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LuKMUJZM
“
Avec la création d’un répertoire de sauces
modernes, sans ajout de matière grasse ou de sel,
c’est un nouveau champ de la cuisine que j’explore
au 1947 de Courchevel”,
explique
Yannick Alléno
.
Retrouvez 3 recettes extraites du livre pages 82 à 87
d’avoir été éduqué par eux. Ce que j’ai
réussi à faire aujourd’hui, c’est grâce à
mon intransigeance aussi. C’est un legs
que je voudrais laisser.
AlainChapel
disait :
“
La cuisine c’est autre chose qu’une
recette”.
Et justement, ce livre, c’est autre
chose que des recettes car j’ai essayé de
donner tout ce que mes maîtres m’ont
transmis, tous ces tours de main que tu
ne marques jamais, le regard, le savoir-
faire... J’ai essayé de retranscrire dans
ce livre ce qu’ils m’ont enseigné. Quand
un chef t’explique que ce n’est pas la
viande qui colore ton bouillonmais
l’oignon que tu vas faire colorer sur les
côtés, c’est important. C’est plus que des
conseils, c’est de la transmission. Quand
Louis Grondard
vous dit qu’il ne faut
pas flamber une américaine parce que
cela donne de l’amertume, il faut savoir
écouter et le retranscrire. J’ai fait le tour de
cette cuisine fantastique. Cela m’a pris 25
ans. Je veux faire autrement maintenant.
Vous évoquez le début d’un nouveau
cycle, que voulez-vous faire
exactement ?
J’ai entamé un travail important de
recherche sur les sauces. La sauce, c’est le
liant de tout. Il permet de lier dans l’assiette
deux éléments aussi différents qu’un
filet de bœuf et une asperge. Les sauces
traditionnelles, aussi formidables soient-
elles, sont longues à réaliser et demandent
un savoir-faire extraordinaire. L’évolution
sociale et sociétale nous a conduits petit à
petit à les soustraire à des condiments.
Expliquez-nous ce qu’est pour vous une
saucemoderne .
Une sauce, c’est une composition
d’éléments. Avant, quand j’avais besoin
d’une sauce, j’allais chercher dans le
répertoire des sauces du XIX
e
siècle :
poivrade, béarnais, grand veneur…
Les sauces modernes, ce sont des sauces
diététiques, bonnes pour la santé et
franches en goût. Grâce au
travail que nous avons mené
avec le Centre de recherche et
études alimentation [Créa],
nous avons trouvé des choses
extraordinaires.
Quels sont les objectifs de vos
recherches avec Bruno Goussault au
Créa ?
Je voulais atteindre un goût particulier.
C’est le syndrome de la terrine. Quand tu
cuis une terrine, lemeilleur, c’est ce qu’il y
a dans le fond, c’est-à-dire la quintessence
du goût de ce qu’on amis à cuire dans
le bocal. C’est l’extraction ! J’ai essayé
de le reproduire de façon normale dans
une casserole, tel qu’onme l’a enseigné,
et je n’y suis pas arrivé. Alors, je suis allé
trouver
BrunoGoussault
au Créa et nous
avons commencé à chercher, à extraire,
à trouver le goût. Ensuite, nous avons
échangé sur un principe de concentration :
la cryoconcentration, connue depuis 1928
et avec laquelle
Joël Robuchon
a fait un
travail extraordinaire. Grâce à l’extraction
additionnée à la cryoconcentration
successive, on arrive à avoir des goûts
fantastiques. La réduction par le chaud
entraîne une transformation importante
de lamatière. Ici, par le froid, nous
avons observé une grande amélioration.
L’extraction exprime la vérité du produit.
Nous avons, par exemple, concentré un
exsudat de céleri qui nous a donné des
similitudes gustatives à celles d’un vin
jaune. En utilisant ces procédés modernes
de cuisson, on arrive à obtenir des laits de
sole, par exemple, ou des jus que je n’ai
jamais goûtés jusqu’alors. Jem’appuie
dessus pour créer des sauces nouvelles.
La combinaison de ces extractions, à la
manière de l’assemblage chez les vignerons,
ouvre des perspectives enthousiasmantes.
Avec la création d’un répertoire de sauces
modernes, sans ajout dematière grasse ou
de sel, c’est un nouveau champ de la cuisine
que j’explore au 1947 de Courchevel.
Revoir le repas qui ne doit pas être une
succession de petites portions, remettre
à l’honneur le plat principal…est un
autre axe de réflexion semble-t-il.
Oui, dans Ma cuisine moderne, outre
les nouvelles techniques, j’ai souhaité
remettre le plat principal au centre du
repas, à l’image du repas français. Un
plat autour duquel s’articulent les autres
éléments. Le client choisit le plat et c’est
ce qui détermine les petites entrées,
le fromage, les desserts que nous lui
conseillons afin que la dégustation soit
en parfaite harmonie de bout en bout. Il
s’agit d’une conception globale du repas
avec des variations autour de chaque plat
principal, loin des successions de petites
assiettes.
Q
Secrets de chef
/
Yannick Alléno
Yannick Alléno,
Ma cuisine française
Aux Éditions Laymon – en vente exclusivement sur