La cuisine lui a donné une "mère", Eugénie Brazier, et un "père", Claude Peyrot. Une famille éprise de vérité dont le "fils" transcende l'héritage.
Claire Cosson
L'ambition de Bernard Pacaud est de toujours "faire la cuisine de son mieux".
Avec le coeur et en offrant des produits de qualité.
Aux dires de certains,
Bernard Pacaud est difficile à approcher. Il est vrai que ce jeune quinquagénaire, petit
et trapu à la fois, fuit la presse depuis des lustres. Aussi curieux que cela puisse
paraître, on ignore du reste presque tout de lui. A peine sait-on qu'il a ouvert sa
première Ambroisie, rue de Bièvre, une semaine avant l'élection de François Mitterrand
à la présidence de la République, en mai 1981, qu'il travaille également main dans la
main avec son épouse, Danièle (licenciée d'histoire et passionnée de cuisine), dont il
a eu deux enfants Mathieu et Alexia...
Jamais à la télévision, rarement dans les journaux, sauf malgré lui, ce fils d'une
mère bretonne et d'un père lyonnais est en effet assez avare de confidences. Alors, en
tête-à-tête ce mercredi de septembre 2000, en fin d'après-midi, on espère bien sûr
percer l'armure de ce chef aux 3 étoiles. D'autant que, vêtu d'un pantalon de toile et
d'un polo, ce dernier nous accueille à première vue tout à fait à l'aise en son fief :
L'Ambroisie, 9 place des Vosges, Paris IVe. L'homme apparaît pourtant très vite sur ses
gardes. Il se tortille sur sa chaise et détourne souvent le regard. "Je n'ai pas
grand-chose d'intéressant à dire. J'essaie de faire mon métier le mieux possible, un
point c'est tout", déclare-t-il avec pudeur. Le ton est vif, le débit haché,
voire même parfois légèrement saccadé. Un peu à la manière d'un enfant, qui pour
cacher un profond chagrin, joue les "gros bras". C'est un cliché, mais c'est
peut-être aussi la vérité !
"Une famille et un métier"
Parce que, lorsque Bernard raconte enfin ce qui lui est arrivé (il faut fortement
insister), le cuisinier, apparemment rustre, prend une toute autre allure. Il devient
touchant et sincère. Une sincérité à laquelle il est impossible de rester insensible.
Il se souvient ainsi d'une enfance, certes bien "nourrie", mais pas aussi facile
qu'elle en a l'air. Car trop souvent marqué par les disputes entre son père et sa mère.
Loin de lui, néanmoins, l'idée de se poser en victime. "Ça existe dans de
nombreux foyers ! Ce n'est pas la peine d'en rajouter", dit-il sans arrêt.
Abandonné à l'âge de onze ans, l'aîné des trois enfants Pacaud a, sans doute, passé
quelques tristes soirées d'hiver dans le foyer de jeunes travailleurs lyonnais où il fut
très tôt placé. De là à imaginer qu'il se sente responsable de la séparation de ses
parents, il n'y a qu'un pas... Qui, naturellement, conduit ce grand "affectif"
à chercher une nouvelle famille. "Et j'ai bel et bien trouvé une famille et un
métier auprès de la Mère Brazier", confie, ému, l'intéressé.
La célèbre cuisinière, dont le restaurant du Col de Luère se situe à quelques
kilomètres de son foyer, emploie de fait de petits jeunes, les fins de semaines, pour
laver la vaisselle. Très vite, Bernard se plaît bien là-haut. De son côté, la mère,
qui ne fait pas dans la dentelle en matière de tendresse, se prend, elle, d'affection
pour l'adolescent.
Résultat : le garçon reste quatre ans au col en tant qu'apprenti. Une époque que
Bernard Pacaud considère comme capitale dans sa vie personnelle et professionnelle.
Envie de nourrir les autres
"La Mère m'a appris ce qu'était la cuisine, mais bien au-delà des techniques de
base. Elle m'a passé cette envie de nourrir les autres que seules les femmes ont dans
leurs tripes, au plus profond de leur être...", raconte le chef d'une voie
troublée. Et d'ajouter : "Elle m'a aussi donné confiance en moi, me soutenant
dans les moments difficiles." Au regard de l'hypersensibilité du personnage,
empreinte d'exigence, la vie de Bernard Pacaud n'a pas en effet toujours été un long
fleuve tranquille. D'ailleurs, après trois années comme commis à Lyon chez Tante Alice,
le jeune homme a du mal à s'adapter à la vie parisienne malgré sa nomination au poste
de chef de partie à La Méditerranée (1968), restaurant arborant alors 1 étoile au
guide Michelin.
Qu'à cela ne tienne, la Mère lui remonte le moral. Il s'accroche donc aux casseroles !
