Ferran Adria, du restaurant El Bulli en Catalogne, est considéré par les chroniqueurs gastronomiques comme le cuisinier le plus créatif du monde. Sa cuisine d'avant-garde séduit une clientèle internationale mais aussi bon nombre de jeunes Espagnols.
Bernadette Gutel
"J'ai beaucoup de respect pour les grands chefs français car j'en suis le
résultat, la conséquence."
Au restaurant 3 étoiles El Bulli, blotti au fond d'une crique située entre Rosas et Cadaques en Catalogne, pas de chichis : vous pouvez venir en tenue décontractée sans cravate et en bras de chemise. Vous serez accueilli chaleureusement par Julio Soler, l'associé de Ferran Adria depuis plus de vingt ans. Ensemble, ils ont parcouru toute l'Europe et notamment la France pour découvrir le travail de grands cuisiniers. "Nous voulions étudier ce que faisaient les autres, pas pour les copier, plutôt pour ne pas faire comme eux", explique Julio. "Je voulais faire quelque chose de différent, poursuit Ferran, créer un style nouveau. J'ai essayé de comprendre, surtout dans la philosophie, le travail des grands chefs comme Gagnaire, Maximin, Robuchon... et j'ai cherché à faire mon propre chemin. J'ai beaucoup de respect pour ces derniers car j'en suis le résultat, la conséquence." A force de réfléchir et de travailler, Ferran Adria a imaginé près d'un millier de recettes. "Je fais de la créativité conceptuelle, confie-t-il. Mélanger divers ingrédients, c'est facile. Tout le monde peut le faire. Mais créer des concepts demande plus de recherches, plus de travail." C'est ainsi qu'en 1997, Ferran a eu l'idée d'ouvrir un atelier de recherches à Barcelone. Au départ, ce n'était qu'une table dans un coin de la cuisine. C'est aujourd'hui un espace de 300 m2 et une équipe de 7 à 8 personnes dont son frère Alberto, pâtissier au El Bulli depuis quinze ans. "Il faut, explique-t-il, professionnaliser la recherche. Tous les créatifs, que ce soient les artistes ou les stylistes de mode, ont leur propre atelier de recherches. Pourquoi pas nous les cuisiniers ? La vocation de cet atelier est double : d'une part, la recherche pour élaborer la carte d'une année sur l'autre et, d'autre part, le business : catering avec El Bulli Consulting, écriture de livres de recettes, conception de vaisselles..."
Une créativité conceptuelle
Pour créer ses recettes et établir son menu dégustation, Ferran se fait un scénario
comme pour un film. Chaque année, il commence une histoire nouvelle. Cette année, cette
histoire avait pour thème "La communion des techniques et des nouveaux concepts
découverts durant ces dernières années". L'utilisation de la gélatine chaude par
exemple est un nouveau concept. "Jusqu'alors, explique Ferran, les
cuisiniers ne travaillaient que la gélatine froide. Or, avec de la gélatine chaude, on
peut faire beaucoup de choses. Ainsi, j'ai créé en 1995 la mousse d'eau de mer, une
écume légère réalisée au siphon à partir de gélatine chaude, d'eau et d'huîtres."
Ferran est fier aussi d'avoir créé tout récemment un nouveau concept de panure : de
fines tranches de pain précuit découpées à la machine à jambon. Des filets de
sardines déposés sur ces fines lamelles poêlées deviennent merveilleusement
croustillants tout en restant légers. "C'est la première fois dans l'histoire, explique
Ferran, qu'on pane ainsi." Cuisiner avec des produits tranchés très finement
fait partie des concepts qui permettent à Ferran d'imaginer des plats riches en saveurs
comme les Raviolis de seiche au lait de coco parfumé au gingembre, composés de fines
tranches de seiche pliées en paquets, remplis de lait de coco préparé au mixer. Passés
10 secondes à la salamandre, ces raviolis explosent tout en surprise et en douceur sous
le palais. "Grâce à la créativité conceptuelle, explique-t-il, un
cuisinier peut élaborer de nombreuses recettes et chaque cuisinier peut élaborer les
siennes, que le concept soit nouveau ou très ancien. Ainsi 1 000 cuisiniers peuvent
imaginer 1 000 recettes de couscous." Pour faire le sien, Ferran n'utilise pas la
traditionnelle semoule mais du chou-fleur égrené qui rappelle la semoule par sa couleur,
son croquant délicat, et qui surprend par sa saveur.
