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à la uneRoger Vergé

L'initiateur fou d'art

Gourmand jusqu'au bout des doigts. Indépendant et créatif à chaque instant de sa vie. Cuisinier inspiré qui fit école à travers le monde entier. Roger Vergé poursuit aujourd'hui encore et toujours son chemin intérieur avec enthousiasme et joie de vivre.

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Pour magnifier le quotidien, Roger Vergé a fait de son Moulin une véritable auberge d'art.

m Claire Cosson

Accrochés au mur, les trophées se comptent par dizaines au milieu de mille et une photos de stars américaines. De Danny Kaye à Cindy Crowford, en passant par Michael Douglas et James Coburn, tous les grands noms du cinéma semblent ici, au Moulin de Mougins dans l'arrière-pays azuréen, avoir un jour ou l'autre élu domicile. A quelques centimètres de là, un diplôme de l'Ordre national du Léopard immortalise une audacieuse traversée culinaire de l'Afrique. Sur le bureau, une main en bronze tenant une cuillère de bois entourée d'œuvres originales, offertes par ses amis César ou bien encore Folon, trahissent le goût du maître des lieux pour l'art. Tout comme sa soif de connaître se matérialise à travers la présence d'une large bibliothèque croulant sous le poids de centaines de livres de cuisine.
Assis dans un fauteuil de cuir fauve, éclairé par le faisceau d'une jolie lampe, Roger Vergé cite d'ailleurs avec beaucoup de tendresse plusieurs de ces ouvrages. Un peu à la manière d'un sage qui y a déniché le sens de la vie. A le voir ainsi, caressant du revers de la main quelques-uns de ces livres, on pourrait croire un instant que celui qui initia la cuisine du Sud dans les années 60 s'est véritablement posé aujourd'hui. Après tout, à 71 ans, ce fils de forgeron, qui rêvait enfant de devenir pilote d'avion, aurait bien le droit de souffler un peu. Rien de ressemblant n'est pourtant à l'ordre du jour.
Roger vient certes tout juste de rentrer de New York où il a récemment ouvert, avec Roberto Rugieri (Bice), un restaurant baptisé Médi (comme Méditerranée) au pied de Rockefeller Center, et s'accorde par conséquent quelques heures de répit. Mais, le décalage horaire ne parviendra pas à lui imposer un long repos de guerrier.

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Dès l'ouverture de sa maison en 1969, les artistes ont élu domicile au Moulin de Mougins. Une œuvre de Folon dans les jardins.

Curiosité
Il suffit d'entendre la chaleur de sa voix. Et puis surtout d'observer son regard plissé et son sourire malicieux qui en disent long sur ses intentions pour comprendre que ce lion, à l'épaisse crinière blanche, n'est pas mort ce soir. Au contraire ! "J'ai eu une vie bien remplie, mais il y a encore tant à faire", confie instinctivement cet animal, en absorbant une tasse de thé brûlant. Et d'ajouter, tout sourire : "Seul est stimulant ce qui reste encore à découvrir."
La curiosité ! Voilà ce que d'aucuns appellent parfois un "vilain défaut" qui, associé à une absolue nécessité de se surpasser, marque profondément l'existence de Roger Vergé. A peine haut comme trois pommes, ce natif de Commentry, petit village de l'Allier, trépigne déjà d'impatience pour savoir ce qui bout le dimanche midi au fond de la marmite de sa tante Célestine. "La gourmandise me titillait, mais j'avais aussi une irrésistible envie de regarder, de comprendre...", avoue le propriétaire du Moulin de Mougins.
Apprendre toujours et encore, apprendre pour mieux créer, c'est ce qui va sans cesse animer cet homme. Avec d'autant plus d'avidité que ce besoin lui confère une indépendance d'esprit unique. Sa première leçon culinaire, il la prend 'à la dure' chez Alexis Chanier, ancien chef de la Tour d'Argent, au restaurant Le Bourbonnais. S'il lui faut, à cette époque, demander 8 jours à l'avance une permission pour se rendre chez le coiffeur, l'adolescent Vergé apprend cependant ici à fond son métier. "Nous fabriquions tout sur place, des pâtisseries au pain, en passant par les cochonnailles... Il y avait vraiment de quoi se constituer une solide formation de base", se rappelle avec émotion l'intéressé.

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Tout petit déjà, Roger Vergé voulait savoir ce qui se mijotait dans la marmite de sa tante Célestine.

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Le sens de la fête de Vergé passe aussi dans l'art de la table.

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Roger Vergé a fait école partout à travers le monde. Selon lui, plus on partage, plus la cuisine s'enrichit.

