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De la vigne au verre
PAR SOPHIE SENTY
Le vin au verre : séduction à la carte
Coefficient ou marge ?
“
G
râce au vin au verre,
nous avons multiplié
nos ventes de vin par
sept. Je n’avais pas imaginé
de tels résultats. Le midi, nous
avions du mal à vendre la
bouteille. La vente au verre
fonctionne en revanche très bien
et n’a pas cannibalisé les ventes
de bouteilles
”,
explique
Fabien
Seignol
,
patron de plusieurs
établissements, dont la brasserie
Le Côte-Rôtie, à Lyon (la clientèle
de bureaux lui assure environ
150
couverts le midi). Dans son
établissement de la Croix-Rousse,
ouvert le soir uniquement, il
évoque des ventes multipliées
par trois. “
Aujourd’hui, 96 %
des restaurants proposent des
vins au verre
,
rapporte
Nicolas
Nouchy
,
directeur du cabinet
CHD expert.
“
Le nombre de
références est passé à 5,4 verres
par établissement”
,
contre 4,2
en 2010. Le vin au verre ne
remplace pas la bouteille. C’est
une offre complémentaire qui
permet au client de consommer
moins (ou en tout cas d’en avoir
l’impression) et de découvrir
davantage de vins.
VINS LES PLUS VENDUS
Dans son établissement, Fabien
Seignol propose 18 références
entre 2,10 € et 12,5 €.
“
Mes plus
grosses ventes sont comprises
entre 5,5 € et 12 € le verre”,
explique-t-il. Les vins les moins
chers ne sont pas ceux qui se
vendent le mieux.
“
Le client ne
prendra peut-être pas un verre
à 3,80 €, mais si on lui propose
un vin plus cher, il osera”,
affirme
John Euvrard, sommelier et
Meilleur ouvrier de France. Un
sondage révèle d’ailleurs que
71,7 %
des clients préfèrent boire
deux verres d’un vin rare à 10 €
le verre plutôt qu’une bouteille à
20
€.
THÉÂTRALISER
“
Il y a plusieurs pistes pour
lutter contre les difficultés dans
la restauration, et notamment
grâce au vin. Mais il faut
arriver à le mettre en scène, à le
théâtraliser, avec une armoire à
vins par exemple. Cela permet de
se différencier”,
estime Nicolas
Nouchy.
“
Pourquoi ne pas
suggérer le vin du moment, avec
le plat qui le met en valeur ?
conseille John Euvrad.
L’accord
mets et vin semble le principal
levier de vente de vin dans la
restauration. On peut aussi faire
l’inverse.”
Il évoque le concept
de café gourmand qui optimise
café, dessert et temps.
“
Pourquoi
ne pas faire le tapas et verre
de vin pour la personne qui
attend un convive ? Cela peut
fonctionner dans les restaurants
et dans les hôtels où les clients
passent du temps au bar à lire
leur e-mails.”
En résumé : il faut
devancer les attentes du client.
Service gagnant
FACILITER LE CHOIX
Les précisions facilitent la vente. Le client qui n’osait pas
demander ou craignait de perdre du temps osera prendre
un verre. Certaines interprofessions encouragent les
formules et les informations. Celle du Jura recommande par
exemple l’inscription
“
le verre de jura conseillé avec ce plat”
.
L’interprofession des vins de la Vallée du Rhône propose le verre
gourmand. En partenariat avec Vaneau en avril, et Distriboissons
en mai, les restaurateurs parisiens auront la possibilité de
recevoir un kit Verre gourmand contenant des idées d’accords,
une ardoise où poser mets et vins, une ardoise grand format
pour présenter l’offre, et des verres griffés Côtes du Rhône.
METTRE SA RÉGION EN AVANT
Il faut mettre en valeur sa région, proposer au moins une
référence locale ou proche.
“
Si on est à Lyon par exemple, il faut
mettre en avant le Beaujolais, la Vallée du Rhône et la Bourgogne.
À Paris, il faudra penser à la Champagne et au Val de Loire”,
souligne
Damien Gateau
,
professeur de sommellerie à l’institut
Paul Bocuse.
