“Houston, we have had a problem !” La phrase prononcée en 1970 lors du voyage d’Apollo 13 est mondialement connue. Heureusement, ce problème a été résolu avec une fin heureuse et héroïque. Mais devant la situation économique actuelle, il est malheureusement possible de dire avec une certaine prophétie : “Paris, nous courons vers un désastre !” Car les cafés, hôtels et restaurants se trouvent désormais dans une situation de cumul de déconvenues qui pourrait s’annoncer fatale pour un grand nombre d’entre eux.
Les fermetures lors de la crise sanitaire, le rétablissement parfois trop lent après la pandémie, les PGE à rembourser, les augmentations fulgurantes des matières premières, la rareté du personnel, l’envolée du coût salarial dans laquelle le montant payé ne reflète pas toujours les compétences ‘achetées’… créent désormais une énorme poudrière financière pour la profession. Néanmoins, une poudrière, quoique explosive, n’est dangereuse que si une étincelle initie la déflagration. Cette l’étincelle approche dangereusement sous la forme de hausses vertigineuses du coût de l’électricité et du gaz, dont aucune entreprise dans nos métiers n’échappe.
Dans un point presse de la semaine dernière, Olivia Grégoire, ministre chargée du Tourisme, s’est félicitée de la “performance” actuelle du secteur. En citant un nombre d’indicateurs en progression - allant du nombre de Français partis en vacances à la Toussaint en passant par une augmentation de la fréquentation de 3,2 %, un RevPAR qui progresse de 12,9 % et un ticket moyen affichant + 20,9% - elle conclut à “un retour de belles performances pour le système écotouristique qui est, tant en matière de fréquentation que de dépenses, très dynamique”.
Des bons chiffres rassurants, indicateurs d’une ‘activité’ en progression mais qui ne garantissent pas pour autant la sérénité dans les entreprises, car les conditions d’exploitation sont devenues dorénavant très complexes, très fragiles, très exposées.
Des augmentations du prix de l’énergie de 500 %
Prenons le cas d’un restaurant traditionnel qui réalisait, avant la pandémie, un résultat net après impôts de 9 % (ce qui constitue déjà un bon résultat). Cette entreprise en 2019 avait un coût matières de 30 %, un coût salarial chargé de 40 % et des autres charges et impôts d’environ 21 % (dont 3 % pour l’électricité).
L’augmentation actuelle des matières premières de ‘seulement’ 10 % grignote 3 % du résultat, celle des salaires de ‘seulement’ 10 % grignote 4 %, et celle des autres charges hors électricité et gaz de ‘seulement’ 5 % grignote 1 %. Soit un grignotage cumulé de 8 %.
Si l’entreprise a augmenté ces prix de vente proportionnellement depuis 2019, il serait possible d’imaginer qu’elle s’en sortirait actuellement avec des résultats convenables. Cependant, toutes n’ont pas suivi le chemin des augmentations proportionnelles. Dans ce cas, elles sont désormais plus faibles et plus exposées qu’en 2019. Dans les deux cas, avec ou sans augmentation des prix de vente, la poudrière s’est constituée au moment où ‘l’étincelle énergie’ est arrivée.
De nombreux hôtels, restaurants, cafés et traiteurs sont en train de recevoir des notifications de leur part de leur fournisseur d’énergie de hausses de tarifs qui se chiffrent entre 400 et 500 %. Autrement dit, au mieux, les 3 % que cette charge représentait dans leur CA en 2019 passeront à 12 % en 2023, un grignotage de 9 % du résultat, parfaitement impossible à financer dans les business modèles actuels.