Une galerie de recettes
Les Espagnols qui dégustent son Riz noir sont bien étonnés. Ce plat préparé à base
d'encre de seiche, comme le veut la tradition, n'est pas composé de riz mais de germes de
soja coupés de la longueur de grains de riz. La purée de pommes de terre de Ferran Adria
est sucrée, aromatisée avec de la vanille. Ce met servi juste avant les desserts est une
subtile transition entre les mets salés et les mets sucrés. Quant au sorbet au chocolat,
grâce à une anomalie de fonctionnement de sa sorbetière, Ferran le sert sous forme de
poudre glacée qui fond agréablement sous le palais.
"Je ne cherche pas à émouvoir mes clients avec des produits très chers,
souligne Ferran. Ce qui compte, ce sont les saveurs et le juste équilibre entre elles.
On peut aimer ou non ma cuisine, mais, de toute façon, je suis content de créer de
nouveaux concepts, de nouvelles techniques, de nouvelles recettes. Certaines resteront
peut-être dans l'histoire de la cuisine. C'est très fatigant d'inventer, mais j'aime
beaucoup ça. Je travaille 17 heures par jour pendant 340 jours. J'aspire à trouver
encore et encore de nouvelles choses et pourquoi pas un autre style." Pour que
ses meilleures créations ne tombent pas dans l'oubli, Ferran a eu l'idée de créer El
Bulli Gallery, un menu composé de ses best of, de ses meilleures recettes depuis ces dix
dernières années : Langoustine aux cèpes (1981), Gaspacho de homard (1989), Carpaccio
de cèpes (1992)... Ce menu est proposé dans le merveilleux cadre de l'Hacienda Benazuza,
une maison mauresque du Xe siècle restaurée avec raffinement et située à 10 minutes de
Séville. "Les recettes des chefs ne doivent pas disparaître, explique Ferran.
Dans cinquante ans, où pourra-t-on déguster les recettes de Robuchon ?" En l'an
2001, le menu dégustation du restaurant El Bulli comportera encore plus de recettes. En
contrepartie, il ne sera ouvert qu'en soirée. "Nous voulons préserver un travail
de qualité et ne pas devenir un restaurant-usine", précise Julio. Il fallait
déjà réserver deux mois à l'avance pour se rendre chez El Bulli qui ne comporte qu'une
quinzaine de tables et qui n'ouvre ses portes que six mois dans l'année. Combien de temps
faudra-t-il dès l'année prochaine ? zzz18p zzz22i zzz99
El Bulli - Ferran Adria et Julio Soler
Cala Montjol
Ap.30 17480 Rosas Girona
Tél. : 00 34 972 150 457
Fax : 00 34 972 150 717
E-mail : bulli@grn.es
Internet : elbulli.com
Parlons chiffresChiffre d'affaires 19 MF HT
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Préparation
(pour 4 personnes)
- Mixer les fleurettes d'un petit chou-fleur jusqu'à ce qu'elles atteignent la
grosseur de grains de semoule. Les ébouillanter dans l'eau salée et les refroidir
aussitôt dans de l'eau salée glacée. Egoutter et sécher sur papier absorbant.
Réserver.
- Emietter finement 50 g de pain d'épices au miel. Faire sécher au four à 150
°C. Une fois refroidi, mélanger avec 30 ml d'huile d'olive et une pincée de spéculos
(mélange de cannelle, coriandre, muscade, girofle). Réserver.
- Chauffer 3 dl de Campari, ajouter 0,4 g d'agar-agar. Porter à ébullition.
Faire refroidir. Découper des cubes de 2 mm.
Présentation
- Faire une réduction avec 100 ml de vinaigre, 5 g de sucre et 2 g de
glucose. tion
- Sur une assiette, déposer au pourtour, comme sur un cadran d'horloge, à 12 h et
16 h, une petite cuillerée de pain d'épices et par-dessus un morceau de feuille de
menthe, une fleur de romarin et un zeste de citron ; à 3 h et 9 h, une petite cuillerée
de pain d'épices et par-dessus un morceau de feuille de basilic et un zeste d'orange ; à
2 h et 7 h, un dé de poire (2 mm) et par-dessus un peu de baies de genièvre concassées,
un peu de cerfeuil et à côté une noisette tendre ; à 1 h et 4 h, un dé de gélatine
de Campari ; à 5 h et 11 h, un dé de pomme (2 mm), par-dessus un filament de safran
légèrement toasté, une petite branche de fenouil et à côté un dé de gingembre (2
mm) ; à 8 h, un peu de sucre roux ; à 5 h 30 et 10 h, une goutte de réduction de
vinaigre.
- Faire sauter le chou-fleur à l'huile d'olive. En disposer une partie au
milieu de l'assiette. Faire chauffer du jus d'agneau. En déposer un cordon autour du
chou-fleur.
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L'HÔTELLERIE n° 2686 Magazine 05 Octobre 2000