Page 4 - L'Hôtellerie Restauration No 3333

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Grand angle
La nouvelle scèn
pas sonmaître. Ouverte
depuis quinze mois, la
salle - à l’allure scandinave
scandée par des appliques
Serge Mouille -, dispose de
soixante places assises. Le
chef suit quotidiennement
son rituel : quelques notes
griffonnées d’une pointe
Bic bleue pour écrire la
structure du repas avant de
s’absorber dans le taillage
des légumes.
Je n’ai pas
de fiches techniques, pas
de menus préconçus. Je ne
supporte pas l’idée de la
répétition ou d’un plat qui
dure quinze jours.”
Alors il
jongle chaque matin avec
les arrivages du jour, parfois
même avec la pénurie,
les petits fournisseurs
oubliant de dire qu’ils
n’ont rien ramassé pour lui.
C’est une cuisine de la fragilité, elle est imparfaite,
en devenir. Il faut cinq ans pour qu’elle existe.”
Une phrase pour passer dumystère au réalisme.
Chez Saturne, ce midi-là, les mots manquent pour
décrire l’imbricationmiraculeuse des Saint-Jacques
taillées crues, assez épaisses, croquant sur de minces
lamelles de courge, des filaments de chou rouge à
l’amertume pointue avant un torrent d’iode déversé
par les langues d’oursin. Brutal mais doux, incisif
mais soyeux. Il faut un val-de-saône sans soufre
de
Guy Bussière
pour sortir de l’effarement et
plonger l’esprit rafraîchi dans le duo anchois - ceux
dumatin - à peine effleurés par la flamme et des
pommes de terre en chips croustillantes, un plat
insensément évident, presque enfantin dans sa
fausse gourmandise associant perfidement cendres
de queues d’anchois et radicelles de poireaux à
croquer comme une terre argileuse. Et puis soudain,
de nouveau, le silence face à ce qui ressemble au
plat de l’année : lotte, scorsonère, poireaux crayons,
trévise et jus à l’olive. On pourrait vous l’expliquer
-
l’amertume, encore renforcée par la profondeur
aigrelette de l’olive… - mais non. Il fallait y aller
et manger. Et voir, de loin, derrière le passe de sa
cuisine, Sven Chartier dresser les assiettes et se taire.
À 26 ans, il a la vie devant lui pour l’ouvrir.
LE PROVINCIAL
Lui parle. Pierre-Sang Boyer est peut-être l’aîné de
nos quatre ‘kids’ mais il est aussi resté le gamin de
7
ans déraciné de sa Corée du Sud natale. Certes,
elle ne le hante plus.
Mes parents savaient que
j’avais toujours eu le projet de retourner là-bas,
raconte-t-il
.
La cuisine était pour moi une façon
de me reconstruire et unmoyen de retrouver mon
pays natal après avoir atteint une certaine réussite.
J’étais chef en Angleterre quand j’y suis parti, à l’âge
de 21 ans. À cette époque, je me posais des questions :
qui suis-je, ai-je toujours de la famille là-bas, des
souvenirs, l’envie de rester, est-ce que je suis heureux,
malheureux ? J’ai trouvé toutes les réponses.”
Il n’en
dira pas beaucoup plus. L’enfant ‘rock’ et turbulent
du petit village de Lantriac, toujours prêt à faire les
400
coups, apprend une certaine sagesse avec les
artisans modestes de sa Haute-Loire. Comme ce
gendre à qui son père le confie pour lui
botter les
fesses”
.
De la plonge aux corvées (vider les grenouilles,
par exemple), du LEP JeanMonnet du Puy-en-Velay
jusqu’aux apprentissages avec lever à 6 heures du
matin, avant la montée de la sève, il est confronté à
la rigueur et aux contraintes d’un ‘métier de chien’.
Il en tire une admiration sans
borne pour tous ces cuisiniers
qui font sans doute de lui le
plus provincial des nouveaux
chefs de la capitale. Peu
importe qu’il ait beaucoup
voyagé, qu’il soit resté sept
ans à Londres dans les
différents établissements des
Gascons
Vincent Labeyrie
et
Pascal Aussignac
,
c’est vers
ces racines-là qu’il revient
toujours.
Au retour de Corée, c’est à
Lyon qu’il choisit de se poser
pour se rapprocher de sa
famille. Son passage chez
Nicolas Le Bec
ne répond pas
à ses attentes. Cela se passe
mieux à l’Opéra de Lyon avec
Philippe Chavent
,
avant
d’être poussé vers l’aventure
télévisuelle ‘à l’insu de son
plein gré’, inscrit aux sélections
de Top Chef par sa femme et son ami d’enfance.
Je ne regardais pas l’émission car je travaillais le
lundi
,
raconte-t-il.
Mais je me suis pris au jeu. J’ai
pu montrer dans mes assiettes mon histoire, mes
origines, ma personnalité. Ces influences asiatiques
dans le terroir auvergnat.”
