En obtenant sa troisième étoile au Pont de Brent quelques mois à peine avant ses cinquante ans, Gérard Rabaey s'est vu offrir un somptueux cadeau d'anniversaire. Pour ce Normand établi en Suisse, la révélation est venue d'une rencontre avec l'incontournable Fredy Girardet.
Jean-François Mesplède
Gérard Rabaey est intransigeant sur la qualité des
produits, qu'il veut exceptionnelle, et mise sur la simplicité.
L'homme qui a très vite
rêvé de son métier de cuisinier est attachant. On imagine facilement que c'est auprès
de son père charcutier que le troisième d'une famille de sept enfants a découvert sa
vocation. "Les métiers de bouche m'intéressaient", admet Gérard
Rabaey. Ceci expliquant cela, un stage d'été à Vireville constitue sa première
approche de l'hôtellerie. Elle s'affine à l'occasion de son apprentissage à l'Hôtel de
la Poste, un établissement étoilé de Dinan où il reste 3 ans, de 1963 à 1966. Après
l'armée, il choisit le rythme des saisons, en particulier à Verbier en Suisse. C'est
pourtant en France qu'il pense poursuivre son parcours. A Lyon, le restaurant de la Mère
Guy jouit d'une très belle réputation. Originaire du Tarn, Roger Roucou est venu ici
avant-guerre en apprentissage auprès des frères Foillard, auxquels il a ensuite racheté
l'affaire dans les années 50. Il a obtenu 2 étoiles au Michelin et souhaite
embaucher le jeune homme. Mais pour dépanner Louis Richoz au restaurant Mon Moulin de
Charrat près de Martigny, Gérard Rabaey accepte de faire un intérim. Il devait y passer
quelques mois, mais y reste 9 ans. Et comme il fait entre-temps la connaissance d'une
charmante Suissesse prénommée Josette, le voyage à Lyon est définitivement oublié. Le
couple se sent bien en Suisse et, avec ses maigres économies, décide de s'installer à
l'Auberge de Veytaux, près de Montreux.
Amateur de concours, Gérard Rabaey dispute en 1970 la finale suisse du concours Prosper
Montagné. Pour son Lièvre à la royale, le jury, où figurent Bocuse, Troisgros et
Chapel, lui octroie le prix avec un 29 sur 40. C'est le meilleur du lot... mais il ne
remporte pourtant pas le trophée pour lequel la note minimum de 30 était requise. On
discute d'une possible exception, on tergiverse, mais le règlement est formel.
Soudain, une voix s'élève, celle d'un journaliste : "J'en connais un qui vous
aurait tous mis d'accord, c'est Fredy Girardet. C'est le seul qui aurait été capable de
faire mieux." A l'époque, Girardet est pratiquement inconnu et ce jugement pique
la curiosité de Gérard Rabaey. Un mois plus tard, une visite et un repas sont
programmés. "Sa cuisine était très bien faite. J'y suis revenu régulièrement,
deux ou trois fois par an pour constater qu'il évoluait à chaque fois. J'ai découvert
un maître inaccessible et j'ai tout de suite pensé que, s'il y avait un exemple à
suivre, c'était le sien. Avant de le rencontrer, j'étais un bon cuisinier, mais je
connaissais mes limites. Par la suite, ma conception de la cuisine a changé et j'ai eu
envie d'aller plus loin."
Les deux hommes se lient d'amitié et échangent leurs idées sur la cuisine. "Je
ne serai pas arrivé à ce niveau sans lui. Il nous a ouvert les yeux et a joué un rôle
important en Suisse : Bocuse, qui avait beaucoup de respect pour les jeunes que nous
étions, nous a permis d'aller au-delà et Fredy Girardet nous a donné envie d'aller plus
loin encore."
Une démarche qui séduit
En 1980, Gérard et Josette Rabaey décident de déménager : sur les hauteurs de
Montreux, un petit hôtel délabré est fermé. L'occasion est à saisir et le couple ne
la manque pas. Parfait disciple de Fredy Girardet, Gérard Rabaey est intransigeant sur la
qualité des produits qu'il veut exceptionnelle, et mise sur la simplicité.
