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Marc Veyrat, La Ferme de Mon Père à Megève (74)

Le terroir est mort, vive le terroir !

Et trois, et six : l'iconoclaste savoyard a fait le plein d'étoiles chez Michelin. Après l'Auberge de l'Eridan à Veyrier-du-Lac, sa Ferme de Mon Père a décroché la note maximum du Guide Rouge. S'il affirme qu'âge aidant il est désormais "plus sage", il n'en continue pas moins son combat pour le beau et le bon, affirmant même que "le terroir est mort". Paradoxal pour un homme qui s'est identifié à celui de sa Savoie natale...

m Jean-François Mesplède

En mars 2000, à la sortie du Guide Rouge, Marc Veyrat est un peu déçu. Alors qu'il espérait une pluie d'étoiles sur son restaurant de Megève, il reste bredouille. Un an plus tard, il fait le plein. Explications. "Avant tout, on raconte chez nous l'histoire d'un homme, d'un lieu et d'une région. L'assiette et la philosophie de notre cuisine, c'est ça. Ce qui a fondamentalement changé est que nous avons une cuisine d'hiver feutrée et une cuisine d'été beaucoup plus florale." Les deux sont réalisées par une équipe qui ne change pas davantage que son... maître à penser. Le chapeau vissé sur la tête, Marc Veyrat vit à 300 à l'heure. Du lundi au mercredi à Paris, où le mènent ses affaires et où il parle d'ouvrir un nouveau restaurant. Du jeudi au dimanche à Megève ou à Veyrier (1), où il se contente désormais de huit services hebdomadaires. "Je ne mélange pas le business et la cuisine. Je suis là pour mes clients à tous les services... et je pense que Michelin apprécie les cuisiniers qui sont dans leur maison."
Autre changement, fondamental : à 6 étoiles, il existe désormais une forte résonance de la presse internationale. Le monde entier découvre Marc Veyrat et le très sérieux New York Times le met à la une de son édition du 14 mars 2001 avec un titre éloquent : "Marc Veyrat climbs past Ducasse at the new French superstar" (Veyrat ravit à Ducasse la place de superstar de la cuisine française). Dans un article de deux pages, le quotidien insiste en affirmant "In the Alps Reaching the Pinnacle" (dans les Alpes, on touche au pinacle).

La nature dans l'assiette
"Ils définissent une nouvelle cuisine axée sur la nature et sur les produits sauvages, une cuisine environnementale où nous amenons la nature dans l'assiette. Complètement allégée puisque nous utilisons très peu de beurre et très peu de crème..., mais où nous mettons six œufs dans notre crème brûlée." Selon le chroniqueur, une "véritable révolution" dans la cuisine française. Marc Veyrat poursuit sur sa lancée. "C'est une forme et une hygiène de vie. Avec les problèmes alimentaires dévoilés aujourd'hui, nous sommes dans le vif du sujet. En utilisant davantage le végétal que l'animal, j'ai le sentiment d'avoir joué les précurseurs."
La discussion roule sur cette cuisine qui fleure bon ce terroir cher au gars de Manigod. Le terroir justement, objet de toutes ses attentions. Là encore, Marc Veyrat est intarissable. "J'ai toujours pris le terroir avec précaution et je dis aujourd'hui le terroir est mort, vive le terroir. Nous sommes au XXIe siècle. Les produits ont changé, les moyens de transport aussi et il existe une redéfinition de l'alimentaire. Il y a belle lurette qu'il n'y a plus de grenouilles dans les Dombes, de saumon dans la Loire, qu'une partie de la production du reblochon d'hiver est faite avec le foin du Midi et qu'une grande partie du jambon savoyard provient de jambons crus d'ailleurs. Je peux multiplier les exemples, même si je crois que, les modes de transport et d'hygiène ayant changé, on peut retrouver nos racines dans l'échange de produits existant désormais à travers l'Europe. C'est le jambon qui peut très bien provenir d'excellents cochons élevés en Hollande, tout en étant fabriqué dans les règles de l'art : amoureusement soigné par un type complètement fou de son boulot et fumé au genévrier de chez nous dans une cheminée savoyarde."
Sur sa lancée, Marc Veyrat poursuit sa démonstration en soulevant les vrais problèmes. "Si l'on considère que ces dernières années la production a été multipliée par vingt, et en sachant qu'il y a de moins en moins de porcs dans le monde paysan, je pose simplement la question : où prend-on les cochons ? Arrêtons de raconter des blagues aux gens et adoptons un nouveau langage de vérité. Là, nous irons vers l'honnêteté et la qualité des produits auxquels je crois, vers une reconnaissance du bon produit et une véritable traçabilité. L'Europe devrait être la garante de la qualité. Elle est seulement garante de l'hygiène alimentaire. Avec tellement de règles en vigueur, on est en train d'uniformiser le goût. L'Europe doit être celle des régions avec de véritables produits artisanaux, des petits producteurs, des petits commerçants."

