Actualités

www.lhotellerie-restauration.fr
 
de novembre 2003
À LA UNE

La cuisine selon Maximin

< Le goût du jour
La cuisine d'aujourd'hui, c'est de l'assemblage un peu plus élaboré, c'est pour ça qu'il n'y a plus de goût. A force de mélanger tellement de goûts, on ne sait plus ce qu'on a dans l'assiette. Le mélange des genres systématique n'est pas forcément un gage de réussite. Si vous faites du veau, il faut qu'il ait le goût de veau.
Dans le temps, on voulait une cuisine épurée ; maintenant, on est en train de 'l'apurer', ce qui n'apporte rien. L'originalité, ce n'est pas rajouter. Il y a un tel méli-mélo dans la cuisine d'aujourd'hui... Mais ça ne va pas durer comme ça, cette cuisine n'a pas de fondement. A l'époque de la nouvelle cuisine, il y avait des excès dingues, mais c'était une cuisine de réflexion. On a essayé de faire le tour de ce qui avait été fait dans la cuisine, de repenser, de remodeler, sans dénaturer le produit. Aujourd'hui, Ferran Adria (qui a travaillé chez moi) parle de déstructuration, de comment faire la cuisine différemment.
Mais est-ce qu'on est obligé de le piller comme ça ? Tous ces jeunes qui le copient, ça n'a aucun intérêt. Qu'ils fassent leur propre cuisine, qu'ils développent leur propre identité ! Il y a des gens qui ont un talent évident, mais leur cuisine n'est pas personnelle, elle est empruntée ; ils sortent tout juste de notre cocon. Ils sont trop jeunes pour transmettre leur savoir. "La place aux jeunes", moi je veux bien, mais nous ne sommes pas morts, on va voir si la génération nouvelle va laisser la même empreinte que la nôtre ! Pas sûr. Le b.a.-ba de la cuisine n'a pas changé, on se sert toujours d'Escoffier à ce que je sache.
Alors, on a beau faire des mélanges de saveurs, dresser des assiettes aussi longues qu'une piste d'aéroport, le fond ne change pas. C'est de la cuisine pour épater. Aujourd'hui, de réellement nouveau, je ne vois pas grand-chose. Ce n'est pas en une décennie que vous retravaillez le paysage culinaire, ce ne sont pas des gamins qui ont 5 ans de métier qui vont remodeler tout ça, ce serait trop facile. Il y a 40 étoiles Michelin dans le coin, beaucoup de restaurants, beaucoup de concurrence. Mais je n'ai jamais fait de la cuisine pour étonner. La Glace aux pointes d'asperges, je l'ai faite il y a 20 ans et j'ai trouvé ça dans un livre de 1925, alors... La cuisine, c'est aussi une culture.

< Plagiat
J'ai été l'un des cuisiniers les plus copiés : les Courgettes fleurs aux truffes, c'est certain qu'il n'y a pas un cuisinier qui n'a pas essayé de faire ça. Le Tian d'agneau, les Papillons de sardines, le Tajine de homard. C'est moi qui ai lancé le menu décliné autour d'un même produit en 1975 : un menu tout homard ou tout sole, sous forme de soupe, filet, fricassée, etc. J'ai aussi imposé la cuisine moulée.

< Plats cuisinés
J'avais rencontré l'ancien patron de Danone Nestlé en vacances dans le coin. Je suis venu le voir avec une liste comme ça de recettes pour des plats cuisinés. Mais il m'a demandé de mettre au point une soupe de tomates parce qu'il n'était pas leader sur ce marché. J'étais rétamé, j'ai dit non. Si j'avais été approché par un groupe alimentaire - et pourtant, c'est un produit que je maîtrise parfaitement -, il y a longtemps que j'aurai décollé, que je serai connu du grand public. Je suis moins connu que mes confrères de ma génération, pas parce que je ne suis pas un homme de communication, mais parce que je ne communique pas beaucoup.

< La tête dans les étoiles
J'ai eu 19,5/20 pendant 10 ans, face à Chapel, Loiseau, Girardet, etc. J'étais le premier à avoir des étoiles dans un restaurant d'hôtel, moi au Negresco en même temps que Robuchon au Nikko. Ça fait 21 ans que j'ai des étoiles au Michelin. Pendant des années, j'étais dans le point de mire pour avoir 3 macarons, mais on était encore au point où les macarons n'étaient pas distribués aux chefs mais aux propriétaires. Est-ce qu'aujourd'hui on donne 3 étoiles à une petite maison où l'on fait une cuisine d'exception ? Au George V, à la SBM, on est au-delà de la cuisine. Ils ont joué la sécurité, qui passe par des moyens financiers. Je ne regarde pas ça avec regret ou amertume.
De toute façon, je travaille comme si j'avais les 3 étoiles. Et puis, c'est dur de faire l'unanimité pour le cadre, le service, la carte des vins. Perdre une étoile, je ne voudrais pas vivre ça. C'est à se flinguer, c'est la pire des choses qui puisse arriver. Les incidences ne sont pas que matérielles, mais morales. Je suis quelqu'un à fleur de peau, je ne sais pas si je pourrais accepter ça. Il y en a pour qui c'est une raison de vivre.

