► Le contexte : Vous apprenez que votre chef de cuisine a harcelé sexuellement votre chef pâtissière. Vous avez des preuves et les faits sont suffisamment graves pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté entre un comportement déplacé et un harcèlement sexuel. Vous êtes effondré. Vous culpabilisez de ne pas avoir vu ces comportements inadmissibles car, en tant que manager, vous vous sentez responsable de votre équipe et de ces départs qui auraient pu être évités avec plus de vigilance. Humainement, vous êtes terriblement déçu par votre chef de cuisine avec qui, pourtant, vous avez réussi à faire de votre restaurant gastronomique ce qu’il est devenu.
La situation est d’autant plus grave que vous apprenez en même temps qu’il y a eu d’autres victimes dans votre établissement. D’anciennes collaboratrices ont démissionné sans vous alerter.
► L’analyse de la situation
- Soit vous étouffez l’affaire et vous préservez l’image de votre établissement en vous disant qu’après tout, ça fonctionne comme ça. L’enjeu économique est trop important.
- Soit vous sanctionnez votre chef de cuisine. Et en plus de le perdre, vous allez très probablement perdre aussi votre chef pâtissière. Deux membres importants de votre équipe. Pour ne rien arranger, l’affaire a toutes les chances d’être médiatisée. L’image vis-à-vis des clients et des futures recrues, ainsi que l’activité de votre établissement, vont en pâtir lourdement.
Comment réagissez-vous ?
- Vis-à-vis de votre chef de cuisine : vous n’êtes pas pour mettre le problème sous le tapis, vous n’êtes pas pour être complice. Vous êtes droit dans vos bottes et vous préférez avoir le courage d’assumer. Avec toutes les conséquences économiques que cela peut engendrer vu la notoriété de votre chef. Vous le licenciez.
- Vis-à-vis de votre chef pâtissière : c’est une jeune femme talentueuse et ambitieuse. Vous souhaitez la retenir car il y a toutes les chances qu’elle agisse de la même manière que ses prédécesseurs et démissionne. Du moins, c’est la conclusion à laquelle vous arrivez après avoir réussi à en parler avec une de ses collègues. De plus, elle a assuré son travail comme si de rien n’était. Ensuite, l’omerta est bien ancrée dans la petite communauté de la restauration gastronomique où tout le monde se connaît. Le mouvement #metoo# ne s’y est pas propagé. Vous avez vu le film She said sur l’affaire Weinstein et les victimes ne tiennent pas à prendre le risque de nuire à leur carrière. Vous préparez votre négociation pour que votre salariée change sa position. Autrement dit, sur quels éléments pouvez-vous jouer pour qu’elle revoie sa position et décide de conserver son poste ?
La négociation avec votre salariée Vous : “Je voulais vous voir, je suis au courant de ce qu’il s’est passé. Je tenais à vous présenter mes excuses. J’en suis profondément désolé. Permettez-moi de vous demander comment vous allez ?”(1) […] Vous : “Y a-t-il quelque chose que je peux faire pour vous venir en aide ?” Vous : “Je tenais à vous dire à quel point je trouve cela répréhensible. C’est pour cela que j’ai mis à pied M.… en vue d’un licenciement dès que j’ai été mis au courant. Après ce qu’il vient de se passer, j’aimerais rappeler que la vision du restaurant, c’est d’obtenir une reconnaissance internationale, même si le chemin est semé d’embûches. Et que le moyen d’y arriver est de travailler au sein d’une équipe où chacun prend plaisir dans ce qu’il fait. Voilà notre intérêt commun.” (2) “Car au-delà des conditions financières, c’est bien la passion et la reconnaissance de votre talent qui vous animent, n’est-ce pas ?” (3) […] Vous : “Puisque ce dont il s’agit aujourd’hui, c’est de reconstruire l’équipe, quelle place souhaitez-vous avoir dans la nouvelle organisation ?” (4) […] Votre salariée : “Votre compréhension est tout à votre honneur. Néanmoins, je ne pense pas poursuivre notre collaboration. J’envisage de démissionner et je ne vous cache pas que j’ai déjà quelques propositions intéressantes." Vous : “Vous souhaitez démissionner car c’est une manière pour vous de laver l’affront, c’est bien ça ?” (5) […] Vous : “Je vais être direct avec vous. Estimez-vous que démissionner, c’est l’option qui vous rendrait la plus fière ? Est-ce rendre justice à toutes celles qui souffrent de ce fléau ? Et si, au contraire, vous deveniez par votre courage dans l’adversité une source d’inspiration pour toutes celles qui se retrouvent dans cette situation ? Et si au contraire, vous ne renonciez pas à vos plans ?” […] Vous : “Je vous propose, outre une promotion et de meilleures conditions financières, d’avoir plus d’impact sur la réputation du restaurant. De développer la communication sur les desserts, d’accroître le budget coût matières pour concevoir de nouvelles recettes créatives, de vous sponsoriser pour un concours de pâtisserie. Bref, ce que je vous propose, en réponse à ce qu’il vient de se passer, ce n’est pas la démission, c’est la construction d’une nouvelle étape dans le développement du restaurant. C’est une opportunité pour vous.” |
► Retour d’expérience de négociations
• Avant la négociation
- En premier lieu, gardez votre lucidité. En période de crise, face à l’inconnu, la peur et les émotions vous envahissent. Elles sont naturelles. Apprenez à les contrôler. Vous garderez votre lucidité. Prenez le temps nécessaire pour analyser la situation, même sous pression. Temps incompressible en adéquation avec l’enjeu de la négociation. Votre analyse vous permet ensuite de vous orienter vers tel choix. Choix que vous assumerez par la suite.
- Demandez-vous quel est l’enjeu de la négociation pour la partie adverse : qu’est-ce qui motive réellement la partie adverse ? Comment vous pouvez-vous le savoir ?
- Quels éléments pouvez-vous proposer pour obtenir un accord ? Quelles sont les lignes rouges que vous ne souhaitez pas dépasser ?
• Pendant la négociation
(1) Ne négligez pas la phase préparatoire. On se focalise trop souvent sur l’objet de l’entretien et on fonce tête baissée. Essayez de prendre du recul.
(2) Commencez par rappeler l’OCP, l’objectif commun partagé, pour faire ressortir les éléments qui vous rassemblent.
(3) Continuez par une question d’amorçage, une question fermée tournée de telle sorte qu’elle permette de déclencher un ‘oui’ facilement. C’est un excellent moyen pour commencer à créer le lien, même auprès de personnes mutiques ou agressives. Les ‘non’ ont tendance à bloquer ou à détruire la relation.
(4) Enchaînez par une question d’opportunité, une question ouverte qui donne l’opportunité à la partie adverse de s’exprimer librement, que ce soit au niveau de sa position, de ses demandes, de son ressenti ou même de ses besoins.
(5) La question validante montre à la partie adverse qu’elle se sent écoutée voire comprise sans pour autant cautionner sa position.
• Après la négociation
- Débriefer : si nous n’apprenons pas du passé, nous sommes condamnés à le reproduire. Il faut comprendre ses succès, déconstruire ses échecs, accepter ses erreurs.
- Changez votre regard sur les négociations et sur les conflits en général. Le conflit est aussi source de valeur ajoutée pour les deux parties. Valeur ajoutée qui n’existerait pas sans conflit.
négociation #laurentcombalbert#
Publié par Olivier MILINAIRE