Les pistes à explorer par le chef d’entreprise
Certes l’exploitant et chef d’entreprise peut et doit agir pour améliorer sa propre performance, sans attendre de l’aide venant de l’extérieur. Plusieurs pistes sont à explorer :
- une ingénierie des menus et autres prestations qui permet de proposer des produits éventuellement moins chers à l’achat mais où la qualité proposée au client reste inchangée ;
- des périodes d’ouvertures réduites pour diminuer les temps d’inactivité sans forcément perdre des clients ;
- une rationalisation de l’utilisation du personnel (moins d’heures supplémentaires) ;
- une guerre absolue contre le gaspillage de l’énergie en particulier et aux autres gaspillages en général ;
- une densification du taux d’occupation grâce au marketing accru ainsi qu’une visibilité électronique accentuée (plus de clients et plus de chiffres d’affaires atténuent mécaniquement l’impact des charges fixes) ;
- une bataille pour densifier le nombre de réservations en direct pour les hôtels et une dépendance amoindrie pour les ventes commissionnées pour les restaurants ;
- un ensemble de mesures opérationnelles, qui pourraient paraître très marginales, mais qui ensemble contribuent à maintenir l’entreprise rentable ;
Une pression inflationniste insurmontable
Cependant, les augmentations du coût de l’énergie s’annoncent, pour beaucoup, presque insurmontables si la pression inflationniste sur les autres coûts perdure et si l’entreprise est laissée seule. Soucieux de ne pas laisser les exploitants seuls, le Gouvernement a annoncé des aides pour limiter les augmentations à hauteur de 15 % pour les petites structures (< 10 salariés) dont la facture d’électricité dépassait 3 % du CA en 2021, qui ont réalisé moins de 2 M€ de CA en 2021, qui ont subi une augmentation d’au moins 50 % de sa facture en 2022 et surtout qui ont souscrit un abonnement à moins de 36 kVA. Or, malheureusement, peu nombreuses sont des entreprises, en restauration en particulier, qui sont sous ce seuil. Une friteuse, une salamandre, un lave-vaisselle, les chambres froides, une cellule de refroidissement, les lumières nécessaires cumulent très rapidement une puissance électrique au-delà ce seuil de 36kVA.
De ce fait, malgré cette aide significative, il n’est pas difficile de comprendre que la poudrière risque d’exploser si les entreprises ne sont pas accompagnées autrement dans cette période si compliquée et dans un avenir plus long.
Les CHR représentent 1 million d’emplois directs, des milliers d’entreprises, souvent des petites structures qui, pour emprunter le terme de Gabriel Attal, ministre de l’Action et des Comptes publics, sont des entreprises laborieuses, où les exploitants ne comptent pas leurs heures. Seules et malgré les efforts opérationnels déjà consentis, un grand nombre d’entre elles risquent tout simplement de disparaitre dans la déflagration imminente.
Conserver de la trésorerie dans les entreprises
Lors du congrès national de l’Umih à Brest la semaine dernière, Olivia Grégoire s’est engagée à faire un maximum pour aider à trouver des solutions, même s’il serait déraisonnable d’imaginer que l’administration seule pourra résoudre la situation. Il est à espérer qu’un accompagnement structuré et pragmatique puisse être proposé pour être couplé à la volonté des milliers d’exploitants qui souhaitent vivement continuer à exister dans un avenir proche, mais surtout dans un avenir durable.
L’accompagnement pourrait s’articuler sur d’autres postes que l’énergie car, dans un premier temps, il est absolument vital de laisser de la trésorerie dans les entreprises, mais comment ? À titre d’exemple, un moratoire sur les mises aux normes (sauf normes de sécurité) pourrait être décrété pendant la période des remboursements des PGE. D’autres pistes, même les plus inattendues, devraient être évoquées et débattues.
Ensuite, des aides à taux réduits pour financer la conversion écologique des entreprises avec des périodes de remboursements et d’amortissements allant jusqu’à vingt-cinq ans. Un petit exemple : 250 000 € d’isolation extérieure aurait un coût annuel autour d’environ 12 000 € soit 1 000€ par mois, facilement récupérable à travers des économies.
Dans tous les cas, une action concertée et consolidée entre les exploitants d’une part et l’exécutif de l’autre semble être la seule solution pour transformer l’expression : “Paris nous courons vers un désastre” en “Ouf, nous avons frôlé la catastrophe !”
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Publié par Christopher TERLESKI