Trente-six années durant, l'Oustau de Baumanière a porté haut ses trois étoiles. Parce qu'il s'attachait au passé, le créateur, Raymond Thuillier, a toujours refusé que son petit-fils, Jean-André Charial, donne son empreinte à cette maison mythique. C'est ainsi qu'il a perdu cette troisième étoile. Aujourd'hui, Baumanière a retrouvé toute son allure, Jean-André a fait revivre le mythe dans la modernité et offre une cuisine pleine de créativité digne des plus grandes maisons.
Patricia Alexandre Le Naour
"Le luxe ne se mesure pas à la complication des choses mais à leur justesse
dans la simplicité."
Faut-il voir un symbole au fait que Jean-André Charial soit né l'année où Raymond Thuillier achetait, au cur du Val d'Enfer au pied du rocher des Baux-de-Provence, Baumanière, le vieux mas délabré, dont il allait faire une des plus grandes maisons de France ? Incontestablement, les lieux ont une magie et un pouvoir auxquels certains hommes sont sensibles. Baumanière est le fruit d'une histoire d'hommes sous le signe de la passion, un lieu qui aura marqué à jamais le destin de Jean-André Charial qui, entre enfer et sérénité, a su depuis 30 ans se frayer un chemin pour arriver à être enfin lui-même, en toute liberté. Baumanière est ressuscité.
Entre deux mondes
Un grand-père tyrannique, attachant, visionnaire, aux côtés duquel, fidèle et
obéissant, il restera plus de 20 ans en refusant d'annihiler sa personnalité... Autant
dire que rien ne prédestinait Jean-André Charial à devenir restaurateur, encore moins
cuisinier. Pourtant, c'est aujourd'hui une réelle passion pour ce métier qu'il nourrit.
Parce que Jean-André était bon en tout sans pour autant avoir de passion, il a continué
ses études et est sorti diplômé d'HEC à 25 ans. Son grand-père décida qu'il allait
travailler avec lui et lui confia la comptabilité. Personne ne lui fera de cadeau, tous
les coups seront bons. Ceux qui l'ont cru à l'époque fragile, parce qu'il se taisait,
n'ont pas su mesurer la force qui était en lui et l'impact qu'allait avoir la passion de
ce métier sur le développement de sa personnalité. Jean-André s'est tu, mais n'eut
plus qu'une idée en tête : apprendre la cuisine, et il partit faire son tour de France :
chez les frères Troigros, Chapel, Haeberlin, Bocuse. Incontestablement, l'homme qui
rentre à Baumanière ne sera plus le même, mais son grand-père n'a pas changé. Quinze
années durant, Jean-André se battra quotidiennement pour tenter d'imposer la cuisine
qu'il aime faire, "une cuisine où les choses ont le goût de ce qu'elles sont".
Deux mondes s'affronteront, Raymond Thuillier est seul maître à bord, il tient les
cordons de la bourse et ne veut rien des innovations de son petit-fils. Alors que
Jean-André veut travailler davantage les produits de la Méditerranée, sur une ligne de
légèreté, de délicatesse, de subtilité dans les goûts, Raymond Thuillier restera
attaché à une cuisine de tradition lyonnaise. Autant dire que, lorsqu'en mars 1990, le Michelin
enlève une étoile à l'Oustau, la décision est mal vécue : le grand-père rendra son
petit-fils responsable de cette disgrâce, ce dernier se sentira injustement sanctionné.
"J'ai vécu les 3 années les plus difficiles de ma vie", se souvient-il.
Bâtisseur, innovateur, perfectionniste
Quand Raymond Thuillier disparaît en 1993, le chantier est immense, mais le mythe intact.
Jean-André est seul maître à bord et ne compte pas sa peine pour transformer la maison.