Téméraire et aventurier
Suite à cet apprentissage, le jeune marmiton affiche un farouche appétit et veut bien sûr en savoir davantage concernant la gastronomie. Pour 'caler cette grosse faim' qui ne cesse de le tirailler, Roger Vergé monte évidemment se faire la main à Paris. C'est à la Tour d'Argent qu'il effectue son premier galop parisien, puis quelques mois plus tard, le voici qui rejoint les cuisines du Plaza Athénée. Une expérience particulièrement enrichissante au cours de laquelle il se frotte à de grosses brigades ("au moins 60 chefs pour 50 couverts") et découvre également son talent de saucier. "Les chefs étaient des puits de science. Ils réalisaient un travail remarquable tant sur le plan esthétique que gustatif. Il y avait de l'audace dans chacune de leurs prestations", se souvient, enthousiaste, Roger Vergé.
Une audace apparemment contagieuse, qu'à tout juste 23 ans, ce fringant cuisinier décide d'exporter vers le Grand Sud en s'installant successivement dans l'hôtel El Mansour à Casablanca et à L'Oasis à Alger. Là-bas, le petit Français apparaît néanmoins bien jeune pour assumer les rôles de chef de partie et chef rôtisseur qui lui sont confiés. "Des tours de vache assez salés" lui sont donc volontiers réservés comme, par exemple, les fameux Œufs grillés figurant souvent sur les menus. La nécessité de ne compter que sur ses propres forces étant une règle de base pour Roger, le jeune homme retourne sans grande difficulté la situation à son avantage.
Mieux encore ! Téméraire et pionnier dans l'âme, il en redemande et s'en va parcourir le continent africain de long en large où, durant presque cinq années, il organise une chaîne de relais aériens.  

© G. Bosio - France Match
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La fidélité en amitié est l'un de ses principaux traits de caractère. Ici, en voyage avec Paul Bocuse et Michel Guérard.

Cuisine du Sud
Fusil sur l'épaule (il adore la chasse) et sac en bandoulière, Roger se transforme en réalité en un aventurier pur souche. Safaris privés au Kenya, réceptions présidentielles au Zaïre, manifestations en Rhodésie du Sud (actuel Zimbabwe)..., il est de toutes les réjouissances. De quoi assurément mettre à l'épreuve son esprit d'entreprise et son sens de la débrouillardise. Car cuisiner en Afrique relève, à ce moment-là, du véritable exploit. "J'ai appris là-bas à me débrouiller avec trois fois rien ! L'Afrique Noire m'a véritablement fait homme", lance Vergé.
Elle l'a fait aussi sûrement 'cuisinier initiateur', tout comme son passage en Afrique du Nord ou celui qu'il réalisera plus tard en Jamaïque. De retour en France au début des années 60, Roger est en effet gorgé de soleil, de textures différentes, de saveurs et autres parfums inédits. Autant d'éléments nouveaux qui influencent de manière sensible sa cuisine, et par-là même, contribuent à l'invention du mouvement de ce que l'on appelle aujourd'hui la cuisine du sud.
D'ailleurs, les critiques gastronomiques ne s'y trompent pas. Dès que l'ami Roger prend les rênes du Club de Cavalière (en été 1961), un hôtel situé entre Saint-Tropez et Le Lavandou, ils en font assez vite leur coqueluche (2 étoiles au Michelin). Mieux ! Après avoir organisé la restauration pour la presse à l'occasion des Jeux olympiques de Grenoble, lorsqu'il choisit enfin avec son épouse Denise, de s'arrêter au Moulin de Mougins en 1969, chacun s'accorde à le porter au pinacle. Résultat : le succès ne se fait pas longtemps attendre. La première étoile lui est ainsi décernée 1 an après l'inauguration de sa nouvelle maison. La seconde arrive en 1972. Quant à l'ultime récompense (3 étoiles), elle se concrétise dans l'édition Michelin 1974.

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Le rêve américain, bon nombre de grands chefs français l'ont réalisé en s'empreignant de la culture américaine juste comme il le fallait. Associé à Paul Bocuse et Gaston Lenôtre, Roger Vergé exploite là-bas les restaurants du pavillon français d'Epcot Center (Floride).

