intégralité de leurs demandes.

Franck Trouet

(SNRLH)

Les leçons à en tirer

Cette décision est très importante et nous permet de tirer trois enseignements fondamentaux.

1er enseignement :

l'employeur est «libre de décider des modalités d'exécution de son obligation de nourriture soit il nourrit son personnel, soit il donne une indemnité compensatrice. Si les salariés ne prennent pas leurs repas, la société peut, néanmoins, les déduire.

2ème enseignement :

peuvent être rémunérés au pourcentage service, les salariés qui sont en contact avec la clientèle.

3ème enseignement :

sont légitimes les licenciements économiques de salariés qui ont refusé la modification du mode de calcul du pourcentage service, dès lors que cette modification était nécessaire vu les difficultés de l'entreprise.

Reste, qu'il s'agit d'une décision de première instance. Même si celle-ci confirme nombre de principes édités dans notre branche d'activité, il faudra lire les attendus de la cour d'appel qui ne manquera pas d'être saisie de ces contentieux.



L'HÔTELLERIE n° 2553 Hebdo 19 mars 1998

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