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Prix Taittinger 2000

Fabien Lefebvre, un talent confirmé

Le vainqueur du dernier prix Taittinger a multiplié les expériences sans jamais hésiter à se remettre en cause. Fabien Lefebvre : un parcours singulier et un talent aujourd'hui reconnu. Portrait d'un jeune Biterrois dont on reparlera.

m Nadine Lemoine

Il n'est pas tombé tout petit dans la marmite. Sa famille ne fait pas partie du sérail et ses parents ne passaient pas leur temps devant les fourneaux, même pour le plaisir. Très jeune, Fabien Lefebvre se voyait plutôt prof d'histoire. Le déclic, il le doit à son frère aîné en CAP hôtellerie-restauration au lycée hôtelier Jean-Moulin de Béziers. Ce frère qui s'entraînait à la maison et dont les tentatives en cuisine ont enchanté et séduit le plus jeune. Si bien qu'à son tour, Fabien fait ses classes dans le même lycée, même filière. Deux ans plus tard, il décide d'embrayer sur un bac pro qu'il décrochera après une formation au lycée du Moulin à Vent à Perpignan. "Je voulais sortir avec un niveau de culture générale plus élevé. Ce qu'on n'apprend pas à l'école, il est difficile de le rattraper plus tard", dit Fabien. Il ne regrette pas ces deux années supplémentaires. Il se souvient avec un brin de nostalgie des "super profs" qui l'ont encouragé et des stages très formateurs qu'il a suivis. "Certains voulaient des stages près de Béziers pour rester dans le coin. Moi, je partais le plus loin possible dans des restaurants avec des macarons Michelin", raconte Fabien qui garde un très bon souvenir de son passage chez Michel Husser, Le Cerf à Marlenheim. "C'était la première fois que je voyais une brigade de cette importance, une quinzaine de personnes."


Fabien Lefebvre et son trophée le soir de la finale du prix Taittinger.

Une place de chef à 19 ans
Le premier contact avec la vie professionnelle, Fabien l'a connu à Valras Plage, dans un Logis de France, La Méditerranée. C'est un cousin de son père, Bernard Auriac, qui tient l'établissement, qui lui permet de faire les saisons et beaucoup de week-ends pendant toute sa formation. "On faisait une cuisine simple, mais tout était nickel ! On ne travaillait que du poisson frais. Bernard m'a formé, et au fil des années, j'avais plus de responsabilités. La dernière saison, je tenais la place du chef. J'avais 19 ans", confie Fabien en souriant. Un sourire qui en dit long quand il précise en toute modestie que son parcours est en dents de scie : de chef à sous-chef de chef de partie à chef à second... Le CV de Fabien Lefebvre ressemble aux montagnes russes du point de vue hiérarchique. Il est surtout révélateur d'un tempérament de gagnant et d'un esprit volontaire qui n'hésite pas à se remettre en question.
Bac pro en poche, le jeune Fabien part à l'armée. Bien évidemment, on le met en cuisine. Mais à Canjuers, il faut sortir 3 000 repas/jour pour nourrir les troupes du régiment. "En fait, cela m'a donné l'expérience de la cuisine collective, et j'ai vu que ça ne m'intéressait pas."
En 1993, de retour de l'armée, c'est au sein du groupe Accor qu'il trouve son premier poste : chef de cuisine dans l'hôtel Ibis de Béziers. A 3 en cuisine (dont toujours 1 en congé) et 100 couverts/jour, c'est une expérience aussi formatrice. "J'ai vite su que je n'étais pas fait pour ça", dit-il aujourd'hui. Il n'a pas de regret non plus. Il a appris des notions de gestion, comme le calcul des food costs. C'est un plus.

