Parce que Jean-Baptiste Troisgros voulait que ses enfants aient un jardin pour s'ébattre, il décida un jour de s'installer à Roanne. Jean et Pierre ont rendu célèbre un nom que Michel, héritier des fourneaux, porte parfaitement bien.
Jean-François Mesplède
Michel Troisgros (au centre) a été à bonne école entre Pierre et Jean.
C'est une vieille photo de
famille. Un petit clin d'il d'un photographe complice. Pierre et Jean sont en
cuisine et, entre les deux frères, un petit bonhomme dévore du regard le contenu de la
table. Michel Troisgros avait-il déjà choisi sa voie ? Sans doute, car à force
d'entendre son père lui répéter que cuisinier restait le plus beau métier du monde, il
s'en était vraiment persuadé.
Cuisiniers, les frères Troisgros le devinrent tout naturellement. En fait, lorsqu'ils
viennent au monde, leur père et mère, Jean-Baptiste et Marie, tiennent le Café des
Négociants, à Chalon-sur-Saône. Jean naît en 1926 - la même année que Paul Bocuse -,
Pierre deux ans plus tard. Parents et enfants sont à l'étroit dans l'arrière-boutique
du bistrot que le paternel, soucieux de "donner de l'air" à sa progéniture,
décide un jour de quitter.
A Roanne, idéalement placée sur la Nationale 7 chantée par Trénet, un parent lui a
parlé de l'Hôtel des Platanes, en face de la gare, un autre atout non négligeable. La
maison est modeste, mais dispose d'un jardin : pour le père, c'est un argument de choc.
Jean-Baptiste n'hésite pas, signe la vente et, un beau matin de l'année 1930, la famille
débarque dans la Loire.
Très vite, l'affaire marche plutôt bien et la cuisine de Marie s'accommode fort bien des
breuvages dénichés par le patron qui aime son métier, et veut transformer son bistrot
en vrai restaurant. L'établissement change d'enseigne et devient l'Hôtel Moderne "avec
eau chaude à tous les étages", répertorié comme tel par le guide Michelin.
Le restaurant commence à se tailler une jolie réputation. Pas question bien sûr de
rivaliser avec le Jacques Cur où, pas très loin de là, à Boisy, un certain
Jannig arbore fièrement ses 3 étoiles. Mais il ne faut pas en raconter au père
Troisgros qui aime la simplicité, redoute les fonds de sauce préparés à l'avance, et
les présentations alambiquées. Fin palais, il considère que le repas est avant tout un
plaisir que ne doit pas venir gâcher une digestion difficile. Il s'attache à trouver de
bons produits et fait la tournée des petits vignerons de Bourgogne et du Beaujolais...
dont il sera l'un des premiers à préconiser la consommation jeune et à la fraîcheur de
la cave.
En fait, le seul regret du père est de ne pas être cuisinier... mais il se rattrapera à
travers deux fils qui, au bout du compte, n'auront pas eu tellement le choix de leur
avenir ! "Bien sûr, cela est dû beaucoup à l'ambiance familiale, mais je n'ai
jamais pensé à faire autre chose. Le dimanche à midi, autour du poulet rôti et de la
purée, j'ai souvent écouté l'éloge que mon père faisait de cette profession. Il y
avait, à l'évidence, une arrière-pensée de sa part, mais j'avoue que ces contacts avec
les gens et cette liberté d'action que j'entrevoyais me convenaient parfaitement. Ma
mère rêvait pour moi d'un autre métier de... bouche puisqu'elle voulait que je sois
dentiste, mais les circonstances et la guerre en ont décidé autrement", raconte
Pierre.
Un apprentissage sur le tas
En cette période, les deux frères font leur apprentissage. Sur le tas bien sûr : à
Paris pour l'aîné, à Etretat et Saint-Jean-de-Luz pour le cadet. Puis ils se retrouvent
ensemble au Lucas Carton, sous l'autorité de Gaston Richard, un chef formateur de
l'ancienne école. A Paris, les deux frères se lient avec un certain Paul Bocuse. La
formation est dure mais l'amitié solide. Plus tard, les trois compères feront encore
équipe à La Pyramide, chez Fernand Point. C'est le temps heureux des blagues et de
l'insouciance. Il faut pourtant travailler car le chef de La Pyramide, le solide Paul
Mercier, marqué par la hantise de ne pas prendre de poids, n'est pas un marrant. Pierre a
su le mettre dans sa poche en lui affirmant, tous les matins, qu'il en avait perdu. "Au
bout du compte, j'ai dû lui faire perdre 2 à 300 kg !"
