Page 11 - L'Hôtellerie Restauration No 3382

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C’est aussi cela notre vocation :
déceler les nouvelles tendances,
et financer l’avenir et l’audace en
restant fidèles à la réalité
économique.
Hôtellerie
Le marché de l’investissement n’a jamais été aussi dynamique”
Rencontre atypique avec le directeur régional Paris de la Banque publique d’investissement française. Il s’exprime sur le contexte
financier actuel dans l’hôtellerie, notamment dans la capitale.
PROPOS RECUEILLIS PAR X.S.
Pedro Novo : “
Bpifrance
se veut être garant
d’un équilibre financier résilient”
L’Hôtellerie Restauration
:
Quelle impression avez-
vous dumarché de l’investissement à Paris ?
Pedro Novo
:
Le marché de l’investissement, au
sens large, n’a jamais été aussi dynamique que
maintenant. Paradoxalement, il ne s’est jamais ralenti,
même pendant la crise, avec notamment l’arrivée
de nombreux nouveaux entrants institutionnels ou
dits fiscaux, sur fond d’un marché réalisant de belles
performances économiques. En 2013, sur la seule
direction régionale de Paris, nous avons financé
pour 200 M€ - en crédits -, ce qui signifie 600 M€
de projets menés par des investisseurs parisiens
-
non seulement dans la capitale mais aussi sur
l’ensemble du territoire -, qui ont été cofinancés avec
les banques partenaires de la place et d’autres modes
de financement. En France, le marché hôtelier est très
hétérogène. Il se divise entre une hôtellerie urbaine
dynamique d’une part, à Paris, Lyon et Marseille,
relayées par des capitales régionales comme Bordeaux,
Nantes et Lille entre autres. Elles représentent des
gisements de création de valeurs très importants.
D’autre part, le parc hôtelier de petite capacité,
non rénové en milieu rural, est cannibalisé par les
maisons d’hôte et les offres alternatives. Ceux-là,
malheureusement, ont davantage de difficultés à se
financer et à trouver un acheteur, d’où la disparition de
certains d’entre eux. Le marché se segmente aussi avec
différents acteurs :
-
la rénovation et la transformation,
où se retrouvent des établissements
indépendants anciens, généralement
urbains, qui, du fait de leur rénovation,
voient leur qualité augmenter et se
transforment parfois en boutique-hôtels
attractifs, souvent innovants et affichant
une forte identité ;
-
il existe par ailleurs un marché des
nouveaux palaces gros porteurs. Financés
selon des codes différents, avec des
montages spécifiques, hors normes. Ces établissements
de prestige ne déséquilibrent pas pour autant le marché
traditionnel et trouvent leur place. Il n’y a qu’à voir les
résultats récemment dégagés par le Mandarin Oriental
ou le Royal Monceau, irrigués par une clientèle
étrangère dont la fréquence des visites et l’appétit pour
la capitale ne faiblit pas ;
-
il y a enfin le marché de l’hôtellerie de chaîne
ou d’enseignes, très développé sur le territoire
succursaliste ou franchiseur. Il représente une part de
marché tout à fait considérable.
On assiste depuis peu à l’arrivée de nouveaux modes
de financement. Quelles conséquences cela peut-il
avoir sur le marché ?
L’arrivée de nouvelles formes de financement a permis
de répondre à la contrainte de marché imposée par les
nouvelles réglementations bancaires internationales
-
dites de Bâle III - conjuguées à une visibilité
économique plus étroite, le tout rendant le crédit
globalement plus rare et plus cher.
Ces nouvelles formes de fonds propres ou quasi
fonds propres ont permis d’équilibrer le risque des
projets. C’est une bonne chose en soi, puisque cela
assure le maintien de la dette injectée dans des
limites supportables par la rentabilité opérationnelle.
Historiquement, le financement de l’hôtellerie était
assuré par des emprunts à long terme et une partie
de fonds propres plus ou moins importante - environ
30% -
selon l’emplacement, la qualité des actifs et la
nature de l’acquisitionmurs et fonds ou titres. Or, depuis
une dizaine d’années, le montant des fonds propres
imposé a augmenté, par exemple autour de 50% en
moyenne pour des actifs premiums parisiens.
Par conséquent, pour poursuivre leur développement,
les acteurs du marché hôtelier ont dû chercher d’autres
formes de financement en levier face à des prix qui
poursuivent leur progression, nourris par une forte
demande. On a ainsi vu émerger de nouveaux fonds et
de nouveaux acteurs tels que 123 Venture, OTC Asset
Management, Turenne Capital ou encore Novaxia.
