Alors que les grandes manuvres se poursuivent sur le marché de l'hôtellerie mondiale, Sven Boinet affiche un optimisme sans faille quant aux perspectives de croissance de son activité. Ce avec d'autant plus d'enthousiasme que la branche hôtelière de la compagnie affiche une progression de son chiffre d'affaires de plus 27,7% (3,518 milliards d'euros) à fin septembre 2000.
Claire Cosson
L'Hôtellerie : Il est loin le temps du petit hôtel dans la banlieue de Lille, en 1967. En effet, Accor totalise aujourd'hui 3 500 hôtels (soit 385 000 chambres) dans 90 pays. Quelles sont les perspectives de croissance de votre parc hôtelier dans ce contexte ?
Sven Boinet : Je crois sincèrement que notre
potentiel de développement hôtelier est très important. Pour la simple et bonne raison
qu'Accor, contrairement aux groupes anglo-saxons, couvre toute la gamme hôtelière, de
l'économique au segment haut de gamme, et dispose d'une couverture géographique
mondiale. Ce positionnement unique offre évidemment des perspectives de croissance
extraordinaires. Cela ne signifie pas néanmoins que nous ayons pour objectif d'atteindre
X nombre d'hôtels ou de chambres à travers le monde. Etre le premier n'est pas en effet
une fin en soi ! Le premier n'a du reste d'intérêt que s'il y a un bon second et un
troisième performant. Ce qu'Accor souhaite finalement c'est être le plus innovant, le
plus attractif, autrement dit, c'est devenir la référence du secteur.
Pour le moment, nous sommes d'ores et déjà leader en Europe avec 190 321 chambres (49 %
du parc total). Un continent qui, rappelons-le, représente 50 % du marché mondial de
l'hôtellerie. Au cours des prochaines années, nous allons renforcer nos positions sur ce
marché et y poursuivre notre expansion. D'ailleurs, 53 % de notre développement actuel
s'effectue en Europe contre 9 % aux Etats-Unis. Nos cibles prioritaires sont des pays
comme l'Espagne, l'Italie ainsi que plusieurs pays d'Europe centrale. Sans compter que
nous devons également confirmer nos efforts en Grande-Bretagne et en Scandinavie.
Aux Etats-Unis (33 % du nombre de chambres), marché plus mature, notre objectif va
consister à consolider nos réseaux existants Motel 6, Red Roof, ainsi que notre
présence sur le créneau haut de gamme avec Sofitel dans les principales métropoles. Des
perspectives intéressantes s'annoncent par ailleurs en Amérique latine, en premier lieu
au Brésil. En Asie, la Chine offre elle aussi bon nombre d'opportunités.
L'H. : Et qu'en est-il de la France, votre terre de prédilection ?
S. B. : Il y a encore un potentiel de croissance en France, notamment pour des produits comme Suitehôtel et Etap Hôtel. L'Hexagone, où nous comptons 1 191 établissements, est en effet un pays béni des dieux pour l'industrie hôtelière, attirant à la fois les touristes et les hommes d'affaires. Nous y prévoyons du reste 80 projets dans les 18 mois à venir. CDEC à part, qui ne sont pas à mon avis forcément étrangers à la bonne santé de l'hôtellerie française et ont empêché certains excès, il est effectivement plus facile en France de développer des hôtels qu'en Allemagne par exemple. L'accès aux terrains et l'obtention des permis de construire sont également beaucoup plus simples en France que chez nos voisins italiens ou bien encore espagnols.
L'H. : Parmi vos enseignes hôtelières, quelles sont celles qui vont être amenées à croître à la vitesse grand V dans les prochaines années ?
S. B. : Pour ce qui concerne l'Europe, c'est notre
chaîne 2 étoiles, Ibis, qui dispose du plus fort potentiel de développement. C'est en
effet le produit le plus adapté au cur du marché européen. L'hôtellerie
superéconomique - c'est-à-dire Formule 1 et Etap Hôtel -, créneau sur lequel nous
avons de l'avance sur nos concurrents, a aussi de très beaux jours devant elle au niveau
international.