Peintres et sculpteurs
Quoi qu'il en soit, ce boulimique de voyages ne parvient pas totalement à s'assagir. "Mes valises me démangeaient à nouveau sérieusement", confesse-t-il. Et de poursuivre : "Le monde est tellement riche et beau que j'aurais eu tort de ne pas repartir." D'autant qu'en parcourant la planète entière pour le compte de différentes chaînes hôtelières et autres compagnies aériennes, Roger poursuit son chemin initiatique intérieur. "A ses débuts, sa cuisine était plutôt classique. Mais, ces périples lui ont beaucoup apporté. Il a puisé dans ses expériences et a imaginé à nouveau", souligne Serge Chollet, chef de cuisine depuis 33 ans à ses côtés.
Du Japon (16 ans de collaboration avec Seibu Saison) à la Suède, en passant par Hawaï, Singapour, l'Australie, le Brésil, ou bien encore le Canada, l'Italie, l'île Maurice..., les rencontres avec de nouvelles cultures ne cessent effectivement de se multiplier à la vitesse grand V. Parallèlement, le Moulin de Mougins, bercé par le chant des cigales et enveloppé par les senteurs provençales, séduit un grand nombre d'artistes, peintres et sculpteurs en particulier. César, bien sûr, prend ses quartiers d'été au Moulin ainsi qu'Arman, Tobiasse, Pagès, Sosno, Folon (dont il a été dernièrement le garçon d'honneur) et autres vedettes du grand écran.
"César m'a fait, entre autres, découvrir la perspective. Avec Folon, j'ai pris conscience des couleurs du ciel, chose invisible à mes yeux auparavant...", raconte admiratif Roger Vergé. Voilà des enseignements inestimables que le chef, jamais toqué, ne manque pas de mettre en application lors de la confection de ses plats. Qu'il s'agisse par exemple de ses Poupetons de fleurs de courgette à la truffe noire de Valréas ou de sa Salade de homard breton cuit à la minute, tout est conçu dans la simplicité avec harmonie, tant dans les formes que dans les goûts.

Ducasse, Boulud, Chibois...
Artiste, Roger Vergé l'est bel et bien. Parfois secret, mais aussi solitaire dans les moments de doute comme le sont d'ordinaire les créatifs, ce père de deux jeunes filles a naturellement fait école. D'autant plus aisément qu'il ne conçoit pas la vie, mais aussi la cuisine, sans la partager. "Il pense en effet que plus le savoir est partagé, plus la cuisine s'enrichit. Selon lui, tout seul on débute, à plusieurs on évolue", indique Sylvie Charbit, son assistante.
Pas une occasion d'enseigner ne lui échappe. A l'intention des 'fines gueules', il prend la plume et rédige cinq ouvrages gourmands intitulés Ma cuisine du soleil, Les légumes de mon moulin, etc. Dans sa maison de collectionneur, il accueille à bras ouverts les cuisiniers de tous horizons, et leur dispense avec simplicité ce qu'il croit savoir. A première vue, les élèves aussi célèbres qu'Alain Ducasse, Jacques Chibois, Daniel Boulud ou bien encore Maximin, Francis Chauveau, Bruno Cirino, Sandro Gamba, Hubert Keller... semblent avoir plutôt bien retenu la leçon.
Même chose pour les milliers d'amateurs venus s'initier à la cuisine du soleil dans l'école Roger Vergé, nichée à L'Amandier (restaurant créé en 1977) en plein cœur du village médiéval de Mougins. Rares en fait sont les endroits de la planète où l'on ne trouve pas les disciples de Vergé. En particulier de l'autre côté de l'Atlantique, aux Etats-Unis, l'une de ses destinations préférée. Et pour cause ! Associé à Paul Bocuse et Gaston Lenôtre, il exploite à Orlando, en Floride, les restaurants du pavillon français à Epcot Center depuis 1982. "Nous servons entre 2 500 et 3 000 couverts/jour et formons une bonne centaine de jeunes chaque année dans ce restaurant", précise Roger Vergé.

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Avec Le Moulin et L'Amandier, il compta jusqu'à 5 étoiles.