Et le voilà qui décroche une place dans un cercle privé de la capitale où il demeurera
près de sept ans. Au cours de cette période, Bernard Pacaud semble trouver un juste
équilibre : le matin arts martiaux, le soir les fourneaux. "C'est à ce
moment-là que j'ai également découvert les subtilités de la cuisine slave et thaï",
souligne le chef, qui excelle aujourd'hui dans l'utilisation des épices venues
d'ailleurs.
Un beau jour, toutefois, l'affaire change de main. Le Lyonnais d'adoption décide alors de
quitter le navire et se remet totalement en cause. Le voilà qui retourne à ses premiers
amours de gastronomie, entrant comme second à La Coquille
(2 étoiles au Michelin en 1973).
Grande communion
L'ennui le gagne hélas rapidement. Bernard aspire en effet à autre chose. A la lecture
d'une petite annonce, il choisit donc de tenter sa chance chez Claude Peyrot, au Vivarois,
déjà triplement étoilé. L'embauche se finalise, mais non sans problème. D'une semaine
supplémentaire, il passera néanmoins cinq ans dans cet établissement au poste de chef.
"Ce fut cinq années de grande communion !", confesse Pacaud. "Avec
Claude Peyrot, j'ai en effet retrouvé le plaisir de cuisiner ! Grâce à son expérience,
sa rigueur et son amour des clients, il m'a appris le métier de cuisinier",
surenchérit le patron de L'Ambroisie.
Un savoir que seul un père peut au final transmettre à son "fils", comme la
Mère Eugénie Brazier l'avait préalablement fait. D'ailleurs ces "parents"
n'ont eu qu'à se féliciter par la suite du parcours effectué par leur protégé. Que ce
soit dans son premier petit restaurant (26 couverts), déjà à l'enseigne de L'Ambroisie,
où il obtint à la vitesse grand V une première étoile en 1982 et une seconde en 1983,
ou bien encore dans sa maison actuelle de la place des Vosges... Jamais Bernard Pacaud n'a
failli à ce qui lui a été enseigné. Au contraire ! Son ambition est de toujours "faire
la cuisine de son mieux". Avec le cur et en offrant des produits "aussi
exceptionnels avant et après qu'ils aient été cuisinés".
"Devant la beauté de certaines denrées, j'hésite parfois à les toucher",
raconte le chef. Autrement dit, mieux vaut pas assez que trop ! Une philosophie culinaire
basée sur la simplicité, fort appréciée de la bible rouge qui a décerné la
troisième étoile à L'Ambroisie en 1986. Et qui ravit tout autant les clients de cette
adresse parisienne. Avec près de 70 % de clients habitués, patience est le mot-clé pour
réserver dans cette agréable maison. zzz18p zzz22i
L'Ambroisie
9, place des Vosges
75004 Paris
Tél. : 01 42 78 51 45
Parlons chiffresNombre de couverts
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Ingrédients
(pour 4 personnes)
3 belles langoustines par personne
250 g d'épinards
2 dl de crème fraîche
2 ufs
50 g de farine super fluide
80 g de beurre
1 cuillère à soupe de curry
1 dl d'huile d'olive
30 g de graines de sésame
Sel et sucre glace ation
Préparation
- Décortiquer les queues de langoustines. Les réserver au frais.
- Eplucher, laver et sécher les épinards.
- Préparer la pâte à feuillantines. Mélanger la farine avec 2 blancs
d'ufs. Ajouter une pincée de sel et une pincée de sucre glace, puis incorporer 50
grammes de beurre que l'on aura fait fondre à feu doux. Laisser refroidir. Mélanger le
tout avec énergie.
- Faire fondre une noisette de beurre dans une casserole, ajouter le curry et
laisser à feu vif pendant 1 mn. Verser la crème et porter à ébullition. Cuire le tout
ensuite 10 mn à feu doux. Rectifier l'assaisonnement, puis passer au chinois. Réserver
au chaud.
- Chauffer le four à 210°C (thermostat 7). Beurrer une plaque. Avec un
pinceau, façonner 8 disques de pâte de
8 cm de diamètre et les saupoudrer de graines de sésame. Mettre au four et les sortir
dès qu'ils ont pris une couleur blonde.
- Saler les queues de langoustines et les saupoudrer de curry. Puis les poêler
très vivement dans l'huile d'olive, 1 mn de chaque côté. Les égoutter sur un papier
absorbant.
- Faire fondre une noix de beurre dans une casserole sur un feu vif, jusqu'à ce
qu'il prenne une belle couleur noisette.
Y jeter les épinards et les remuer vivement. Arrêter la cuisson après 2 mn pour
préserver leur couleur vive et leur croquant.
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L'HÔTELLERIE n° 2686 Hebdo 05 Octobre 2000