Mais, des perspectives de croissance existent également sur le milieu de gamme (3
étoiles et 4 étoiles) à travers nos enseignes Novotel, Mercure... Si le marché du 3
étoiles est saturé en France, et partiellement en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, ce
n'est pas le cas en revanche dans des pays comme l'Italie, la péninsule Ibérique, ou
bien encore la Pologne. Je crois personnellement que Mercure, marque qui a pour vocation
de fédérer sous sa bannière des hôtels traditionnels ou des réseaux régionaux, n'a
pas de limite en termes de développement.
L'H. : A propos de Mercure, voilà un réseau qui a beaucoup évolué grâce à la franchise. Comment ce mode d'exploitation va-t-il évoluer dans les années à venir ?
S. B. : La franchise représente 15 % du parc
hôtelier pour le moment. C'est un mode d'exploitation qui va continuer de se développer
dans les années à venir. Cette formule présente en effet deux avantages essentiels pour
un groupe comme le nôtre. C'est d'une part un moyen de booster notre développement. Il
est ainsi probable que sur les 80 projets que nous avons en portefeuille en France, la
moitié se réalise via la franchise. Aux Etats-Unis par exemple, nous avons également
recourt à la franchise pour conforter nos implantations sur le marché superéconomique.
A ce jour, nous comptons d'ailleurs quelque 191 franchisés chez Motel 6 et Red Roof.
D'autre part, la franchise nous empêche de commettre des bêtises. Les franchisés sont
effectivement de très bons gendarmes ! Le dialogue constant avec ces derniers permet à
chacun de se remettre en cause au moment opportun. Il n'en demeure pas moins vrai que
notre métier est d'être opérateur hôtelier. Ce qui signifie que nous traitons les
franchisés comme nos propres exploitants.
L'H. : Plusieurs groupes hôteliers essaient de s'implanter un peu partout dans le monde, en vain. Pourquoi Accor semble-t-il réussir là ou d'autres échouent ?
S. B. : Nous ne sommes pas obligatoirement les
meilleurs partout. Il n'empêche que notre stratégie de développement international et
de segmentation de l'offre nous a permis de prendre dix ans d'avance sur nos concurrents,
en particulier anglo-saxons. Le fait de disposer d'une gamme diversifiée de produits
hôteliers, allant du 0 étoile aux 5 étoiles, est en effet un atout considérable pour
couvrir nos objectifs de croissance du parc de 10 % par an. C'est grâce à cela que nous
parvenons à ouvrir quelque 400 nouveaux établissements en 2000 et près de 350 l'an
prochain.
Ajoutons également que nous nous donnons les moyens de nos ambitions avec la mise en
place d'équipes spécifiquement destinées au développement. Ouvrir un hôtel dans un
pays étranger réclame effectivement du temps. En Allemagne par exemple, il a fallu
attendre quatre ans avant d'inaugurer le premier Etap Hôtel...
L'H. : On dit aussi volontiers que votre développement hôtelier affiche un rythme de croissance soutenu grâce à des formules de financement d'acquisitions d'hôtels bien particulières. Qu'en est-il exactement ?
S. B. : Depuis quatre à cinq ans, Accor recourt en
effet à un type de financement spécifique pour une partie de son parc hôtelier. En
clair, nous cédons en général les murs de nos hôtels par lot de plusieurs hôtels
(taille minimum aux alentours de 500 MF) à des établissements financiers, à des prix
volontairement modérés. En échange, nous obtenons des loyers à long terme très
avantageux, accompagnés d'une option de rachat au bout d'une dizaine d'années à une
valeur oscillant entre 65 et 100 % de la valeur originelle du bien. Nous sommes donc
gagnants sur tous les tableaux ! Cette formule est un excellent moyen de booster notre
développement en optimisant notre cash flow, car nous n'avons pas vocation à posséder
les murs de nos hôtels.
