Jean-Claude Bourgueil est tourangeau d'origine, mais c'est outre-Rhin qu'il fait carrière.
Un parcours étonnant avec non pas trois, mais quatre macarons à
la même adresse ! Entre cuisine française et cuisine allemande !
Sylvie Soubes
"La cuisine, c'est transmettre une émotion", estime Jean-claude
Bourgueil.
L'homme est né le 1er mai
1947 à Sainte-Maure-de-Touraine. Chez lui, tout le monde faisait et "aimait"
faire la cuisine. Il évoque, pêle-mêle, son oncle viticulteur, l'odeur des caves à
champignons, sa passion pour la charcuterie de Blois ou de Vouvray. Mais le jeune
Bourgueil de s'expatrier. "J'avais l'ambition de sortir de mon trou",
lance-t-il. Madrid, le Valais Suisse, puis l'Allemagne avec l'ouverture du Hilton de
Düsseldorf. "Il y avait 38 nationalités dans l'équipe", se
souvient-il. "Moi, je parlais à peine trois mots d'Allemand." En 1972,
il entre sous-chef puis chef au restaurant Walliser Stuben, toujours à Düsseldorf. En
1974, l'établissement a deux macarons Michelin. "Le plus difficile, c'était
l'approvisionnement. Il n'y avait pas d'importateur pour des produits tels que le turbot,
la sole ou le rouget. On devait faire venir nous-même de Paris par avion les poissons et
autres fruits de mer. Les fromages venaient par le train. Ça n'était pas triste non
plus. Il fallait ouvrir chaque carton dans le bureau des douaniers. A force, ils en
avaient marre de nous voir arriver."
A cette époque, les Allemands consomment beaucoup de buf. Dans les établissements
de haut niveau, ils choisissent ce qu'il y a de plus cher. "Cela dit, ils ne
savaient pas manger. C'était un bordel terrible pour leur faire goûter du pigeon !"
Octobre 1977, il décide de s'installer à son compte. Il reprend un restaurant situé à
deux pas du Rhin, le Im Schiffchen (petit bateau en français) dans les faubourgs de
Düsseldorf. Les murs, chargés d'histoire, datent de 1733. L'endroit abrita notamment un
bistrot à mariniers.
"J'ai démarré avec un garçon, un plongeur et ma femme. Il n'y avait que le
rez-de-chaussée d'ouvert et, pour attirer les gens, je pratiquais des petits prix."
La terrine de poissons coûtait 10 marks (33 F) ! Mais on pouvait déjà apprécier le
homard breton. Le principe du menu n'existait pas, alors que ceux-ci représentent
actuellement 80 % des ventes. "J'avais aussi des problèmes avec les vins. Les
gens, au début, ne connaissaient pas trop. Maintenant, c'est différent. L'élite
allemande possède généralement sa cave climatisée et elle s'intéresse à tout."
Jean-Claude Bourgueil compte aujourd'hui pas moins d'un million de références en cave.
"L'Allemand est très Parker", ajoute-t-il. "Ici, la qualité est notre
seul critère de sélection. Il n'y a pas d'achat de sympathie."
23 ans de succès
Avec sa sommelière (française), il consacre le jeudi au jeu de la dégustation à
l'aveugle. "Cela nous permet de bien suivre les vins et d'extraire les meilleurs
et seulement les meilleurs." Le livre des vins est effectivement un grand moment
pour l'amateur avec des bouteilles qui sortent réellement de l'ordinaire. Comme ce
chardonnay de Nouvelle-Zélande tout juste inscrit à la carte. Une des caractéristiques
de Jean-Claude Bourgueil, c'est sa flexibilité, sa capacité à s'adapter, à avancer. En
1979, Michelin lui accorde une première étoile. La deuxième arrive en 1983.
L'année suivante, il obtient - très fier - le prix de la Meilleure carte des vins
d'Allemagne, puis, dans la foulée, le prix de la Meilleure carte de digestifs
d'Allemagne. De succès en reconnaissance, Jean-Claude Bourgueil transforme
l'établissement.