Remise en cause permanente
L'année suivante, il est auprès de Robert Abraham au Château de Lignan comme sous-chef. "Sa cuisine est atypique. Avant la mode, il proposait des légumes oubliés, des épices, des fleurs. Il m'a fait connaître beaucoup de produits." De second, il passe chef de partie saucier au Clos de la Violette avec Jean-Marc Banzo. "C'est un grand monsieur. Je n'ai pas hésité à me remettre en cause. Je savais que je devais encore apprendre", commente Fabien.
On le retrouve quelques mois plus tard à Saint-Raphaël comme chef de cuisine (à nouveau) au San Pedro, un restaurant gastronomique. 80 couverts sans publicité. "Un début de gloire locale", dira Fabien en plaisantant. Le journal régional salue le talent du jeune chef. "Malgré le succès, je savais que j'étais un peu limite techniquement."
Il rejoint Christian Morisset, Hôtel Juana, à Juan-les-Pins et repasse de chef à chef de partie saucier. "Il m'a tout réappris. Une deuxième naissance entre guillemets. Après le Juana, beaucoup de portes s'ouvrent." En 1997, il devient le second de Jérôme Coustillas au Métropole à Beaulieu-sur-Mer. Comme beaucoup de jeunes du sud de la France, Fabien a envie de passer chez Ducasse à Monte-Carlo. Le chef lui propose de monter à Paris faire un stage d'observation avant de se décider. Fabien se voit alors proposer un poste de chef de partie au restaurant de l'Hôtel Bristol où officiait alors Michel Del Burgo. Un chef qu'il admire. Trois ans plus tard, Fabien Lefebvre est toujours au Bristol. Depuis septembre 1999, Eric Fréchon est aux commandes des cuisines. Deux mois après son arrivée, il nommait Fabien second de cuisine.


Fabien Lefebvre : "La mise au point d'un plat, c'est ce qui est le plus intéressant. Au Bristol, on fait ça tous les jours."

Le soutien du chef
Une rencontre peut changer une vie. Un climat favorable peut faire pousser des ailes. C'est en quelque sorte ce qui est arrivé à Fabien Lefebvre. Le prix Taittinger, il le connaît comme tous les cuisiniers. Mais à vrai dire, les concours, ce n'est pas sa tasse de thé. "Ce n'est pas une cuisine naturelle", dit-il. Or au Bristol, sous la houlette d'Eric Fréchon, toujours prêt à soutenir son équipe, il règne comme une atmosphère de saine émulation. Ainsi, ils sont plusieurs dans la brigade à s'intéresser aux différents concours. Pour Fabien, c'est le fait d'avoir aidé Franck Leroy, second au Bristol, dans sa préparation du concours du Meilleur ouvrier de France 2000, qui le met aussi sur les rails.
Première étape du Taittinger, la sélection sur recette avec photo. Deux mois de préparation, et en septembre, Fabien envoie sa recette : Cœur de filet de bœuf rôti en croûte d'herbes mijoté de légumes d'automne, gaufre de pommes de terre à l'échalote grise et os de céleri à la moelle. Qualifié pour la demi-finale, Fabien a cinq heures pour réaliser son plat. Il y a aussi deux tartes au chocolat au programme. "C'est un travail d'équipe. Le chef nous guide, nous coache. Comme je n'avais jamais fait de concours, j'ai demandé des conseils à ceux qui ont de l'expérience. Il y a une telle richesse de personnel. C'est notre chance !", admet Fabien. Il y a aussi l'aide extérieure. Eric Fréchon a fait appel à des collègues pour goûter et donner leur avis sur les plats. Un regard neuf et professionnel vaut toujours la peine !