La démarche plaît aux clients et aux guides... dont le Michelin qui le porte à 2
étoiles. "Un jour, Fredy m'a expliqué que si je devais avoir la 3e, Bernard
Naegellen solliciterait un rendez-vous. Un matin, sa secrétaire a téléphoné : je n'ai
jamais oublié la date, c'était le 24 novembre 1997 et mes jambes tremblaient. Le jour
proposé pour le rendez-vous ne convenait pas car j'avais une réunion aux Relais &
Châteaux à Bordeaux. Il était donc convenu de se téléphoner deux jours après : le
rendez-vous fut alors fixé en fin d'après-midi. J'avoue sincèrement que j'ai longtemps
pensé à la blague d'un collègue... jusqu'à ce que Philippe Rochat me dise qu'il
attendait lui aussi Bernard Naegellen à 18 heures."
A l'heure dite, le patron du Guide Rouge est au Pont de Brent. Il neige ce
jour-là, mais cela ne trouble pas son dîner, à l'issue duquel il demande à voir le
chef. Gérard Rabaey apprend que le choix fait depuis le mois d'avril a été scellé par
trois visites dans sa maison.
"C'est énorme et je peux vous dire qu'à l'heure actuelle, j'y pense encore.
C'est une joie immense qui s'accompagne d'une pression permanente. Cela permet de passer
un palier. Vis-à-vis des collègues, c'est un plus : quelque chose de magique mais très
lourd à porter. Ensuite, plus ça allait et plus ces 3 étoiles me semblaient
accessibles. J'avais toujours rêvé d'avoir mon restaurant comme Troisgros, Bocuse,
Guérard ou Chapel. Et me retrouver tout d'un coup à leur niveau me paraissait
incroyable... même si Fredy Girardet, qui m'avait pris sous sa coupe, était persuadé
que je pouvais les avoir un jour. C'est arrivé et, dès la première année, l'impact a
été fabuleux puisque nous avons augmenté le chiffre d'affaires de 28 %."
Avec la promotion simultanée de Philippe Rochat, son voisin et ami de Crissier, le
plaisir de Gérard Rabaey est double. Mais s'il mesure pleinement sa chance d'être entré
dans la cour des grands, sa toute nouvelle fortune ne le grise pas.
"3 étoiles, c'est quelque chose d'exceptionnel et de fortement motivant... mais
j'ai toujours aussi faim car c'est ça qui donne envie de continuer à progresser."
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Le Pont de Brent
CH-1817 Brent/VD - Suisse
Tél. : 00 41 021 964 52 30
Fax : 00 41 021 964 55 30
E-mail : rabaey@bluwin.ch
Parlons chiffresNombre de couverts 56 en moyenne
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Ingrédients
(pour 4 personnes)
4 douzaines de grenouilles
4 pommes de terre Charlotte bien calibrées
1 poireau
1 truffe de 80 g
4 dl de crème
100 g de beurre
Echalotes et cerfeuil
Préparation
- Désosser les grenouilles. Cuire les pommes de terre entières à la
vapeur. Découper un couvercle aux 2/3 de la hauteur, puis vider la pomme de terre. Faire
une purée à l'intérieur. Couper le poireau en losanges, l'étuver au beurre.
Assaisonner. Réserver.
- Faire revenir les os de grenouilles au beurre avec les chutes d'échalotes
ciselées. Ajouter de la crème et laisser mijoter pendant 20 mn. Passer.
- Poêler les cuisses de grenouilles, préalablement désossées, à feu vif
dans le beurre. Ajouter l'échalote ciselée et
le cerfeuil.
- Farcir la charlotte de purée, puis la disposer sur un lit de poireaux situé
au centre de l'assiette. Parsemer de grenouilles. Etuver doucement la julienne de truffes,
saler, poivrer puis la disposer dessus. Pour terminer, napper le tout de sauce
émulsionnée.
Gérard Rabaey conseille, en accompagnement, un pinot gris 1997 "Yvorne" de Philippe Gex dans le Vaudois. Epicé et minéral, avec un superbe grillé, ce pinot gris sera en parfaite osmose avec la charlotte de grenouilles aux truffes noires.
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L'HÔTELLERIE n° 2686 Hebdo 05 Octobre 2000