Recours du locataire-gérant en cas d’établissement non-conforme

La location-gérance est très répandue. Elle permet au propriétaire qui a exploité un fonds de commerce d’en confier la gestion à un locataire-gérant qui en assure l’exploitation et en tire les profits, moyennant le règlement d’une redevance.

Publié le 23 janvier 2023 à 18:25

La location-gérance est utile pour un commerçant :
- qui n’a pas l’apport, la possibilité d’obtenir un prêt ou les moyens suffisants d’acheter un établissement. Il pourra ainsi se construire une surface financière suffisante, notamment pour acquérir par la suite le commerce qu’il exploite ou un autre ;
- qui veut tester le potentiel de l’établissement avant de l’acquérir, seul ou avec des associés.

Parfois, le propriétaire du commerce souhaite revaloriser son commerce. Il met donc l’établissement en location-gérance entre les mains de professionnels dont l’activité exclusive est la revalorisation des commerces. Depuis la loi Soilihi du 19 juillet 2019, le commerçant n’a plus l’obligation d’exploiter l’établissement pendant deux ans avant de le mettre en location-gérance.

Le propriétaire du commerce doit vérifier qu’il n’existe pas de clause dans son bail lui interdisant de conclure un contrat de location-gérance.

S’il en existe une, le risque est que :
- le bailleur des locaux invoquant la nullité du contrat de location-gérance, demande la résiliation du bail pour avoir conclu un contrat de location-gérance non autorisé ;
- le locataire-gérant s’abstienne de régler au commerçant la redevance et demande aussi la nullité du contrat de location-gérance aux torts du propriétaire du commerce (Ccass. Com. 24 octobre 2018, n° 17-10.620).

Si le contrat de location-gérance est nul, le locataire-gérant peut toutefois être contraint de verser au propriétaire du commerce une indemnité de jouissance pour la mise à disposition du fonds de commerce, la clientèle et l’achalandage dont il a bénéficié (Ccass. 3e civ. 12 juillet 2018, n° 17-18.628).

Durée et redevance

En pratique, il existe souvent une promesse d’achat au bénéfice du locataire-gérant ou une promesse de vente engageant le propriétaire et adossée au contrat.

Le locataire-gérant pourra donc, à une date déterminée correspondant à la fin du contrat ou à une autre date, acquérir ou vendre le fonds à un prix fixé à l’avance, quelles que soient les fluctuations de l’activité pendant la période. Cela lui permettra de pouvoir développer l’activité pendant la durée de la location-gérance sans avoir peur de voir le prix de vente augmenté lors de la vente du seul fait de l’augmentation du chiffre qu’il a réalisée.

Le locataire-gérant verse au propriétaire de l’établissement une redevance. Le montant de celle-ci inclut : 
- le loyer principal payé par le propriétaire du fonds au propriétaire des locaux ;
- les frais afférents au fonds (fonctionnement).

Le montant de la redevance est fixé librement entre le futur locataire-gérant et le propriétaire du commerce, par exemple une somme fixe ou/et un pourcentage (sur les bénéfices, le chiffre d’affaires ou les deux), ce dernier étant le plus proche de la réalité et des fluctuations économiques.

Le montant de la redevance ne doit pas être surestimé, sous peine de voir l’administration fiscale considérer qu’il s’agit d’une partie de prix de vente fixée à l’avance et qui est dissimulée pour éviter le paiement futur d’une plus-value par le vendeur.

Non-conformité des locaux

L’une des principales difficultés des locataires-gérants est la non-conformité de l’établissement ou de l’un de ses éléments lors de leur entrée dans les lieux.

Un état des lieux des locaux, du matériel et des installations doit être dressé à l’entrée dans les lieux, car s’il n’est pas établi ou ne mentionne pas l’état de non-conformité, le loueur indiquera que le locataire-gérant est censé les avoir reçus en bon état de réparation en vertu des articles 1731 et 1732 du code civil. Souvent, le locataire-gérant ne s’aperçoit que plus tard de la non-conformité des locaux ou partie des locaux ou du fonds, notamment lors de l’exploitation, ou lors d’une visite des services préfectoraux de l’hygiène, de la mairie ou autres.