C’est tout cet univers
que l’on retrouve aujourd’hui rue Oberkampf. En
compagnie de son associé,
Maxime Guignard
,
ancien (à 24 ans !) du Meurice et du Sketch, le
restaurant de
Pierre Gagnaire
à Londres, qui
lui compose une carte des vins très réjouissante,
Pierre-Sang prépare sur sa plancha, derrière le
bar, en rang d’oignon avec toute l’équipe, sans
hiérarchie apparente, des tapas ou des plats colorés,
vifs, généreux. En quatre mots : il fait à manger.
Après une ouverture toute en discrétion, au début
de l’été, et une, plus officielle, à la rentrée, il a déjà
trouvé une forme de sérénité. Au prix d’un gros
travail qui ne lui a pas encore permis d’aller tester
les belles tables dont il a entendu parler, comme
le Châteaubriand ou Septime, dont il se sent
instinctivement proche.
Il y a un réel mouvement
,
affirme-t-il.
Il y a une nouvelle génération qui a
envie de démocratiser la cuisine, de la désenclaver.
Ce qui nous lie, c’est la volonté de se donner à 100 %,
pour le restaurant et pour la cuisine, de partager.”
Mais très vite, la mémoire du petit provincial formé
à la dure revient au galop.
Après tout, nous ne
sommes pas si différents de l’ancienne génération
,
nuance-t-il.
C’est le même métier. Une cuisson
reste une cuisson, un assaisonnement reste un
assaisonnement. On est dans l’air du temps. Mais si
ces gens-là avaient vécu à notre époque, ils auraient
fait comme nous.”
Oui décidément, les kids ont des
épaules, une tête, une mémoire. Et merci, ils vont
bien.
Q
STÉPHANE MÉJANÈS ET LUC DUBANCHET
Saturne
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Fermé samedi et dimanche
Roseval
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Ouvert tous les soirs du lundi au vendredi
Pierre-Sang in Oberkampf
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Ouvert à dîner du mardi au samedi (pas de réservation)
A
u festival Omnivore de New York, il
traînait sa longue tignasse entre les
containers de Dekalb Market. À San
Francisco, il passionnait l’assistance
du Omnivore World Tour avec un petit
déjeuner chinois mixant canard et
bouillon de pop corn…Hyper cool, presque effacé,
Danny Bowien
est pourtant devenu en quelques
mois une star made in US, au point que son confrère
David Chang
(
Momofuku) lui consacrait un long
dossier dans sa dernière livraison du magazine
Lucky Peach.
Bref, tout le monde parle de lui. D’où
vient-il au juste ? Un parcours assez vague dans la
restauration. Et puis soudain, l’explosion il y a deux
ans avec l’ouverture de Mission Chinese Food sur
Mission, l’une des rues les plus excitantes de San
Francisco. Un rade à la déco à peine touchée, une
cinquantaine de places assises, quelques rustines,
dragons de papier, lumières tamisées pour masquer
la modicité du décor.
Avec 450 000 $ [soit 34 600 €,
autant dire rien pour les États-Unis, NDLR], j’ai voulu
ouvrir un restaurant abordable, avec simplement en
trame de fond l’idée de nourrir le plus grand nombre.”
Danny Bowien le discret a tellement bien fait que
le tout San Francicso s’est précipité chez lui pour
goûter à la cuisine du Sichuan revue et corrigée…
mais toujours épicée. Difficile de ne pas tomber sous
le charme de l’endroit où aucune réservation n’est
prise mais où les files d’attente se passent dans la
bonne humeur. Le service jamais pushy vous laisse
tranquillement terminer les quinze assiettes que
l’envie vous ont poussé à commander, de l’anguille
fumée au thé aux concombres à la sauce aillée en
passant par l’énormissime jarret confit aux épices ou la
soupe d’agneau. Le tout entre 8 et 12 $ (6 à 11,5 €), ou
comment s’offrir une tablée festive pour moins qu’un
plein de Chevrolet. Après une ouverture réussie dans
le Lower East Side à New York en 2012, la rumeur,
longtemps, a donné Bowien à Paris. Un Mission
Chinese Food rive droite aurait indubitablement
de l’allure. Mais le chef californien a démenti… Sa
présence pourtant à Paris ces jours derniers pourrait
bien signifier le contraire.
POP-UP RESTAURANT POUR LÉGUMES STARS
À New York, le petit dernier se nomme
José Ramirez-
Ruiz
.
Crâne chauve, dégaine cool, parole mesurée, il
© DR
Ils font les beaux jours de Manhattan et de
comfort food’. Rencontre avec Danny Bowien,
Carlo Mirarchi
,
alter ego culinaire de
The Dude du
Big Lebowski
.
La salle de Roseval (Paris,XX
e
).