L'Hôtellerie Restauration No 3790

RESTAURATION Xavier Thuizat : “À L’Écrin, la sommellerie est le chef d’orchestre” © DR Repas et écrans : des liens de plus en plus étroits De la confection des repas à leur consommation, la place des écrans gagne du terrain dans le quotidien des Français. Un frein à la convivialité ? PARIS Chef sommelier de l’Hôtel de Crillon, ce Bourguignon a marqué 2022 en devenant meilleur sommelier de France et MOF. L’Hôtellerie Restauration : Pour votre première participation à des concours, vous avez tout remporté ! Comment vous étiezvous préparé ? Xavier Thuizat : Dans un premier temps, j’avais le MOF pour seul objectif mais j’ai pensé que le concours de meilleur sommelier de France pourrait me mettre en situation, notamment pour la gestion du stress. Donc je voulais atteindre la demi-finale prévue un mois avant la finale du MOF afin de me retrouver face à des ateliers pratiques et ainsi de juger ce qui allait et rectifier ce qui pourrait ne pas bien fonctionner. Et comme tout s’est bien déroulé, je me suis retrouvé finaliste des deux. Mais préparer deux concours aussi rapprochés, c’est accepter beaucoup de sacrifices, physiques notamment. Pendant dix-huit mois, j’ai limité mes périodes de sommeil à 5 heures. En rentrant du Crillon, de minuit et demie à deux heures, je préparais la partie écrite et je révisais les accords mets-vins. Puis le matin, devant la glace de la salle de bain, je me mettais en situation en me filmant afin de corriger les erreurs. Au début, mon discours était hésitant, il manquait de fluidité. J’ai identifié les erreurs. Je devais être plus audible et un peu plus théâtral, tout en restant le plus proche possible de ce que je suis une fois dans la salle de restaurant. Justement, quelle place occupe la sommellerie au restaurant gastronomique du Crillon ? C’est simple, à L’Écrin, la sommellerie est le chef d’orchestre ! Ici, on choisit en premier lieu une bouteille et à partir du vin sélectionné, on va créer un menu sur mesure pour chaque table. C’est la sommellerie qui donne le la et qui va écrire un bon unique avec le chef Boris Campanella au téléphone. Et nous sommes deux, mon adjoint et moi-même, à gérer cette étape. En salle, les sommeliers représentent 75 % de l’équipe, ce qui fait de L’Écrin un restaurant totalement dédié au monde du vin. Les retours des clients sont vraiment très bons, car ils savent qu’une fois leur bouteille retenue, même s’ils ne connaissent rien du menu, ce qui leur sera proposé sera en harmonie avec le vin. En profitez-vous pour mettre la sommellerie en scène ? Bien entendu. À commencer par l’ouverture de la bouteille qui se fait au guéridon mobile devant la table. Cela s’accompagne le plus souvent d’un carafage ou bien d’une décantation ou encore une ouverture spéciale comme un porto à la pince. Enfin, depuis peu, nous proposons le service d’un xérès au fût avec une venencia, comme en Espagne. Les gens sont ébahis de nous voir ressusciter des modes de service ancestraux comme c’est le cas avec la cuillère de tokaji pour l’Eszencia, qui constitue aussi un moment magnifique. Une question, un commentaire sur cet article ? lhotellerie-restauration.fr/QR/RTR173206 Une question, un commentaire sur cet article ? lhotellerie-restauration.fr/QR/RTR373169 L’écran serait-il devenu le quatrième couvert à table ? D’après la dernière étude Datalicious by Just Eat avec l’Ifop, 68 % des Français dînent devant la télévision, et 12 % face à leur ordinateur. 53 % des sondés envoient des messages sur Whatsapp, Messenger et autres durant le dîner, et 46 % des e-mails. 35 % indiquent regarder des vidéos ou les réseaux sociaux (Youtube, Tiktok...), 29 % regardent ou lisent les actualités, 21 % regardent des séries, 20 % des films, 18 % jouent aux jeux vidéo, 15 % écoutent de la musique, et 4 % vont sur des applis de rencontres. Un contexte favorable à la livraison : pour 53 % des Français, les soirées Netflix et livraison de repas ont aujourd’hui remplacé les soirées cinéma-restaurant, et 47 % se font effectivement livrer des repas, contre 39 % en 2019. Autre phénomène en vogue : le food porn. 39 % des Français prennent des photos de leurs plats, 32 % postent sur les réseaux sociaux les photos de leurs repas au restaurant, 31 % exhibent leurs talents culinaires en affichant des plats faits maison et 20 % posent avec les plats livrés. Quant aux réseaux sociaux, 53 % des Français y puisent des idées de plats et 52 % les utilisent pour choisir un restaurant. 41 % des Français suivent leurs restaurants préférés sur les réseaux, et 28 % en profitent pour déconseiller un restaurant. No-phone January Repas et écrans sont donc de plus en plus liés. Pourtant, 81 % des Français voudraient en finir avec les écrans pendant les repas, afin de recréer des moments de partage, de convivialité et d’échange. C’est dans cet état d’esprit qu’Adrien Martin, gérant du restaurant américain Samy’s Diner au Séquestre (Tarn), propose pour la deuxième année consécutive son No-phone January. “Un soir, j’ai eu un flash en voyant 70 % des clients du restaurant, tête baissée, sur leur portable. J’ai essayé de trouver un moyen pour qu’ils puissent plus profiter du moment présent”, raconte le professionnel. En janvier, chez Samy’s Diner, les clients sont donc invités à déposer leur smartphone sur leur table, dans une corbeille. Ceux qui ne touchent pas à leur portable le temps d’un repas se voient offrir un thé, un café ou un digestif. Lorsque le restaurateur propose à ses clients de relever ce défi, “la plupart s’inquiètent ou font des gros yeux. Mais il n’y a rien d’obligatoire, et je ne présente pas ce jeu aux personnes seules”. Malgré tout, “90 % des clients jouent le jeu jusqu’au bout. À la fin du repas, ils sont très contents. Ils vivent une expérience et en parlent autour d’eux, note Adrien Martin. J’avoue que cette initiative est un peu à contre-courant, alors que certaines chaînes incitent à utiliser son téléphone pour regarder le menu, payer ou prendre des photos. Mais moi, je veux que le serveur et l’humain restent au centre du restaurant !” Samy’s Diner propose à ses clients de prendre un repas sans téléphone. Violaine Brissart Avec le service à la venencia, comme en Espagne, Xavier Thuizat valorise le travail du sommelier. © DR Jean Bernard

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