Page 5 - L'Hôtellerie Restauration No 3333

Festival Omnivore
e new-yorkaise
a derrière lui un parcours en béton. Ancien second
d’
IgnacioMattos,
qui a fait les beaux jours du
restaurant Isa de Brooklyn, il n’a pour l’instant pas
trouvé les financements nécessaires pour ouvrir
son propre restaurant - à moins de trois ou quatre
millions de dollars, New York ne s’offre pas facilement.
Ramirez s’est donc lancé dans l’expérience d’un Pop-
Up restaurant, ou comment squatter un lieu durant
un jour ou deux et y inviter ses clients. Très en vogue,
les Pop-Up permettent aux jeunes chefs de s’exprimer
à moindres frais tout en se faisant connaître des
mangeurs new-yorkais. La cuisine de Chez José est
résolument locavore pour une poignée d’heureux
élus. La star dans l’assiette, c’est le légume ; la viande
obtient le second rôle… quand il n’improvise pas
durant l’été des barbecues géants dans la cour d’un
restaurant où grillent deux cochons entiers !
MIRARCHI, THE DUDE
Ce grand écart, cela fait longtemps que
Carlo
Mirarchi
l’a fait. The Dude. Aussi impassible que
le Jeff Bridges hirsute du
Big Lebowski
des frères
Cohen, il semble glisser sur le gravier (bio, forcément
bio) ce dimanche d’été. Il porte un tshirt troué à la
couleur indéterminée, a tout de même troqué après
le service ses Croc’s de plastique noir pour une paire
de boots qui collent au pied par 40 degrés. Oui, voici
the Dude, le boss de Roberta’s pizzeria et de sa petite
sœur gastronome Blanca. Les deux entités ont la
même adresse, Moore Street, Buschwick, au bout
de Brooklyn. Quand le quartier n’était rien qu’une
ferraille à ciel ouvert, Mirarchi et ses associés ont
transformé voici quatre ans en pizzeria un
hangar où les vieilles Buick jonchaient la
cour, paradis pour pièces détachées. Mais
aujourd’hui, c’est le choc de se retrouver
dans un vaste jardin, comme une trouée
d’oxygène entourée d’immeubles industriels
transformés en loft pour l’Upper Class en
mal d’espace. La plupart des chauffeurs de
taxi refusent encore de vous y conduire, trop
loin, trop paumé aux confins de Brooklyn.
Mais le jardin fabuleux ne se trouve qu’à
quelques stations de Times Square. Autant
dire à des années lumières. Car ce qui
prévaut ici est avant tout l’authenticité.
Celle d’un homme, Carlo Mirarchi, 33 ans,
tombé dans la cuisine après un fumeux
passage dans la mode. Tombé parce que
sa mère, panaméenne, faisait une cuisine
comme aucune autre mamma - son père est
italien - et que son enfance s’est déroulée
entre marchés de bons producteurs dans le quartier
et voyages annuels en Calabre, au milieu des produits
de la mer et des oursins à ramasser. D’ailleurs, c’est
de la mer que tout est parti, que la vie de Mirarchi
a basculé.
J’ai failli me noyer un jour pendant un
voyage en Australie. Le courant était fort, les vagues
s’abattaient sur moi, je voyais ma vie s’enfuir. Mais
surtout je pensais que le matin je n’avais mangé que
de mauvais fallafels. Et là, au milieu des vagues, ça
me paraissait impossible de partir avec dans l’estomac
quelque chose d’aussi médiocre.”
Des pêcheurs ont
fini par le récupérer. Lui a mis des semaines avant de
rentrer à New York et de pouvoir retravailler. Il en a
profité pour faire le tour des meilleurs spots culinaires
d’Australie. Quelques temps plus tard, il ouvrait
avec deux associés Roberta’s, pizzeria qui n’avait
d’autre prétention que de nourrir convenablement
ses concitoyens. En quelques semaines, la réputation
des Margarita a fait le tour de Big Apple. Au point
d’amener à Buschwick une icone culinaire comme le
chef italien
Mario Batali
.
Il nous a fait une publicité
d’enfer, nous a sauvé des premières salles un peu vides,
je lui dois beaucoup.”
En fait, The Dude ne doit rien à personne, excepté lui-
même, sa folie et sa ténacité. Car il a fait de Roberta’s
tout, excepté un restaurant. Beaucoup plus qu’une
simple pizzeria, fleur de bitume et cocon mêlant dans
un même espace la pizzeria donc - tablées de familles
heureuses de manger bon et bruyamment.
Le succès fut tel que Mirarchi a créé l’an dernier
Blanca dans la cour de Roberta’s. À l’inverse de son
aînée populaire et grouillante, Blanca est une table
épurée et plutôt élitiste. Douze couverts, pas un de
plus, 200 $ en moyenne (environ 155 €) pour une
série de plats envoyés sur le large bar/table. Dans cet
espace dépouillé, tout n’est pensé que pour la cuisine.
On lui fait d’ailleurs face, accoudé au comptoir, avec
tout le loisir d’y suivre le balai moderne d’une toute
petite brigade (Carlo en personne,
Megan
,
sa sous-
chef fidèle, un ou deux commis et la pâtissière en fin
de service) s’activant pour livrer 25 plats d’une grande
pureté esthétique. Une fois un 78 tours de pop très
80’
s posé sur la platine, le set de quatre heures peut
commencer : granité de betterave et caviar en amuse-
bouche terreux/aigre et profond avant l’acidité florale
d’une eau de concombre submergeant des lamelles de
saint-pierre cru. Durant une demi-douzaine de plats,
systématiquement accompagnés de blancs autrichiens,
de bière, de saké, une montée chromatique toute
en douceur, apaisante, très loin du show-off
d’une cuisine contemporaine qui confond parfois
la puissance à l’élégance. Mirarchi à Blanca impose
mais ne surdose pas, tisse au contraire un dialogue
subtil avec les hôtes et les mets. Comme une leçon
initiatique qui couvrirait les zones géographiques
de l’Umami (céleri, mandarine, bonite) à l’Orient
(
minuscule aubergine confite sur un labné au sésame),
de l’Italie (agnolotti intensément viandard) aux mers
chaudes (crabe à la plancha, jus de tête servi à même
la carapace comme une cérémonie du thé). Aucune
boursouflure, aucune autre prétention que de donner
à manger du bon, de l’intègre touchant souvent à la
justesse sublime. Et peu à peu, on se laisse gagner par
l’émotion, le développement d’une cuisine incubée,
universelle, au spectre large tout en étant incarné.
C’est bien tout ce que l’on souhaite à New York et que
ces jeunes chefs apportent : impertinence, subtilité et
âme. À partager sans faim là-bas ou ici, à Paris, sur la
scène d’Omnivore.
Q
LUC DUBANCHET
Roberta’s
261
Moore St Brooklyn, NY 11206
Blanca
-77-32
ì ,-2)7)ì 33(ìeì
154
Orchard St, NY 10002
Brooklyn, font souffler le vent de la créativité sur une capitale américaine abonnée à la
Carlo Mirarchi et José Ramirez-Ruiz, tous trois invités d’Omnivore Paris.
José Ramirez-Ruiz
,
Pop-Up chef pétri de talent.
Danny Bowien
:
Avec
450 000
$, j’ai voulu
ouvrir un restaurant
abordable, avec
simplement en trame
de fond l’idée de
nourrir le plus grand
nombre.”
J’ai failli me noyer un
jour pendant un voyage
en Australie... Je voyais
ma vie s’enfuir... Mais surtout
je pensais que le matin
je n’avais mangé que de
mauvais fallafels.
Carlo Mirarchi
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