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L’actualité
“
Pour la première fois, notre secteur détruit des emplois”
Le président du Syndicat national de la restauration thématique et commerciale (SNRTC), élu en mars dernier, nous livre son
sentiment sur l’actualité.
PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVIE SOUBES
Michel Morin dit non à la démagogie et au gaspillage
L’Hôtellerie Restauration :
Vous avez été élu le
27
mars dernier à la tête du SNRTC. Quels sont ses
atouts ? Comment décririez-vous cette organisation ?
Michel Morin :
Le SNRTC est un syndicat jeune,
qui regroupe des enseignes indépendantes et des
chaînes comprenant un certain nombre de franchisés.
Il représente aujourd’hui 1 700 établissements,
370 000
repas servis chaque jour, plus de 37 000 salariés
et 2,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Parmi nos
atouts, nous pouvons rassembler très rapidement des
données et des chiffres fiables, représentatifs et qui
concernent l’ensemble du territoire. Toutes les enseignes
sont en mesure de fournir très précisément les éléments
nécessaires à un constat, une évolution, un état des lieux.
Notre organisation travaille dans l’échange et dispose de
spécialistes dans tous les domaines : juridique, fiscal ou
encore social. Notre force réside aussi dans notre capacité
à répondre de manière concrète aux adhérents.
Cette capacité à rassembler des chiffres vous amène à
dénoncer l’impact du CICE qui devait compenser les
hausses de TVA…
Fin 2011, une étude du SNRTC portant sur l’analyse de
près de 65 millions de repas servis en 2008 - avant la
baisse de la TVA de 19,6 % à 5,5 % -, puis d’un même
nombre de repas servis en 2010 - après la baisse -
permettait d’établir un bilan financier du secteur : calcul
du bénéfice de l’harmonisation de la TVA sur l’ensemble
des métiers de bouche et détail de l’utilisation faite de
ce supplément de marge. Cette étude avait permis de
démontrer que la TVA unique dans la restauration avait
conduit à un solde résiduel pour les restaurateurs de 2,1 %
du chiffre d’affaires hors taxe, solde destiné à financer
les investissements et la modernisation du secteur. Il en
ressortait que les mesures prises par le Gouvernement
-
accroissement des charges, suppression des subventions
accordées - avaient sensiblement grignoté les marges
des restaurateurs. Compte tenu des efforts significatifs
dans le domaine social et de la
baisse des prix en faveur des
consommateurs, il apparaissait
que 80 % du supplément de
marge lié à la baisse de TVA
avait en fait profité aux salariés,
aux consommateurs et à l’État.
En novembre 2012, le Premier
ministre a annoncé la mise en
place d’un Pacte national pour
la croissance, la compétitivité
et l’emploi, avec un dispositif
phare : le Crédit d’impôt pour
la compétitivité et l’emploi
(
CICE), bénéficiant à l’ensemble
des entreprises, quelle que soit
leur taille. Parallèlement, la restauration verra son taux
intermédiaire de TVA passer de 7 à 10 % au 1
er
janvier
2014,
le taux normal passant de 19,6 % à 20 %.
Le SNRTC rappelle que le CICE n’a pas pour but de
compenser d’éventuelles hausses de TVA mais de
permettre d’accroître la compétitivité des entreprises.
Pour preuve, des secteurs qui vont bénéficier de la baisse
de TVA de 5,5 à 5 % bénéficient du CICE. Une autre
étude menée par le SNRTC auprès de ses adhérents
et qui sera diffusée prochainement démontre que non
seulement le CICE est largement inférieur à l’impact
de l’augmentation du taux intermédiaire de TVA sur les
marges des restaurateurs (+ 1,5 % à comparer à - 2,3 %)
mais que, par ailleurs, de nombreuses autres mesures
et taxes ont fini de ‘grignoter’ le complément de marge
destiné aux investissements que les restaurateurs avaient
pu tirer de la baisse initiale du taux de TVA en 2009. Le
solde résiduel du ‘bénéfice TVA’ est désormais négatif
puisqu’il s’élève à - 2,01 %, y compris en tenant compte
de l’incidence positive du CICE. Ce solde négatif signifie
que les entreprises de la restauration voient aujourd’hui
leurs marges se dégrader par rapport aux années
précédant la mise en place de la TVA à taux réduit et ceci
indépendamment du contexte économique par ailleurs
difficile auquel est confronté le secteur depuis 2012 et
au premier semestre 2013. Ce manque à gagner a un
impact direct sur la marge de manœuvre nécessaire aux
entreprises du secteur pour faire face aux investissements
utiles à la modernisation ou à la mise aux normes des
outils de production.
Allez-vous donner des consignes aux entreprises en
matière de TVA ?
Non, chaque entreprise va s’adapter comme elle l’entend.
Mais les entreprises commerciales ont de réelles difficultés
et l’emploi est directement concerné. En mai dernier, nous
avons lancé une enquête auprès de nos adhérents afin
de recenser le nombre d’heures travaillées au cours des
premiers trimestres 2011, 2012 et 2013, sur un périmètre
comparable de restaurants.