Redéfinir les produits régionaux
Marc Veyrat s'enflamme et se lâche. "Il faut arrêter de raconter tout et n'importe quoi. J'en ai un peu marre du terroir. Je vais prendre l'exemple de la tartiflette, une pure création d'il y a dix ans. La Savoie et la Haute-Savoie sont identifiées à la tartiflette : pourquoi ne pas dire que c'est une création savoyarde ? Pour mieux la vendre et sans doute se donner bonne conscience, on commence déjà à se voiler la face en disant que c'est une tradition. Ce n'est pas vrai : la tradition n'a jamais voulu faire fondre un reblochon. Et nos amis suisses font bien mieux la fondue et la raclette : ce sont leurs traditions, pas les nôtres."
Problème de langage ? Bien sûr, mais à en croire Veyrat, le mal est plus profond. "Je dis que la bonne nourriture de demain va repasser par une bonne définition des produits de région. Pas des produits de terroir, le terroir est mort. Il ne peut exister que pour deux choses : le vin et la botanique naturelle. Ailleurs, la tradition a été partout transformée et adaptée à nos siècles. N'oublions jamais que l'on vit au XXIe siècle et qu'il reste quand même dans les régions des gens très respectables, amoureux et passionnés par leur travail et qui le font bien. J'ai simplement envie de leur dire bravo, continuez ! Quand on me parle des produits de terroir, je pense à une émission de télévision complètement nostalgique sur des vanniers de 70 ou 80 ans. J'avais envie de voir des jeunes et je ne comprenais pas. C'était bien de voir ces gens-là..., mais on nous apprenait qu'eux disparus, il n'y aurait plus de vanniers. La tradition s'en va, la tradition se meurt. Pour qu'elle se perpétue, il faut des créateurs, des gens qui amènent de l'ouverture d'esprit. C'est vrai dans tous les domaines, qu'il s'agisse de la peinture, de la litterature ou de la cuisine." n

(1) Des rumeurs évoquent, à terme, la vente possible de l'Auberge de l'Eridan en appartements. Marc Veyrat se contente d'en sourire...

La Ferme de Mon Père
367, route du Crêt
74120 Megève
Tél. : 04 50 21 01 01
Fax : 04 50 21 43 43

Trois et trois ou six ?

C'est le débat en cours : Marc Veyrat possède-t-il 6 étoiles au Guide Rouge ou deux fois 3 étoiles ? L'intéressé s'en amuse.

"Le Guide Rouge reste la référence du métier. Son intégrité fait sa force. S'il n'existait pas, les chefs feraient leur propre classement et ce serait la guerre. Mes étoiles me confortent dans ma philosophie de n'avoir raté l'année dernière que deux services dans l'année, en disant à mes clients : venez me voir dans ma maison, je suis présent. C'est une forme d'idée à laquelle j'ai adhéré, mais je respecte tout à fait celle de chefs moins présents dans leur cuisine mais qui ont su déléguer. Moi je ne sais pas, je ne l'ai jamais appris."
Deux fois 3 ou 6 étoiles ? Veyrat éclate de rire. "Si vous voulez reconnaître mes amis de mes ennemis, posez leur simplement la question."
Aujourd'hui à Megève puis à Veyrier, demain à Paris. Marc Veyrat le boulimique ne sait pas... ou ne veut pas s'arrêter. "Je ne suis pas un boulimique. Je suis un homme heureux. La seule chose que l'on peut me reprocher, c'est un certain égoïsme car tout passe par le travail et la passion. Si je n'ai pas la possibilité de créer, je suis malheureux, mais je ne dérange personne. Certains de mes amis me disent que j'en fais trop, que je suis fou. Même si dans ma tête, c'est toujours aussi embrouillé, je suis beaucoup plus sage, plus réfléchi, avec une sérénité qui n'existait pas il y a quelques années. Je suis surtout un homme heureux. Tellement heureux."

En chiffres

Investissements 35 MF autofinancés
Nombre de couverts 130
Prix menus 900 et 1 400 F
Chiffre d'affaires mensuel 4 MF HT
Effectif 65 personnes

 


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L'HÔTELLERIE n° 2716 Magazine 3 Mai 2001


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