Inédite dans le secteur de l'hôtellerie, cette méthode intéresse certains de nos
concurrents. Les dirigeants d'Hilton nous ont d'ailleurs récemment rendu visite à ce
sujet.
L'H. : Accor a aussi massivement investi dans les nouvelles technologies au cours des dernières années. A l'heure de l'avènement d'Internet, cette stratégie constitue-t-elle un avantage pour votre secteur d'activité ?
S. B. : Après avoir mis en place une organisation
multimarque et des services transversaux conséquents, il était indispensable pour le
groupe de se doter d'un outil de réservations performant. Aujourd'hui, Accor dispose d'un
système de réservations, baptisé Tars On Line, unique au monde. Cet outil d'inventaire
partagé du stock de chambres fournit effectivement en temps réel les disponibilités
dans chacun de nos hôtels à travers le monde. Associée à Internet, cette nouvelle
technologie va révolutionner la consommation hôtelière.
C'est d'ailleurs l'hôtellerie économique qui en sera la première bénéficiaire. Il y a
plusieurs raisons à ce phénomène. A commencer par le fait que la population la plus
connectée est celle des jeunes. Parallèlement, ce qui s'achète bien sur la Toile c'est
avant tout ce qui est facile, pas cher et connu. En l'occurrence, les hôtels économiques
répondent parfaitement à ces trois critères.
Je crois par ailleurs que les ventes en ligne sur Internet vont avoir une incidence
positive sur les prix hôteliers. Le Web peut en effet banaliser une chaussure de sport,
mais pas une chambre d'hôtel un mardi soir au cur de Paris par exemple, quand il
n'y a plus aucune disponibilité. L'usage d'Internet va en fait améliorer le Yield
Management des hôtels.
L'H. : Vous affirmez ne pas avoir besoin de posséder les murs de vos établissements hôteliers ? Au regard du chiffre d'affaires passé de 600 millions de francs en 1997 à 1,6 milliard de francs en 2000 (prévisions) dans le secteur des casinos, estimez-vous par contre avoir vocation à miser sur le tapis vert ?
S. B. : Je crois que développer les casinos est
une démarche intelligente pour Accor car cette activité est très complémentaire à
l'hôtellerie. Aujourd'hui, les performances enregistrées par Accor Casinos, société
qui réunit l'activité du groupe dans ce domaine, sont d'ailleurs encourageantes. Nous
gérons ainsi 13 casinos en attendant l'ouverture prochaine de Bordeaux et de
Sainte-Maxime.
Nos ambitions sont claires concernant ce secteur. Le groupe veut devenir un leader
français du secteur, mais aussi un opérateur de poids en Europe. Il y a en effet
beaucoup de choses à entreprendre sur ce marché. Je pense en revanche que nous pouvons
trouver des partenaires financiers et industriels pour accélérer notre développement.
Nous avons récemment exercé notre option d'achat sur les titres détenus par la SHCD,
pôle normand du groupe Barrière, dans Accor Casinos. Avec le rachat de cette
participation (35 %), nous détenons désormais l'intégralité du capital de notre
filiale. Cette situation devrait évoluer au cours des prochains mois.
RevPar* en cumul à fin septembre 2000
Segment | Taux d'occupation | Prix moyens | RevPar | ||||
---|---|---|---|---|---|---|---|
(en %) | (Var en pts) | (Var en %) | (en %) | ||||
Affaires et | |||||||
Loisirs Europe (en FF) | + 67,9 | + 0,6 | + 5,5 | + 6,5 | |||
Economique | |||||||
Europe (en FF) | + 76,9 | + 0,4 | + 6,5 | + 7 | |||
Economique USA ($) | + 68,4 | - 0,4 | + 3,5 | + 2,9 |
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L'HÔTELLERIE n° 2695 Magazine 07 Décembre 2000