Franck Launay au Chambord
Au Chambord, le titre de roi
ne se discute pas. Le trône revient sans conteste à Jean-Yvon Launay, qui l'occupe
depuis maintenant douze ans, date à laquelle il fonda cette maison rennaise. Mais tout
monarque sait qu'un jour ou l'autre, il faudra bien en introniser un plus jeune. En 1996
J.-Y. Launay choisit donc son dauphin, son fils Franck. Ce dernier n'occupe pas encore
tout le royaume, mais seulement les cuisines où il règne en maître. "Je décide
tout en cuisine, les cartes, les plats... J'essaye quotidiennement d'améliorer ma
cuisine." Dans sa cuisine, dans ses mots, dans sa vision du métier, ce chef
démontre une forte exigence et une ambition non dissimulée. "C'est vrai, je suis
plein d'ambition, mais à mon âge c'est normal. La cuisine n'est pas un don, elle n'est
pas innée. C'est un labeur quotidien et pour continuer, il faut être passionné. Je le
suis, poursuit Franck Launay. La cuisine est ma raison d'être, elle nourrit ma
vie, alors je sais que j'y arriverai. On ne peut pas échouer lorsque l'on est un
fanatique comme moi."
Et lorsqu'il se retrouve confronté à ses nouvelles cartes, il n'y a pas de place pour
deux. "Je réalise mes cartes seul, je décide seul. Là aussi, c'est un travail
complexe. Il faut toujours se remettre en cause et pas question pour moi de retrouver un
plat d'une carte à l'autre. Je me creuse les méninges et trouve de nouvelles
associations à chaque renouvellement de carte, tous les trois mois. A mon âge, il serait
d'ailleurs dangereux de tomber dans la facilité. Il faut que je me bouscule sans cesse."
Ces nouvelles associations ont, petit à petit, conquis la clientèle du Chambord, les
jeunes couples en quête de tranquillité, les familles du dimanche... "Il faut
épater les gens sans les brusquer. Je ne ferai jamais par exemple un magret au chocolat",
ni d'ailleurs de viandes trop exotiques tels l'autruche ou le kangourou. "Ces
produits ne m'ont pas convaincu", à l'inverse de l'oie du Couesnon qu'il
s'apprête à travailler. Pour autant, la carte demeure largement influencée par les
produits de la mer, du bar de ligne à l'esturgeon en passant par la rascasse, la morue ou
le saumon. Cinq poissons en carte pour trois viandes, pas de doute, nous sommes bel et
bien à proximité de la mer. Aujourd'hui en tout cas, "tout est fait maison. Les
pains, les pâtisseries que je réalise moi-même, les fromages affinés etc."
Pâtisserie, viande, poisson, pain ? Franck dit n'avoir aucune préférence : "J'aime
tout faire. Pour moi, négliger une partie est un défaut."
A l'avenir, le jeune chef aimerait encore s'améliorer et surtout, "m'investir
davantage dans l'établissement. Développer le service au plat, le découpage, et attirer
une clientèle plus large, au moins régionale." Car selon cet ancien élève de
Jacques Thorel, "il n'y a pas de gastronomie rennaise. C'est une ville difficile
à travailler et pour se développer il faut voir ailleurs. Il n'y a jamais eu de très
grandes tables sur Rennes !" Sera-t-il le chef de cette grande table ? "Il
me faudra des années pour être reconnu. Mais ma marge de progression est encore grande."
Ce jeune homme serait-il un stakhanoviste du piano ? "Non, parfois, il faut que je
m'évade." Il prend alors sa guitare électrique et se plonge dans la musique.
Juste quelques heures... la cuisine l'attend déjà.
O. Marie
L'HÔTELLERIE n° 2606 Hebdo 25 Mars 1999