Page 3 - L'Hôtellerie Restauration No 3333

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Paris
On nous promet une programmation éclectique et internationale. Durant trois jours les chefs
les plus innovants vont se succéder sur scène. Le show est monté par Luc Dubanchet, fondateur
d’Omnivore, à qui nous avons ouvert cette semaine nos colonnes. Il nous présente ses coups de cœur
à Paris et à New York.
la jeune cuisine qui pulse
D
ans l’ordre d’apparition de l’article :
Saturne, Pierre-Sang in Oberkampf
et Roseval. Trois restos du coin, au
sens propre comme au sens figuré, qui
reluquent depuis leur trottoir la tradition
bistronomique. Sans œillères. Ils font déjà
partie du décor, malgré leur jeunesse. Saturne a soufflé
ses deux premières bougies en septembre dernier,
Pierre-Sang in Oberkampf a allumé le poste juste avant
l’été ; Roseval grésille depuis
début juillet. À la tête de ces
tables juvéniles, des gamins dont
les âges s’échelonnent entre 24 et
32
ans. La ‘jeune cuisine’ au pied
de la lettre. Saturne s’appelle
SvenChartier
, 26
ans.
Pierre-
Sang
, 32
ans, se nomme
Boyer
.
Roseval est l’œuvre commune
de
Simone Tondo
, 24
ans, et de
Michael Greenwold
, 28
ans.
Depuis deux bonnes années, les
ouvertures parisiennes se suivent
et se ressemblent parfois. Une
frénésie dont on ne mesure pas
toujours la richesse, un buzz
chassant l’autre. Raison de plus
pour s’arrêter sur ces trois-là.
LES AFFRANCHIS
Simone Tondo et Michael
Greenwold, ce sont un peu les
affranchis. La rencontre entre
l’ado rebelle sarde, programmé
pour les études d’architecture
par sa mère, et le rosbif d’Oxford
aux parents américains, a eu lieu chez
Petter Nilsson
.
Simone, fondu de produits depuis une enfance entre
nonna et zia, venait de quitter
Giovanni Passerini,
ancien second du chef suédois. Michael Greenwold,
brillant étudiant en littérature anglaise parti chercher
son éventuelle vocation de cuisinier en France, avec
le petit pécule laissé par ‘granny’, arrivait de chez
Iñaki Aizpitarte
,
son tout premier stage. En charge
de la mie, de la croûte (Petter Nilsson fait le meilleur
pain de Paris) et de la pâtisserie,
comme à ses débuts chez
Cristiano
Andreini
,
à Alghero, Simone a été
moins patient. Huit mois rue de
Cotte et puis s’en va. Il a toujours
eu la bougeotte. Après Cracco à
Milan, il part pour Paris travailler
chez Giovanni Passerini à Rino.
Je lui ai envoyé un e-mail, il m’a
dit :
Viens.’” Aussi simple que ça.
Là encore, Simone n’a pourtant
pas tenu plus d’un an.
C’est peut-
être une connerie
,
admet-il.
Rester
trois ans, cela aurait été bien.
Mais j’aime changer pour changer.
Malgré tout, ‘Gio’ a modifié ma
façon de travailler, l’idée de ce que
doit être la cuisine, de ce
qu’il faut donner. Il a une
cuisine généreuse dans
un registre libre. Il peut
faire des tripes un jour et
le lendemain cabillaud,
huître, émulsion menthe.”
Si Roseval a pu voir le jour,
c’est beaucoup grâce à un
autre Italien,
Fabrizio
Ferrara
,
chef de l’épatant
Caffé dei Cioppi, qui a accompagné les
gars de Ménilmontant à chaque étape de
leur installation. Cette cantine de poche
est en tout cas le résultat d’une cordiale
entente nord-sud pour une cuisine,
bien évidemment, de
contrastes”
(
dixit
Simone). Mais sans frontières. Michael
aime autant façonner les ravioles que
Simone, et ce dernier n’a aucun mal à
pousser auprès du premier les accords
terre-mer de son île natale. Du coup,
sans que l’on sache qui fait quoi, et l’on
s’en moque pas mal, les ravioles ventrues
se remplissent de pommes de terre et
d’oignon brûlé puis se cachent sous la poutargue ou
le pecorino, le rouget fait la planche avec du pomelo
dans une crème de fenouil, le colvert s’encanaille avec
l’anchois et la carotte. Passionné de photographie,
Simone tient à des dressages soignés mais pas
ampoulés.
LE SAGE
Rue Notre-Dame-des-Victoires, Sven Chartier, après
avoir nettoyé un à un des anchois de Collioure comme
s’il s’agissait de pierres précieuses destinées à Cartier,
s’est mis à trier quelques choux de Bruxelles. Autour
de lui, une jeune brigade nettoie des scorsonères, lave
quelques palourdes, épluche de gluants salsifis. Silence
d’une mise en place à peine dérangé par le cliquetis
des couverts que l’on dresse sur les tables de bois
blond conçues par les mêmes designers que la ferme
Hegia. Un bout d’Hasparren, de son silence, posé
en pleine stridence du quartier de la Bourse. Paris,
Sven Chartier s’y est installé quand
Arnaud Daguin
,
son premier mentor, a pris son téléphone pour
appeler
Alain Passard
et lui recommander le petit.
Le grand chef de la rue de Varenne a dit oui même
si la cuisine était déjà pleine. Certains mots pèsent
plus que d’autres. Chartier devient donc ‘runner’ aux
légumes avec pour mission essentielle d’emporter
dare-dare à la plonge les casseroles et les ustensiles
utilisés par le chef de partie. Dans cette cuisine aussi
il n’y a pas un bruit, l’impression parfois de devoir
fonctionner en télépathie avec un chef entièrement
concentré sur une assiette composée comme un jardin
paysagé. La carte de Saturne n’est jamais écrite. Une
série d’ingrédients s’entassent en une liste qui ne quitte
Ils sont quatre pour trois restaurants. Trois nouvelles adresses parisiennes, voisines à vol d’oiseau, et dans l’esprit aussi.
Quoique. Nous avons rencontré Sven Chartier, Pierre-Sang Boyer, Simone Tondo et Michael Greenwold, pour tirer le
portrait d’une certaine jeune cuisine.
Les kids vont bien à Paris
La salle du
Saturne à
Paris (II
e
).
Pierre-Sang in
Oberkampf (Paris,XI
e
) :
la salle.
© NIKI PHOTOGRAPH
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Pierre-Sang Boyer
Il y a une nouvelle
génération qui a envie
de démocratiser la
cuisine, de la désenclaver.