La finale à Paris
En décembre, c'est la finale à Paris avec les candidats issus de huit pays. Deux semaines avant la date fatidique, les finalistes apprennent officiellement qu'ils devront travailler un 'gibier à poils'. 15 jours pour passer en revue tous les gibiers à poils possibles. "Il faut avoir une recette pour chaque produit. Quant aux garnitures, j'ai essayé de procéder logiquement en déterminant une liste d'ingrédients qui accompagnent le plus souvent le gibier. J'avais six garnitures réglées. La liste qui est sortie était assez longue. Tout le monde pouvait y trouver son bonheur", reconnaît Fabien. Le thème du concours n'est connu que la veille au soir : un filet de biche, cuisson rosée, avec trois garnitures pour huit personnes, avec une sauce. Les candidats ont la nuit pour y songer... Fabien a mis au point sa progression et le lendemain matin "tout était calé".
Pas facile de réaliser un plat dans un endroit que l'on ne connaît pas avec un commis que l'on découvre aussi à la dernière minute. Comment faire pour éviter de ressentir la pression ? "Je me disais qu'il fallait faire le plat comme pendant la préparation sans penser aux autres. Le plus difficile, en fait, c'est la gestion du temps."
Pièces de biche frottées au poivre noir et au genièvre, Gratin de macaronis au céleri et aux truffes, Blinis de châtaignes aux fruits d'automne, Coquetier de pommes de terre Rossini, signé Fabien Lefebvre. Le plat réalisé en 5 heures fait l'unanimité, mais à la sortie, le jeune chef n'avait qu'un 'espoir' de victoire. "Je n'avais rien loupé. C'était chaud à l'heure. En fait, j'étais content du goût mais pas de l'aspect. J'aurais aimé faire un travail plus fin, explique-t-il. Comme je suis passé en seconde position, j'ai eu le temps de voir les autres et j'ai vu du beau travail." Toujours modeste, il confie son admiration pour Olivier Belin, de l'Auberge des Glazicks à Plomodiern. Olivier, qui s'est préparé tout seul au concours, est arrivé en seconde position. "Il a plus de mérite vu ses conditions de travail", dit Fabien. Ils ont sympathisé. Compétiteurs mais pas ennemis.

Ovation
Lors de la remise des prix au Concorde Lafayette à Paris, Fabien a fait un petit discours largement ovationné. Il a remercié tout particulièrement son amie Caroline pour son soutien. Elle était là. "Ça prend tellement de temps... Il est important que le conjoint soit d'accord." Par la suite, Fabien a reçu de nombreux messages de félicitations. Des professionnels mais aussi des politiques comme Raymond Couderc, le maire de Béziers, ou encore de son banquier...
D'autres concours en vue ? "Si j'ai participé au prix Taittinger, c'est par curiosité. Je voulais voir comment se passait un concours international. Je n'ai pas envie de me présenter à d'autres compétitions", prévient Fabien Lefebvre avant de lâcher qu'il songe au MOF dans trois ans.
Pour l'instant, il prépare son départ pour les Etats-Unis. Une semaine avec Caroline entre New York, Washington et la Californie, où il sera question aussi bien de démonstrations culinaires que de simples plaisirs touristiques. Un voyage qui met un terme à l'épisode prix Taittinger puisque c'est la récompense du vainqueur.
L'avenir, ce sera bien sûr une place de chef. A 29 ans, le temps et l'expérience ont fait leur œuvre. Il se sent prêt pour le grand saut sans aucun sentiment d'urgence. Son rêve ? "Réussir en tant que chef et finir dans mon pays, en m'installant dans le Midi", révèle Fabien. n


La salle du restaurant de l'Hôtel Bristol.

Eric Fréchon et son trio gagnant

Le chef des cuisines du Bristol a de nombreux motifs de satisfaction. Au moins au nombre de trois : Bignon, Lefebvre et Leroy, ses sous-chefs, se sont lancés dans une belle aventure en l'an 2000, celle de la compétition de haut niveau. Chacun a choisi son créneau avec le soutien du chef. Au final, trois réussites ! Le tiercé dans l'ordre !


De gauche à droite : Franck Leroy, Meilleur ouvrier de France 2000, Fabien Lefebvre, prix Taittinger 2000, Arnaud Bignon, prix Prosper Montagné 2000, et Eric Fréchon.


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L'HÔTELLERIE n° 2712 Magazine 5 Avril 2001


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