FORMATION DES ÉQUIPES
ET COMMUNICATION
“
Il faut emmener les serveurs dans le vignoble”,
affirme
Pierre-
Hubert de Rougny
,
professeur de sommellerie au lycée hôtelier de
Grenoble. Logique : on vendmieux ce que l’on connaît. Et les clients
sont friands d’histoires sur le vignoble et les vignerons. Ce qui peut
paraître comme une perte de temps sera, à terme, récupéré en
chiffre d’affaires.
Cette offre est de plus en plus répandue et bien utile pour gonfler votre chiffre d’affaires vins.
Fabien Seignol,
dirige plusieurs
établissements à Lyon, dont la Côte-
Rôtie.
Le vin
gourmand,
variante
du café
gourmand.
© JERÔME UBY
Des fourneaux de l’étoilé
Grenier à sel où il a débuté,
au métier de sommelier
conseil, en passant par maître
d’hôtel à la Brasserie Bocuse,
et acheteur de vins pour les
restaurants lyonnais Thomas,
bistrot et gastro,
Benjamin
Poussardin
possède une
expertise affûtée sur les
vins en restauration. Le vin
au verre possède selon lui
toute sa place sur une carte.
C’est un atout qualitatif et qui
rapporte. Mais il faut savoir
l’orchestrer.
“
Il ne faut pas
toujours raisonner en termes
de coefficient”,
revendique-t-il.
Cela fonctionne lorsque l’on
pense en grands volumes, mais
il est préférable de raisonner en
termes de marge si le montant
d’achat de la bouteille est
élevé ou si l’on se place dans
une perspective de qualité. Le
sommelier-conseil explique :
“
Une brasserie ou un gastro
qui veut attirer un client au
pouvoir d’achat plus élevé peut
proposer des pots de 46 cl.
Cela représente deux verres
pour deux personnes, donc le
client peut ensuite reprendre le
volant. Mais le verre est le bon
outil pour vendre de jolis vins.
Vendre un bon saint-joseph
à 8 € le verre, c’est mieux
qu’un pot à 10 €. De plus, les
clients sont rarement seuls. Et
dès que l’on donne accès au
vin au verre, le ticket moyen
augmente.”
À l’exemple du
patron de la Charité à Lyon
(35
couverts par service), qui
lui a dit :
“
Une semaine après
avoir mis en place une carte
de vins au verre, mon ticket
moyen est passé de 19 à 25 €.
Et je réalise 150 € de plus sur
les apéros le soir.”
AUTORITÉ ET CONFIANCE
“
Si le restaurateur affirme qu’il
ne sait pas vendre, il faut lui
conseiller de regarder
dans un guide. Il y a de
nombreuses informations
sur les appellations et les
caractéristiques des vins.”
Benjamin Poussardin
recommande également de
préciser sur la carte des vins les
typicités, par exemple, pour telle
syrah, annoter : ‘puissant, notes
de fruits noirs et de poivre’.
Il encourage également un
service dynamique :
“
Le client
n’est pas là pour choisir, il faut
l’orienter, lui dire par exemple :
‘
Aujourd’hui j’ai un corbières
extra, plein de fruit, je vous le
sers au verre ?’
”
Le sommelier-
conseil insiste également sur la
théâtralité : par exemple faire
goûter le vin, puis révéler ce
que c’est dans un deuxième
temps
. “
Parfois, le vendredi
soir, j’ouvrais une bouteille
de côte rôtie et j’annonçais
qu’exceptionnellement j’avais
ouvert un beau flacon, et je le
proposais au verre. Le chiffre
d’affaires explosait. Les clients
ont besoin d’un service : si
on ne le leur propose pas, ils
ne vont pas le réclamer. En
revanche, une fois que l’on a
gagné la confiance du client, on
lui vend ce que l’on veut car il
sait qu’il ne sera pas déçu.”
Sondage
Verre à 20 €...
Un verre de 8 cl d’un grand cru à 20 €
(
sachant que la bouteille est rare et chère) :
Cela vous choque : 22,5 %
Cela vous tente : 68,5 %
Vous prenez sans hésitation : 8,8 %
Sans réponse : 0,2 %
Benjamin Poussardin
.
Source : Eromatic