Page 42 - L'Hôtellerie Restauration No 3364

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Service en salle
Pour préserver l’équilibre du restaurant entre cuisine et salle, la valorisation du service est
indispensable : arts de la table et de la salle en sont deux éléments essentiels. Cette page
est dédiée à l’univers du métier sous forme d’informations pratiques. Bonne lecture !
RUBRIQUE ANIMÉE PAR HÉLÈNE BINET
Véronique Vigne : “Il est inimaginable de croire encore
à la caricature du serveur porteur d’assiettes”
Première femme Meilleur ouvrier de France catégorie maître d’hôtel, du service et des arts de la table, ce professeur
enseigne toujours avec la même ferveur.
V
éronique Vigne
est une
professionnelle comblée
qui conjugue ses deux
passions : les arts de la table et
du service et la transmission de
son savoir. Elle a été la première
femme à obtenir, en 2004, le
titre de Meilleur ouvrier de
France dans la catégorie maître
d’hôtel, du service et des arts
de la table. Cette femme de
caractère, qui a passé douze ans
dans le métier, est professeur
de restaurant depuis bientôt
vingt-deux ans (et nouvellement
au lycée des métiers François
Mitterrand à Château-Chinon,
58).
C’est le doute qui l’a poussée
à tenter le prestigieux concours.
J’ai souvent entendu qu’à force
d’enseigner, nous n’étions plus
dans le coup,
explique-t-elle
.
Cela
a fini par me tracasser. J’y ai
cru.”
La préparation du concours
n’a pas été une sinécure.
La
tâche n’était pas facile,
avoue
Véronique Vigne
.
Ce sont des
heures et des heures de travail.
Dès mon inscription, j’ai établi
un planning sur deux ans. Et,
chaque soir, je ne me couchais pas
tant que je n’avais pas appris
quelque chose de nouveau. Il faut
savoir mettre
sa vie privée entre
parenthèses”
.
Une remise en question qui a
été bénéfique. Cette distinction
était aussi une façon de se faire
entendre.
Le fait d’être une
femme m’a empêché d’avoir accès
aux grandes maisons. Ce sont
souvent les hommes qui avaient
les postes à responsabilité. Les
choses changent. Je l’espère...”,
lâche-t-elle.
UNE PASSION INTACTE
Véronique Vigne se souvient
encore de ses moindres faits
et gestes face au juré
Olivier
Poussier
,
lors de l’épreuve de
l’argumentation commerciale.
Je décrivais un vin, j’étais
vraiment dedans. Je ne pouvais
plus m’arrêter : loi, histoire,
produit, accords, etc. Et là,
Olivier Poussier me dit
exactement l’appellation, sans
que je la lui aie donnée, signe que
j’avais réussi à bien parler de ce
vin. Ce fut un détonateur. Et un
très grand moment de bonheur.”
Depuis, elle continue à accroître
ses connaissances
en fonction de son planning :
à travers des stages et des
formations (chez
Philippe
Faure-Brac
,
à l’École du goût,
l’École de la distillerie, etc). Face
à ses élèves, Véronique
Vigne est animée de la même
passion que celle qui l’habite en
salle.
Il y a tellement de choses
à apprendre dans ce métier :
boissons, alcools, produits, mets.
Il y a aussi une facette
psychologique : décrypter un
client à son comportement,
savoir s’il est plutôt timide,
décontracté... Mais on ne nous
voit pas comme tels. Il faut avoir
la fibre. Il est inimaginable de
croire encore à la caricature du
serveur porteur d’assiettes. Le
service en salle, c’est un métier à
part entière.”
HÉLÈNE BINET
SON APPROCHE AVEC LES ÉLÈVES
Mon premier combat, dès la rentrée : faire
accepter aux jeunes la rigueur. Être à l’heure,
propre et impeccable,
insiste
Véronique Vigne
Quand c’est acquis, je parle de l’approche client,
en insistant bien sur le fait qu’ils ont un rôle
essentiel à jouer : on peut rater une opération
en salle comme on peut en faire un moment
inoubliable. Il faut savoir déceler le ressenti
des clients. Cela s’apprend avec le temps. Mais
il y a aussi une part de psychologie dans le
travail du serveur. Une fois que les élèves ont
compris l’importance de la communication
envers les hôtes, ils sont aptes à développer les
connaissances sur les produits. J’insiste bien sur
le fait que les conditions de travail dans le métier
s’améliorent. Et puis, on a aussi une progression
de carrière que l’on ne retrouve nulle part
ailleurs.”
Le professeur insiste fortement sur
l’apprentissage des langues. Chaque semaine,
lors des travaux pratiques, un jeune est désigné
pour s’occuper de la table anglaise et doit parler
dans la langue de Shakespeare pendant tout le
repas.
LA TECHNIQUE DE SALLE
Véronique Vigne
:
Il y a une facette
psychologique dans notre métier.”
N’hésitez pas à envoyer toutes vos informations
sur les métiers de service, liées ou non
à votre établissement, à l’adresse :
hbinet@lhotellerie-restauration.fr
L’art de la découpe du Canard au sang
Le Canard au sang - ou Caneton Tour d’argent -, recette
emblématique de La Tour d’argent (Paris, V
e
)
créée par
Frédéric Delair
en 1890, vaut encore aujourd’hui le
détour. Le canard de Challans est présenté à la table
du client, puis il est découpé dans le ‘théâtre à canard’,
espace qui se trouve au cœur de la salle. Sous l’œil des
convives, le spectacle est exercé par unmaître canardier
(
ils sont trois au total). Ce professionnel chevronné a
acquis cette technique avec du temps, et maîtrise le juste
dosage des ingrédients.
Jean-Michel Marchand
est l’un
d’entre eux, depuis trente-huit ans.
Son rituel
:
préparer dans un premier temps la sauce.
Il verse le foie de canardmixé, la fine de champagne et
le madère dans un plat en argent. Puis il attend que la
sauce épaississe sur le réchaud. Pendant ce temps, il
enlève la peau du canard (cuit en cuisine), le dégraisse
et ôte les magrets et les cuisses. La carcasse est ensuite
pressée dans la presse à canard pour en extraire le sang,
qui est alors ajouté à la sauce. Cette dernière est enfin
assaisonnée et passée au chinois.
Premier service
:
le magret de canard avec sa sauce au
sang, accompagné de pommes soufflées.
Deuxième service
(
réalisé en cuisine) : la cuisse de
canard désossée et rôtie, et sa salade frisée.
Il nous
arrive de découper 35 à 45 canards de Challans par jour,
estime Jean-Michel Marchand.
On remet au client en fin
de repas une carte numérotée correspondant au canard
qu’il a dégusté.”
Illustration de
Frédéric Delair
réalisant, en 1890, la première découpe
du Canard au sang.
Le théâtre à canard de La Tour d’Argent, et sa pléiade d’ustensiles en
argent, est installé au centre de la salle.
Technique terminée : le magret de canard avec sa sauce au sang,
pommes soufflées en premier service.