< Le maître
Je me régale quand je lis quelque part "élève de Maximin". J'ai formé beaucoup de gens qui sont en haut de l'affiche aujourd'hui, ça fait plaisir, et j'en ai filé beaucoup à Alain Ducasse. Mes élèves savent que je ne rigole pas trop, que je travaille beaucoup, que j'ai une certaine connaissance et culture de la cuisine, un savoir-faire, que je conçois difficilement l'erreur, surtout si elle touche le client, mais parce que je montre, j'explique. Et je ne gueule pas plus qu'un autre. Chez moi, c'est la véritable école de la cuisine, où l'on apprend à se servir de ses deux mains. Je transmets sans rien demander en retour, c'est une bonne philosophie ça, non ? Et je suis réceptif à la demande. Avant, on avait tendance à garder le savoir. Chez moi les cahiers sont ouverts, les employés peuvent prendre ce qu'ils veulent, qu'ils soient là 1 mois ou 1 an. Moi, j'ai volé le métier à d'autres cuisiniers quand j'étais plus jeune, parce que les anciens avaient du mal à se livrer. J'en ai tellement souffert que j'ai vraiment du plaisir à communiquer avec un jeune et lui transmettre mon savoir.

< Envies
Je ne sais pas si j'aurais assez de temps dans ma vie pour faire tout ce que j'ai envie de faire en cuisine.  

< L'école et l'école de la vie
Dans l'enseignement scolaire, il y a trop de décalage entre ce qu'on apprend aux jeunes et la réalité. Comment vous expliquez-vous tout ces gens qui changent de métier ? En cuisine, il y a 30 % de nettoyage. Le décalage est énorme, les gens se disent qu'on leur a menti. Ils vont travailler chez Accor, qui peut se permettre d'avoir 2 équipes, une du midi, et une du soir, et de l'autre côté, il y a des gens comme moi qui ne peuvent pas se le permettre. Il est peut-être temps que ça s'arrête. Il y a 10 ans, j'avais une pile de curriculum vitae comme ça. Aujourd'hui, c'est moi le demandeur. Alain Ducasse me disait l'autre jour qu'il faut séduire le personnel. Les jeunes passent et disent "je vais réfléchir".

< Conditions de travail
JacquesMaximinCuisine.jpg (14604 octets)Je suis d'accord pour l'évolution des conditions de travail, mais il n'y a pas que les horaires, il y a aussi l'investissement. Commencez par inventer un produit qui nettoie les pianos et les fourneaux. Dès que je vois quelque chose qui peut améliorer les conditions de travail, je prends. L'arrivée de l'inox a été un progrès formidable. Chez Prunier, je cuisinais au charbon. Pour les 35 heures, les employés savent que ça ne se passe pas comme ça. Le client me fait vivre, mais je ne peux pas lui dire d'arriver à midi et de repartir à 13 h 30. Les conditions de travail, ça passe aussi par la considération. Je respecte mon personnel, j'ai de l'estime pour lui. Joël Robuchon a dit : "Je ne travaille plus qu'à l'induction." J'en installerai bien, mais ça signifie qu'il faut que je change ma batterie de 200 gamelles en cuivre... Pas les moyens... Mais ça, c'est un vrai progrès pour le cuisinier. Un coup de chiffon et c'est réglé !

< L'avenir
Je ne sais pas si ce métier avance dans le bon sens. Nous sommes les Don Quichotte de la cuisine française. On n'écoute plus que les grands groupes. La France, avec sa réputation gastronomique, est une poule aux œufs d'or, au lieu de nous allumer et de nous assassiner, qu'ils fassent en sorte de nous sortir la tête de l'eau. Je vois mal le métier évoluer et des artisans comme nous s'en sortir avec les charges, les horaires. Si l'étau se resserre, je ne sais pas jusqu'à quel moment les restaurants de ma catégorie vont pouvoir s'en sortir.

< Patron ou pas
C'est quand même un métier que j'ai choisi. Je suis né avec, mais quel sacrifice. Vacances, vie de famille... on n'aura jamais de retour sur investissements. Certains ont réussi, mais combien morflent ? Tout le monde rêve d'être patron, mais est-ce que ça va durer ? Bientôt, tout le monde rêvera d'être employé... Le patron, c'est toujours l'homme à abattre, mais quand il n'y aura plus de patrons, on fera quoi ? Ce ne sont pas des emplois qu'il va falloir créer, ce sont des entreprises. Pour un jeune qui a envie de s'installer, c'est dur. C'est la masse salariale qui bouffe tout, ce sont les charges, les frais. Sans cela, on pourrait s'en sortir. Le restaurant, même petit, ça commence à devenir cher, les charges sont le vrai problème.

Cuisine et indépendance


Vos réactions : cliquez sur le Forum de L'Hôtellerie

Rechercher un article : Cliquez ici

L'Hôtellerie Restauration n° 2846 Magazine 6 novembre 2003 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

L'Application du journal L'Hôtellerie Restauration
Articles les plus lus...
 1.
 2.
 3.
 4.
 5.
Le journal L'Hôtellerie Restauration

Le magazine L'Hôtellerie Restauration