Après un passage chez Maxim's aux côtés d'Alex Humbert, le meilleur saucier de
l'époque, Pierre Troisgros revient à Roanne. Et après un stage au Crillon, Jean le
rejoint. "Mon père souhaitait que ses fils prennent en main la maison. Il a
toujours existé une réelle complicité entre nous et, en 1957, l'Hôtel Moderne est
devenu les Frères Troisgros."
Sans l'avouer ouvertement, ils ont de l'ambition pour leur affaire. "Elle était
sous-jacente. Je sais que Paul Bocuse visait les 3 étoiles. Nous y pensions sans doute,
mais pas aussi clairement. Nous gardions quand même l'image de Fernand Point qui avait
fait de son restaurant l'établissement le plus réputé du monde, grâce aux 3 étoiles
Michelin."
Celles-ci arrivent en mars 1968, l'année de toutes les... révolutions. Pierre l'apprend
en ouvrant le guide acheté à la Maison de la Presse. "Le plus dur commence",
s'inquiètent-ils. Le père fait entendre la voix de la sagesse : "On nous les a
données pour ce que nous faisons. Il suffit de continuer", professe
Jean-Baptiste qui, précurseur en la matière, pousse ses fils à aller en salle,
au-devant du client. Six ans après le couronnement de ses enfants, il décédera devant
une bonne table ! Et un sale jour d'été 1983, Jean est emporté à son tour au cours
d'une partie de tennis. La question de la succession se pose à peine : comme son père
n'a cessé de lui vanter l'intérêt de son métier, Michel Troisgros a suivi la même
voie, passant chez Chapel, Vergé et Guérard, avant de revenir à Roanne en 1984. Il
assumera donc la cuisine. Là encore, le tandem fonctionne à merveille. La cuisine
évolue et la recette du Saumon à l'oseille, classique de la carte, qui a assuré une
réputation universelle à la maison, est sans cesse remis au goût du jour.
Au fil des ans, Pierre prend du recul et abandonne les rênes à Michel et à
Marie-Pierre, son épouse. C'est la nouvelle génération Troisgros. En attendant la
suite...
Hôtel-restaurant Troisgros zzz18p zzz22i
Place Jean Troisgros
42300 Roanne
Tél. : 04 77 71 66 97
Fax : 04 77 70 39 77
E-mail : troisgros@avo.f
Parlons chiffresChiffre d'affaires
|
Ingrédients
Pour 8 personnes
600 g de saumon frais
30 cl de crème double
1 cuillerée à soupe de vermouth
8 cl de sancerre
10 cl de fumet de poisson
80 g d'oseille fraîche
2 échalotes
20 g de beurre
1/2 citron
Sel et poivre
Préparation
- Choisir un morceau de saumon en plein corps du poisson. Avec un couteau à
longue lame flexible, lever les deux filets. A l'aide d'une pince à épiler, retirer les
petites arêtes qui se trouvent dans la chair et que l'on sent sous le doigt en remontant
à contresens.
- Dédoubler les filets dans l'épaisseur et détailler-les en 4 escalopes égales.
Placer-les l'une après l'autre entre deux feuilles de papier sulfurisé huilé et les
aplatir délicatement avec une batte de manière à égaliser l'épaisseur.
- Equeuter les feuilles d'oseille en tirant dessus de bas en haut pour supprimer
les nervures. Laver-les et déchirer les feuilles les plus grandes en deux ou trois.
- Peler et hacher les échalotes. Verser dans une sauteuse le fumet de poisson,
le vin blanc et le vermouth. Ajouter les échalotes et poser la sauteuse sur le feu.
Laisser réduire jusqu'à ce que le liquide soit sirupeux et brillant.
- Ajouter la crème fraîche et continuer à faire réduire jusqu'à ce que la
sauce soit légèrement liée. Ajouter les feuilles d'oseille et attendre environ 20
secondes, puis retirer la sauteuse du feu et, en donnant un mouvement de rotation à la
casserole, incorporer le beurre en petites parcelles. Ne pas prendre de fouet pour cette
opération, sinon vous briseriez les feuilles d'oseille. Ajouter quelques gouttes de jus
de citron, saler et poivrer.
- Faites chauffer une grande poêle en téflon. Saler et poivrer les escalopes
de saumon du côté extérieur, le moins présentable, et poser-les dans la poêle, côté
assaisonner dessus. Compter 25 secondes, retourner-les, puis compter encore 15 secondes.
Saler légèrement ce côté. Il faut que le saumon soit "sous-cuit" pour
conserver tout son moelleux. Eponger les escalopes de saumon sur du papier absorbant.
- Répartisser la sauce crème à l'oseille dans le fond de quatre grandes
assiettes de service chaudes. Poser dessus les escalopes de saumon et servir aussitôt.
Vos commentaires : cliquez sur le Forum des Blogs des Experts
L'HÔTELLERIE n° 2686 Magazine 05 Octobre 2000