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Bernard Naegellen patron du guide
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"Nous ne pensons qu'au lecteur"

Hôtels, restaurants, étoiles, Bib Gourmands : vaste tour d'horizon de l'univers du Guide Rouge avec Bernard Naegellen, le "patron" depuis 1985.

Claire Cosson et Jean-François Mesplède

 

L'Hôtellerie : Le Guide Rouge, puisqu'il se nomme désormais ainsi, vient de fêter son centième anniversaire. Qu'en diriez-vous pour le caractériser ?
Bernard Naegellen : Qu'il reste le compagnon de voyage le plus fiable, qui vous donne envie d'aller au restaurant et vous signale de bonnes adresses d'hôtels dans les villes, ou de petites auberges sympathiques au bord de l'eau. Nous avons plein de petites adresses très sympathiques en France, des hôtels familiaux, des restaurants qui ont le Bib Gourmand, et d'autres tables où l'on peut manger correctement et rapidement avec un menu à 70 francs. L'étoile, c'est si l'on a envie de s'éclater et si l'on a le temps car, pour bien manger, il faut prendre son temps.
L'H. : Pensez-vous qu'André et Edouard Michelin reconnaîtraient leur enfant ?
B. N. : Oui, complètement. D'un point de vue éthique nous sommes toujours sur la même voie. Pour le reste, je dis souvent qu'ils avaient tout inventé : la sélection, les symboles et même l'interactivité - un mot très à la mode aujourd'hui - avec les lecteurs.
L'H. : Qu'est-ce qui a changé alors depuis un siècle ?
B. N. : Sans doute les critères de sélection, car nous évoluons en fonction des exigences de nos lecteurs. Nous prônons la diversité en matière de restaurants et, pour les hôtels, nous n'opposons pas les chaînes aux indépendants. Nous nous adaptons constamment, ce qui est normal lorsque l'on reçoit 23 000 lettres par an. La nouveauté du guide 2000, ce sont aussi les textes. C'est une idée qui trottait, nous en discutions entre nous, mais nous ne voulions pas faire comme les autres. Nous sommes quand même le seul guide à donner 9 500 adresses et le choix entre 2 et 5 lignes de texte, par exemple, n'était pas évident.
L'H. : Comment réagissez-vous lorsque vos détracteurs vous taxent d'immobilisme ?
B. N. : Je bondis car je pense que c'est une profonde injustice ! Nous avons le guide le plus à jour et les innovations sont toujours signées Michelin : les restaurants par exemple, qui obtiennent de grosses notes ailleurs, sont déjà très souvent à 1 ou 2 étoiles chez nous.
L'H. : Avez-vous le sentiment de passer un contrat de confiance avec les établissements cités dans le guide ou, en d'autres termes, estimez-vous que figurer au Michelin se mérite ?
B. N. : Disons que nous partons d'un point de vue différent : ce que nous mettons dans notre guide, c'est pour le lecteur. Lorsque l'on fait le métier d'hôtelier ou de restaurateur, il faut vouloir faire plaisir aux clients, sinon il faut faire autre chose.
L'H. : Beaucoup de restaurateurs vous rendent traditionnellement visite. Cela influe-t-il sur votre jugement ?
B. N. : Absolument pas. Cela nous aide parfois à mieux les comprendre, et peut-être est-ce pour eux une manière de se rassurer... même si on ne dit rien. Je crois que ceux qui viennent nous voir sont des gens motivés et, chez nous, c'est un peu le confessionnal...
L'H. : Mais êtes-vous conscient du poids des étoiles, et cela ne vous influence-t-il pas parfois à l'heure du choix ?
B. N. : Conscient ? Bien sûr. Je fais cependant très attention à certains jugements. Je m'aperçois que les gens disent "tiens, untel est très bon", ou à l'inverse "très mauvais". J'ai envie de demander mais quand, à quelle occasion, dans quelles circonstances ? Il y a peut-être longtemps, ils étaient peut-être invités et ils portent un jugement définitif. Ou alors, il s'agit de rumeurs et c'est encore plus affolant. On ne sait d'où ça vient... mais je crois que parfois des attachés de presse s'occupent de ça. Nous n'avons pas la prétention d'être parfaits, mais nous allons tous les ans chez les étoilés et plusieurs fois chez ceux qui la perdent. On s'étonne ? Ben voyons, ils pieutaient tranquillement et voilà qu'on les réveille ! Je vais où je veux, je ne m'impose pas de quotas et je juge selon mes critères, beaucoup plus secrets que ceux de mes inspecteurs. Nous n'avons pas d'états d'âme... sinon nous ne ferions rien.
L'H. : Mais les critères justement. Ne serait-il pas plus simple de les dévoiler plutôt qu'entretenir une sorte de flou ?
B. N. : Non ! L'intérêt justement c'est la diversité, y compris dans les restaurants étoilés. Nous ne donnerons jamais nos critères car ce serait le meilleur moyen d'enfermer les gens dans un carcan et de brider leur liberté créative. C'est vrai que nos choix ne sont jamais justifiés, y compris lors de visites particulières des restaurateurs. D'un simple point de vue éthique, nous n'avons pas le droit de les enfermer dans quoi que ce soit. On voit ce qu'ils peuvent faire. Croyez bien que c'est davantage une question d'éthique que de froideur. Et puis, de vous à moi, imaginez que nous disions à un chef que sa cuisine n'est pas bonne : c'est pratiquement impossible, il ne nous croira pas. Nous faisons nos choix en toute conscience : nous avons des moyens économiques et nous payons totalement nos additions, c'est notre liberté.