Bâtisseur
En juillet 2001, le chef du Moulin de Mougins s'est également implanté dans Big Apple. Associé à l'homme d'affaires italien Roberto Rugieri, il a investi l'un des points névralgiques de New York : Rockfeller Center, à deux pas de la 5 th avenue. "C'est gonflé de s'installer à cet endroit ! Mais, cela ne m'étonne guère de la part de Roger", commente Alain Ducasse. Baptisé Médi, ce concept de restauration, qui repose sur un harmonieux mariage entre Provence et Toscane, est bien sûr appelé assez vite à se décliner ailleurs.
Car si Roger Vergé a l'âme d'un artiste et cherche sans cesse à transmettre son bonheur d'être gourmand, il n'en est pas moins un entrepreneur né. On ne réussit pas en effet à bâtir une entreprise, employant une cinquantaine de collaborateurs par hasard. Pas plus que l'on ne réalise un chiffre d'affaires annuel avoisinant les 38 millions de francs HT. Malgré la perte de 2 de ses étoiles au Guide Rouge, le Moulin de Mougins fait toujours en effet un véritable tabac auprès de la clientèle qui reste persuadée que les 3 étoiles sont toujours au Guide Rouge... Ce qui ne signifie pas pour autant que cette sanction n'ait pas blessé l'homme en son moi intérieur. "Aujourd'hui, j'ai pris du recul ! Mais, je dois avouer, qu'à l'époque, j'ai été très choqué. Je ne comprenais pas pourquoi", déclare le chef. Reste qu'il poursuit sa route fidèle à ses idées de simplicité, de respect du produit et de mixité des goûts. Avec l'arrivée aux fourneaux de Philippe Jourdain, Serge Chollet aux commandes de l'école et des opérations extérieures, Roger Vergé est parfaitement entouré. De quoi permettre à l'artiste d'assouvir encore sa soif d'apprendre et de créer.
Il y a quelques mois d'ailleurs, Roger s'est rendu en Inde à la demande du groupe Tâta pour envisager une collaboration avec leur chaîne d'hôtels TAJ. Ajoutons à cela un important projet d'extension (environ 50 chambres) sur le site du Moulin, dans l'esprit du Bel Air à Los Angeles. Et toutes les autres rencontres et choses qui peuvent le faire avancer... Ton 'Moulin', ton 'Moulin' va encore très vite Roger ! n zzz22 zzz18p

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Médi a ouvert l'été dernier à New York au pied de Rockfeller Center.

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Médi : les tables et le bar.

Quelques élèves de Roger Vergé

Nom

Poste

Steve Amaral Waïlea (Hawaï)
Philippe Aubron Bistrot Philippe Aubron (Japon)
Walters Bachs Moulin d'Ambach
Michel Berring Le Patin d'or (Luxembourg)
Deven Bhundun Touessrock Hotel (Maurice)
Bissière Vieux Couvent (Vence)
Patrick Boely Wake Robin Inn (Lakeville USA)
David Bouley Bouley (New York)
Daniel Boulud Daniel (New York)
Jean-Claude Brugel Le Splendide (Monaco)
Alain Carro Le Castellaras (Fayence)
Francis Chauveau Hotel Carlton (Cannes)
Jacques Chibois La Bastide St Antoine (Grasse)
Eric Costille Makati Shangri-La (Philippines)
Alain Ducasse Hôtel Plaza Athénée (Paris)
Lennard Engstrom La maison du Danemark (Paris)
Soren Farstrop Vancouver BC (Canada)
David Holben The Riviera (Dallas)
Hubert Keller La Fleur de Lys (San Francisco)
Jacques Maximin Restaurant Maximin Vence
Sirio Maccioni Le Cirque 2000 (New York)
Anton Mosimann Mosimann's (Londres)
Jean-Jacques Rachou La Côte Basque (New York)
Carolyn Robb Chef du prince Charles (Londres)
Saichi Sato Yamagata-Ken (Japon)
Bruno Vrignon Chefs de France Lac Buena Vista (Floride)
Brad Thomson Café Boulud (New York)

* Liste non-exhaustive

Formation dispensée auprès du personnel de chaînes hôtelières

w Marriott (Etats-Unis)
w Trusthouse Forte (Grande-Bretagne)
w Warwick School (Afrique du Sud)
w Liste non-exhaustive

Bio express

1930
Naissance à Commentry dans l'Allier

1949
Travaille à la Tour d'Argent, puis au Plaza Athénée

1953
S'envole pour Casablanca et par la suite à Alger

1956
Gère une chaîne de relais aérien en Afrique

1961
Exploite le Club de Cavalière

1968
Organise la restauration pour la presse lors de Jeux olympiques de Grenoble

1969
Achète le Moulin de Mougins (Relais & Châteaux et Relais Gourmand)

1970
1re étoile au Michelin

1972
Meilleur ouvrier de France et 2nde étoile au Michelin

1974
3e étoile au Michelin

1977
Ouverture du restaurant l'Amandier à Mougins

1982
Nommé président des Restaurants chefs de France à Epcot Center à Orlando en Floride

1992
Lancement de La cave du Moulin

2001
Ouverture à New York du restaurant Médi en association avec Roberto Rugieri

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L'Hôtellerie n° 2738 Magazine 4 Octobre 2001

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