"En 1986, Im Schiffchen passe au premier étage et j'ouvre à sa place le
Aalschokker." Pas de traduction possible, l'Aalschokker est tiré du hollandais.
C'était un bateau de 18 mètres qui avançait sans hélice ni moteur et que les pêcheurs
allemands utilisaient pour l'anguille.
Aalschokker décline une cuisine allemande revisitée, redécouverte. "J'ai
étudié toute la cuisine allemande. Il y a de belles choses, mais je les ai modernisées",
commente-t-il.
Deux décors, deux ambiances s'offrent au visiteur. Le nouveau cadre de l'Im Schiffchen
consacre à son juste niveau le talent du chef. 1987 sera l'année de la troisième
étoile. Jean-Claude Bourgueil est aussi depuis cette date le seul chef d'Allemagne à
pouvoir revendiquer 4 macarons Michelin à une même adresse. L'Aalschokker est aussi
reconnu avec une étoile accordée peu après l'ouverture et fidèlement accrochée
depuis.
Prouver
Tout de bois clair, de velours chamarrés, le décor de l'Im Schiffchen se veut un
compromis élégant entre la tradition allemande et le confort citadin. L'ensemble est
cossu, dans les tons roses, et l'ambiance feutrée sied à la gourmandise. Au menu
dégustation le soir de l'interview : Mousse de foie gras, Soupe verte, Homard à la
camomille - le plat de prédilection du chef. Un exercice de style qui n'appartient qu'à
lui, haut en saveurs et finesse -, Velouté de champignons des bois, Contre-filet, deux
desserts dont un merveilleux Sorbet à la cerise, cerné de chocolat noir en forme de
virgule ! "La cuisine, c'est transmettre une émotion. Ça se reçoit avec le
palais. Pour moi, certains cuisiniers dérivent, estime Jean-Claude Bourgueil. Une
cuisine, ce doit être un bonheur que l'on n'oublie pas !"
Dans la salle, le Français Emile Yung fait partie des convives. Autres 3 macarons
Michelin. Celui-ci commente à propos du chef : "La souffrance du cuisinier dans
le temps, la contrainte, la sueur, tout ce qu'il y met doit aboutir à gratifier le
plaisir de l'autre. Mais est-ce de la souffrance ou les larmes du bonheur ?"
Emile Yung évoque ensuite avec émotion la cuisine de Jean-Claude Bourgueil : il met
l'accent sur la présentation, sur la recherche des saveurs, sur la sincérité du
personnage. Un hommage de maître à maître. Car Jean-Claude Bourgueil est ausi un
maître, définitivement. * zzz18p
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Im Schiffchen
Kaiserswerther Markt 9
D - 40489 Düsseldorf-Kaiserwerth - Allemagne
Tél.: 00 49 211 40 10 50
Fax : 00 49 211 40 36 67
Parlons chiffresChiffre d'affaires
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Ingrédients
Faisselle de Sainte-Maure
Bonnottes de Noirmoutiers
Caviar osciètre
Petite crème aux oignons
Préparation
Jean-Claude Bourgueil : "Ce plat simple se passe en fin de compte de
recette. Sa grandeur repose sur la qualité individuelle de chaque produit. La faisselle
de Sainte-Maure doit être utilisée tout juste démoulée (afin d'éviter toute
oxydation). Cuire les bonnottes avec leur peau et du sel de mer. Les éplucher à la
minute afin qu'elles gardent leur tiédeur et leur moelleux. Le caviar osciètre est
préféré au belouga, parce que moins gras il exprime une finesse qui s'associe
parfaitement avec le fromage frais et les bonnottes. Le choix des petits oignons de
printemps est impératif, le côté rustique de l'oignon commun écraserait l'équilibre
du plat. Préférer une crème fraîche de haute qualité que l'on détendra avec un peu
de fumet de poisson avant de lui incorporer les petits oignons hachés très fins.
Souligner le tout avec deux tours de moulin de poivre de Séchuan."
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L'HÔTELLERIE n° 2686 Magazine 05 Octobre 2000