L'H. : Auriez-vous néanmoins un message à faire passer à ceux qui rêvent de figurer un jour dans le Guide Rouge, voire de décrocher 1 étoile ?
B. N. : Restez vous-même et faites ce qui plaît à vos clients. Surtout, ne travaillez jamais pour un guide.
L'H. : Patron du Guide Rouge, n'avez-vous quand même pas le sentiment de détenir un pouvoir exorbitant ?
B. N. : Je ne suis pas attaché à la notion de pouvoir et je ne suis pas davantage un adepte de la personnalisation. L'ouvrage est collectif, il n'est pas personnel.
L'H. : Si vous deviez malgré tout signaler un apport à l'œuvre collective, quel serait-il ?
B. N. : Peut-être la création du Bib Gourmand dont je suis assez fier. Ce symbole commence à être connu. C'est pour moi la meilleure distinction personnelle et j'adore aller dans ce genre d'établissement. Les critères de qualité sont respectés avec une cuisine du terroir, généralement simple, mais qui permet de constater une réelle volonté de faire particulièrement bien. On trouve aussi une cuisine créative à prix abordable (1) proposée par des gens intelligents. Il y en a aujourd'hui 496, davantage que les restaurants étoilés, et je pense que l'on peut arriver à 1 000 demain. Oui, c'est vrai, j'aime bien le Bib Gourmand.
L'H. : Les hôtels français ont beaucoup changé au cours des dernières décennies. Le Guide Rouge en a-t-il tenu compte dans ses critères de sélection ?
B. N. : Nous avons bien sûr évolué avant tout en fonction des exigences de nos lecteurs. Il y a quinze à vingt ans, par exemple, rares étaient les hôtels petit et moyen confort disposant de chambres avec bain ou douche. A cette époque, nous utilisions du reste un pictogramme noir pour indiquer la présence de douches et bains communs. Aujourd'hui, les gens n'imaginent plus un hôtel dont toutes les chambres n'offriraient pas de tels équipements. Y compris d'ailleurs des W.-C. Dans ces conditions, nous avons supprimé cette indication. Idem pour le symbole du robinet qui soulignait autrefois la présence de l'eau courante. A partir du moment où chacun dispose chez soi d'un certain nombre d'éléments de confort, il n'y a plus lieu de les signaler. D'autant que l'hôtellerie française a fait de gros progrès en la matière, et plus particulièrement en termes de décoration. Ce n'est pas la plus mauvaise d'Europe !
Reste que les normes ont eu malheureusement raison de certaines catégories d'établissements, telles celles que nous appelons les "coquetiers". Ces petites pensions de famille où l'accueil était agréable, la propreté garantie et la table fort bonne...
L'H. : Est-ce vos lecteurs qui vous ont également conduit à intégrer plusieurs hôtels de chaîne dans vos pages ?
B. N. : A travers différentes études qualitatives, nous avons en effet observé que les consommateurs appréciaient les hôtels de chaîne. C'est un élément dont nous avons dû tenir compte dans notre sélection. Mais, nous avons aussi parallèlement constaté que la cohabitation entre les petits hôtels indépendants et les établissements de chaîne est tout à fait possible. Ces différents styles d'hébergement sont même complémentaires. Et comme je dis toujours, l'intérêt de toutes ces choses, c'est la diversité !
L'H. : Cependant, vous n'avez pas encore intégré l'hôtellerie super économique dans votre ouvrage. Alors Formule 1, c'est pour demain ?
B. N. : C'est exact ! Nous avons décidé jusqu'à présent de ne pas faire figurer les hôtels super économiques dans le guide. Mais, cela pourrait changer dans les années à venir. J'ai d'ailleurs fait réaliser plusieurs études sur ce type d'hébergement afin de les répertorier.
L'H. : Vous ne dévoilez jamais la nature de vos critères de sélection. Les hôteliers s'interrogent néanmoins sur les petits-déjeuners. Quel est le poids de cette prestation ?
B. N. : Je dois tout d'abord dire que, durant de longues années, le petit-déjeuner en France avait plutôt mauvaise presse. Là aussi, il y a eu beaucoup d'efforts entrepris par les professionnels de l'hôtellerie. Avec, par exemple, l'introduction des buffets... Bien entendu, le petit-déjeuner entre dans nos critères de sélection. Il n'en demeure pas moins vrai que si l'accueil est bon et la chambre agréable, nous ne ferons pas de scandale si le petit-déjeuner n'est pas parfait. Tout est en effet une question d'équilibre ! Un hôtel comme un restaurant est rarement parfait. D'autant que le client peut lui aussi être mauvais.
L'H. : Comment jugez-vous les prix des hôtels en France ?
B. N. : Avec la mise en place de l'euro, je crois que l'on va enfin y voir très clair. A savoir que l'hôtellerie française n'est pas la plus chère d'Europe. Au contraire ! Il n'y a d'ailleurs qu'à aller faire un tour en Grande-Bretagne, en Allemagne - et je ne parle pas de la Suisse -, pour très vite se faire sa petite idée sur les prix des hôtels européens...
(1) 100-130 F en province et 130-180 F à Paris et région parisienne zzz18p