Ils disposent d’une surface financière importante et
d’une ingénierie qui permet, en levier des investisseurs
historiques, de ‘solvabiliser’ à l’aide de ressources
patientes - obligataire convertible, Equity - les plans
de financement proposés. Dans un autre registre, nous
observons l’entrée de fonds institutionnels français
ou étranger séduits par l’attractivité du sous-jacent
hôtelier dans l’Hexagone, et en particulier à Paris - qui
reste, malgré des prix élevés, compétitive face à New
York, Londres ou Tokyo. C’est le cas de Pramerica,
venu apporter son soutien aux projets réussis de
financement du groupe Paris Inn. Plus récemment,
d’autres types de fonds ont été levés par des collecteurs
en faisant appel à l’épargne publique. Ils sont destinés
à financer le rachat d’hôtels. Le modèle reste encore
à démontrer selon les leviers mis en force, et ce, alors
qu’il accélère fortement sans avoir pu mesurer les
premières performances malgré un intérêt naturel
que représentent ces liquidités à l’entrée. Il est vrai
que lorsqu’une transaction à l’achat est opérée sur un
prix haut de fourchette, sur un actif neuf ou difficile à
upgrader, tout en assurant des rendements supérieurs à
7,5 %,
les marges de manœuvre sont étroites.
Comment se positionne Bpifrance sur le marché
si actif du financement ?
Bpifrance se veut être garant d’un équilibre financier
résilient permettant de voir plus grand et de préparer
le coup d’après ! D’abord, parce que la participation
d’une institution co-détenue par l’État et la Caisse des
dépôts a tendance à rassurer, et aussi parce que notre
histoire d’acteur du financement dans l’hôtellerie inspire
une certaine confiance à nos partenaires investisseurs
et prêteurs, aux côtés desquels nous sommes toujours.
Ensuite, nous investissons sur du long terme. Ce qui
nous guide, c’est de faire émerger des champions, de
donner des possibilités d’investir à de nouveaux acteurs,
d’aider des entrepreneurs créatifs et audacieux dans
leurs projets de développement. À titre d’exemple, nous
finançons, dans la restauration, le développement de
Big Fernand. Ce concept de hamburger français fait
un carton à Paris et part désormais à la conquête de
New York. Dans l’hôtellerie, nous soutenons aussi les
concepts urbains innovants comme Mama Shelter, dont
Serge Trigano
propulse le déploiement international
après avoir assis son ADN originel à Paris puis dans
l’Hexagone. En revanche, nous n’intervenons pas sur des
montages financiers qui restent en dehors des équilibres
économiques usuels, comme le financement des grands
palaces. Nous ne savons pas financer des chambres à des
prix dépassant sensiblement le million d’euros la clé.
Quels sont les griefs que l’on peut vous faire ?
On entend assez peu de critiques en réalité. On peut
nous reprocher d’être trop prudents ou conservateurs,
mais nous restons fidèles à des valeurs pragmatiques
et de bon sens. Nous ne souhaitons pas mettre
inutilement sous tension les projets que nous
soutenons par des leviers trop exposés. Bpifrance est
bâti sur des valeurs qui illustrent le code génétique de
ce positionnement, à savoir la simplicité, la proximité,
l’optimisme et la volonté.
Comment envisagez-vous l’année qui vient ?
Le marché va rester formidablement attractif au
regard de prévisions très encourageantes. Nous
n’avons jamais fait autant de dossiers à Paris. Il y
en a une vingtaine en cours de signature sur mon
bureau. Par ailleurs, je pense que le marché n’a
jamais été aussi créatif et que cette créativité est
rattrapée par des évolutions sociétales. Il existe en
effet des changements de comportement parmi les
consommateurs. L’hôtellerie, notamment urbaine
mais pas exclusivement, semble devenir un lieu de
loisirs, de plaisir et d’émotions pour la population
résidente, au même titre que les restaurants. On
voit en effet de plus en plus de Parisiens tester un
hôtel pour se faire plaisir, comme on décide d’aller
au restaurant. C’est une nouvelle tendance de
consommation qui apporte aux hôtels une vraie
contribution au plan économique et des gisements de
croissance. C’est aussi cela notre vocation : déceler les
nouvelles tendances, et financer l’avenir et l’audace en
restant fidèles à la réalité économique. Voilà le rôle de
Bpifrance dans l’hôtellerie.
Pedro Novo
,
directeur
Paris de Bpifrance :
Ce qui nous guide,
c’est de faire émerger
des champions,
de donner des
possibilités d’investir
à de nouveaux
acteurs, d’aider
des entrepreneurs
créatifs et audacieux
dans leurs projets de
développement.”