Nous voulions pouvoir mesurer
l’étendue du problème. Notre
objectif était de mettre en
évidence une diminution du
volume d’heures travaillées
mais aussi la capacité de nos
entreprises, dans un contexte de
baisse d’activité, à poursuivre leurs
efforts en termes de maintien
des salariés dans l’emploi ou de
recrutement. Or, sur la période,
nous avons fait non seulement le
triste constat d’une diminution
sensible des heures de travail
au sein des entreprises mais
aussi, à périmètre comparable, celui de la destruction
de plus de 2 500 emplois, très majoritairement au sein
du collège employés. En d’autres termes, il y a eu 10 %
d’emplois sacrifiés en deux ans au sein de la restauration
commerciale en France. Pour la première fois, notre
secteur détruit des emplois. Nous avons alerté les pouvoirs
publics dès la sortie de cette étude. Nous ne sommes pas
délocalisables et les Français aiment aller au restaurant,
ne mettons pas à genoux un secteur porteur ! À la rentrée,
nous allons publier un nouvel état des lieux sur l’emploi ;
tout va très vite et il est impératif de savoir où nous allons.
Le SNRTC a pris part à la signature du pacte national
de lutte contre le gaspillage alimentaire lancé par
le ministre délégué à l’Agroalimentaire, Guillaume
Garot. Quels sont vos objectifs ?
La lutte contre le gaspillage est un combat nécessaire.
Mais ce n’est pas à la partie visible, c’est-à-dire les
retours en cuisine, ce qu’il y a dans l’assiette, qu’il faut
s’attaquer en priorité. La réalité, c’est tout ce qu’il y a
en amont, tout ce que le restaurateur jette avant. Par
exemple, de la moutarde conditionnée en carton de
24
flacons, dont la date limite d’utilisation optimale
est dépassée avant que le carton ne soit terminé. C’est
un cas très fréquent. De même, la gestion des portions
de viande sous vide conditionnées par dix, dont les
dates limites de consommation sont évidemment
courtes, n’est jamais simple. Or, ce gaspillage peut être
limité. Nous devons engager une réflexion avec les
industriels, nous devons également sensibiliser nos
équipes, former sans doute davantage notre personnel
à cette gestion des matières premières. La lutte contre
le gaspillage en restauration ne se limite pas au doggy
bag. C’est un vrai sujet qui concerne avant tout les
habitudes et les procédures. Nous souhaitons établir
des recommandations qui permettront aux entreprises
d’avancer dans le bon sens.
Votre sentiment sur le fait de mentionner les
allergènes ?
Nous allons devoir prévoir de grandes cartes ! Nous
discutons actuellement avec les services de la Direction
générale de la consommation, de la concurrence et de la
répression des fraudes pour leur expliquer les contraintes
pratiques et techniques qui accompagnent chez nous cette
mesure. Sans compter, en 2017, l’arrivée de l’information
nutritionnelle et, entre temps, celle des mentions ‘fait
maison’. Dans la réalité d’une cuisine, garantir qu’il y a
zéro allergène est assez irréaliste.
Unmot sur l’accessibilité ?
Les nouvelles constructions ne posent pas de
problème, à la différence de l’existant. C’est un
sujet là encore très compliqué pour la profession
et très coûteux. Nous pensions qu’il y aurait des
assouplissements mais ce ne sera pas le cas. Il y a aura
sans doute des dérogations et des reports dans les
dates de mise aux normes, rien d’autre. En revanche,
dans le cas d’une demande de permis de construire
ou d’un changement d’enseigne, l’établissement
fera face à de réelles difficultés. Nous intervenons à
l’heure actuelle auprès des ministères compétents
pour obtenir le 100 % services, plutôt que le 100 %
accessible dans les établissements existants.
Peut-on rester optimiste dans ce contexte général ?
Je le reste et je vais tout faire pour que la profession
ait envie de continuer. Même si nous sommes dans la
bourrasque, les Français aiment sortir et se retrouver
dans nos établissements. D’autre part, si nous recrutons
des professionnels, nous recrutons aussi des personnes
sans bagage, à qui nous mettons le pied à l’étrier. On nous
oppose un certain turnover, mais je crois que lorsque
ces personnes viennent travailler dans notre secteur, ne
serait-ce que six mois, c’est une expérience utile pour elles
et leur avenir. Sans compter les salariés qui restent et qui
progressent. Quant au débat qui a précédé l’obligation
de la mention ‘fait maison’, il m’a paru complètement
surréaliste.
Laurent Caraux
,
qui est désormais président
d’honneur du SNRTC, a toujours appelé à l’unité. Je
souhaite poursuivre dans cette voie. Ce n’est pas un gâteau
que nous devons partager, mais bien une mayonnaise que
nous devons faire monter. Il y a de la place pour tout le
monde.
Michel Morin,
président
du directoire
de Léon de
Bruxelles depuis
mars 2002,
a succédé à
Laurent Caraux
à la présidence
du SNRTC.
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“
Nous ne
sommes pas
délocalisables
et les Français
aiment aller au
restaurant.