© Daniel Simon / Laure Jarrin-Melchiori / Gamma

Un homme discret...

Hormis pour le présent numéro de L'Hôtellerie, Bernard Naegellen ne fait pas la une des magazines. Si l'on a pu le découvrir à la télévision ou l'entendre à la radio, le directeur du Guide Rouge cultive la discrétion comme une seconde nature. Tout à fait dans la ligne d'un "esprit Michelin" qui veut que les hommes s'effacent derrière l'entreprise.
Lorsqu'il se lâche parfois au détour d'une conversation privée, Bernard Naegellen avoue que lorsqu'il faisait ses études à l'école hôtelière de Strasbourg, il caressait le rêve de partir outre-Atlantique. Aujourd'hui son Amérique se tient dans un bureau moderne et flambant neuf au 3e étage du 46, avenue de Breteuil, d'où la vue se perd sur la tour Eiffel.
Ainsi en a décidé le destin de cet homme discret qui porte bien la soixantaine, marié et père de deux filles. Un jour de 1968 et sachant que Michelin "cherchait quelqu'un", il a poussé la porte de l'immeuble du boulevard Pereire, "sans enthousiasme aucun".
"Je vais faire deux ans", a alors décidé Bernard Naegellen qui s'était promis de ne jamais venir vivre à Paris. Il n'a pourtant jamais quitté la grande maison. Et lorsqu'en 1985 André Trichot a fait valoir ses droits à la retraite, c'est lui qui a été choisi pour lui succéder à la direction du guide Michelin.
"Je n'avais pas une vocation particulière pour cela", dit aujourd'hui un homme qui ne revendique aucun talent particulier de cuisinier - un court passage au poste d'entremettier dans un hôtel en Allemagne dans les années 60 a suffit à l'en convaincre -, mais qui se souvient que sa mère faisait de la bonne cuisine.
"Je n'ai jamais souhaité une personnalisation de ma fonction", dit-il en se retranchant derrière un anonymat qui lui sied parfaitement. "J'aime varier les styles et je ne suis pas capable d'avoir mon rond de serviette dans un restaurant. J'aime découvrir des choses nouvelles et j'avoue avoir une vraie curiosité pour les cuisines du monde entier. En Asie par exemple, j'ai pris un plaisir fou à découvrir des choses invraisemblables", confie-t-il enfin.


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L'HÔTELLERIE n° 2686 Magazine 05 Octobre 2000

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