Le locataire gérant devra également faire attention aux clauses du contrat qui déresponsabilisent le propriétaire du commerce. Par exemple : “Le gérant prendra le fonds de commerce présentement loué et ses accessoires dans l’état où ils se trouvent au jour de l’entrée en jouissance sans pouvoir exercer aucun recours contre le loueur pour quelle que cause que ce soit et sans pouvoir prétendre à aucune indemnité ni diminution de la redevance ci-après fixée.”

La clause selon laquelle le locataire-gérant prend le fonds dans l’état où il se trouve n’interdit pas au locataire-gérant de demander certains travaux au propriétaire du commerce (dit “locataire commerçant”). Le locataire commerçant doit assurer une délivrance de la chose conforme, c‘est-à-dire un fonds de commerce conforme à l’usage pour lequel elle est destineé.

Ainsi, si le locataire gérant n’a pas vu à l’entrée dans les lieux qu’il y avait par exemple du matériel non conforme, il a toujours la possibilité de réclamer au bailleur du commerce du nouveau matériel. Il en va de même en principe pour la non-conformité d’autres éléments (exemple : chambre froide, installations électriques et de chauffage présentées comme en parfait état…).

De même, il a la possibilité de réclamer à son bailleur la mise en conformité des locaux (article 1719 du code civil : obligation de délivrance du bailleur du commerce). C’est le cas, par exemple, lorsqu’un restaurant qui dispose d’une hotte sans évacuation de l’air conforme aux règles. En plein service, la température est de 35 à 40 °C dans la cuisine encastrée, au point qu’une fumée intense se dégage, jusqu’au bar et la salle de restaurant et qu’un des salariés a même fait un malaise. Les travaux de la hotte pour la mise en place d’un conduit de cheminée conforme seront à la charge du locataire commerçant.

Le locataire commerçant doit enfin, assurer une jouissance paisible du fonds de commerce.

Cependant, il ne faut pas que le locataire-gérant soit fautif, c’est-à-dire qu’il soit à l’origine de la dégradation du matériel, d’un autre élément du fonds de commerce ou des locaux. Il sera responsable par exemple en cas d’incendie s’il n’a pas assuré le fonds de commerce (Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 3-2, 1er juillet 2021, n° 19/02512).

Comment agir en cas de non-conformité des locaux ?

En pratique :
- parfois, le locataire-gérant se dispense seul de régler les redevances du fait de la non-conformité des locaux, sans fournir plus d’explication au locataire commerçant.
- parfois, le locataire-gérant quitte même les locaux en laissant une dette de redevances à régler.

Il est bien sûr préférable que le locataire-gérant reste et puisse exploiter correctement le fonds de commerce, au besoin en faisant consigner le montant des redevances jusqu’à la réalisation complète des travaux de mise en conformité par le bailleur du fonds. S’il n’obtient pas une solution amiable, il peut agir en référé pour obtenir :
- la réalisation des travaux, notamment de mise en conformité (avec au besoin préalablement la désignation d’un expert constatant les défauts de conformité) ;
- et l’autorisation de consigner les redevances dues, avec réduction provisoire de leur montant, en attendant le rapport de l’expert et la décision judiciaire.

S’il ne souhaite pas rester dans les lieux, il peut assigner en justice dans un délai très rapide le locataire commerçant pour voir annuler ou résilier le contrat de location-gérance, se voir restituer le montant de son dépôt de garantie et le trop-perçu de redevances. Il pourra aussi demander des dommages-intérêts pour manque à gagner et préjudices subis.

Ces possibilités d’actions et de recours peuvent être exercées dans un délai de cinq ans (CA Poitiers, 5 juin 2018, n° 17/03645), et sont donc de nature à dissuader les propriétaires de mettre en location-gérance, même par imprudence, des fonds non conformes.

Attention toutefois à bien analyser l'origine de la non-conformité de l'établissement aux réglementations applicables. Si le locataire-gérant arrête de régler ses redevances alors qu’il est responsable des manquements, il s’expose à un commandement de payer ses redevances et charges visant la clause résolutoire ou en résiliation du contrat, et son expulsion.

Ainsi, un locataire-gérant ne peut pas opposer au locataire commerçant un arrêté de fermeture administrative pour ne pas avoir à payer ses redevances et charges, dès lors que l’arrêté a été rendu en raison de risques sanitaires qui lui sont imputables. Par exemple, un propriétaire de commerce avait adressé à son locataire-gérant un commandement de payer ses redevances et charges visant la clause résolutoire et son expulsion. Ce dernier lui a opposé la fermeture administrative de l’établissement et la réalisation de travaux. La Cour de cassation a décidé que la fermeture temporaire de l’établissement était motivée par l’absence d’hygiène par rapport à :
- la tenue des locaux présentant un risque de contamination, au bâtiment délabré, aux locaux sales, aux équipements et ustensiles des meubles et au mode du fonctionnement du personnel ;
- l’absence de respect des règles d’hygiène, aux aliments servis aux consommateurs (produits de qualité douteuse, absence de traçabilité et de rangement), au stockage et à la préparation des denrées dans des conditions sanitaires déplorables imputables au locataire-gérant (CA Paris, 10 avril 2019, n° 17/11987).

Dans un autre exemple, le contrat de location-gérance d’un hôtel stipulait que le locataire-gérant devait “jouir du fonds et l’exploiter en bon père de famille, satisfaire à toutes les charges de ville et de police, et veiller à ne rien faire qui puisse avoir pour conséquence d’entraîner une dépréciation du fonds de commerce ou une cessation d’exploitation même provisoire.” Les juges ont indiqué que l’obligation du locataire-gérant de maintenir les lieux dans un bon état permettant une activité normale (sans aucun recours contre le bailleur), ne se limite pas au matériel mis à sa disposition mais concerne aussi les lieux.

Le constat des lieux de sortie indiquait que les lieux étaient dans un état de vétusté avancée. La locataire-gérante n’a donc pas exécuté son obligation de maintenir les lieux dans un état correct permettant leur exploitation. Elle n’est donc pas légitime à solliciter le remboursement des travaux d’entretien et de remise aux normes des locaux, puisque ceux-ci s’inscrivaient dans le cadre de son obligation. Le propriétaire du fonds a pu demander le remboursement des factures liées à la pose de châssis de désenfumage, obligation imposée par la mairie (CA Grenoble, chambre commerciale, 28 janvier 2021 n° 19/01567).

Cependant, plus récemment (cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 3 1, 22 septembre 2022, n° 19/06142), le loueur d’un fonds a consenti à la location-gérance une branche de son activité d’hôtel. Ensuite, il a notifié au locataire-gérant sa décision de ne pas renouveler le contrat. Arguant de dégradations commises par son locataire-gérant à la sortie, le loueur a demandé la réfection de la moquette, papiers peints, peintures des plafonds de l’hôtel. Selon la Cour, il appartient au loueur de faire l’état des lieux des locaux (les articles 1731 et 1732 du code civil ne se sont pas applicables entre loueurs et locataires-gérants). Le locataire ne répond pas des dégradations ou pertes produites pendant la jouissance, sous réserve d’une faute de sa part. Or, il n’y avait pas de faute prouvée du locataire-gérant, car le loueur ne pouvait pas produire l’état des lieux d’entrée et l’inventaire du fonds à l’entrée.

Compte-tenu du nombre croissant de contentieux portés devant les juridictions au sujet des travaux de mise en conformité, il est nécessaire d’avoir recours à un avocat spécialiste pour rédiger le contrat, éviter les risques et optimiser les investissements.



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