Il y a investi depuis plus de 23 millions de francs. Réaménagements, changement de
décor, alliant modernité et respect des traditions, Jean-André veut retrouver dans
l'assiette comme dans le décor, la pureté, la lumière, la légèreté. Homme de son
temps, héritier respectueux des valeurs que lui ont transmis ses maîtres, il se révèle
passionné, bâtisseur, créatif, ne faisant référence au passé que pour mieux
appréhender l'avenir. Jean-André s'ouvre aux autres, s'investit au sein des Relais &
Châteaux, refait la Cabro d'Or, se lance dans une aventure viticole qui le comble, le
Château Romanin. Il ne cesse de se remettre en cause dans sa gestion, dans son
organisation, dans son rapport avec les autres, comme dans sa cuisine où il décide de se
laisser aller à faire enfin ce qu'il aime. Il s'entoure d'un jeune chef créatif Marc
Tizon, avec lequel il se plaît à créer, toujours en prise directe avec la terre, un peu
avec la mer. "Aujourd'hui, je veux faire les choses que j'aime, l'accessoire ne
doit jamais devenir l'essentiel, la cuisine n'est pas dans le décor mais dans la saveur,
dans le goût des produits, le luxe ne se mesure pas à la complication des choses mais à
leur justesse dans la simplicité." Bien avant la mode du bio, bien avant la
vache folle, il proposait déjà un menu "tout légume". Plusieurs jardiniers
travaillent dans son potager, il faut goûter ses "bébés haricots verts"
et mesurer la complexité de la démarche pour arriver chaque jour à récolter un produit
aussi délicat, rare, étonnant de saveur. Tous les 3 mois, il décline une carte autour
d'un produit, comme l'amande, la tomate, l'asperge. Sa cuisine est pleine de lumière, de
délicatesse, de saveur. "Je suis sûr, qu'aujourd'hui, ma cuisine est d'un niveau
supérieur à celle que nous servions voici 15 ans, quand l'Oustau avait 3 étoiles
Michelin", précise-t-il avec un peu de nostalgie. La troisième étoile ? Bien
sûr qu'il y pense, qu'il l'espère et qu'il fait tout ce qui est conforme avec ses
valeurs pour un jour la récupérer. Cette troisième étoile là serait vraiment la
sienne, lui que l'on a si injustement accusé de l'avoir perdue du temps de son
grand-père, mais cette étoile n'est pas ce qui conduit sa vie : "On ne construit
pas sa vie sur l'obtention d'une étoile." Mais tout dans sa manière
d'appréhender son métier le pousse pourtant à fonctionner par rapport à elle : "C'est
un métier où il n'y a jamais d'acquis, on repart à zéro à chaque plat, à chaque
client, on se remet en cause tout le temps, il y a les équipes à animer, les banquiers
à convaincre et les clients à satisfaire, c'est un métier enivrant..."
Jean-André Charial est un perfectionniste, anxieux, mais il est confiant, il a le goût
des choses de la vie depuis qu'il est lui-même à l'image de sa cuisine. * zzz18p zzz22i
L'Oustau de Baumanière
Relais & Châteaux
13520 Les Baux-de-Provence
Tél. : 04 90 54 33 07
- Marinade de rougets aux herbes acidulées
- Turbot cuit au four au lait d'amandes
- Homard sauté à cru au Kari-Gosse et huile de basilic
- Pistou de fruits frais, glace saveur olive
Ingrédients
(pour 8 personnes)
500 g de carottes
500 g de courgettes
500 g de haricots verts
500 g de pois gourmands
500 g de petits pois
1 kg d'artichauts
8 fleurs de courgettes
50 g de tapenade
Huile d'olive
10 cl de vin blanc
10 cl de fond de volaille
Vinaigre balsamique
Pâte à frire
130 g de farine
25 cl de bière
25 g de levure
1 litre d'huile
6 cuillères de coulis de tomates
Préparation
- Tourner les carottes et les courgettes en olivettes.
- Cuire tous les légumes séparément à l'eau salée, sauf les artichauts et
les rafraîchir à l'eau glacée.
- Tourner les artichauts et couper les fonds en quartiers, les faire revenir
avec l'huile d'olive et mouiller avec le vin blanc puis le fond de volaille, de façon à
couvrir les artichauts. Laisser cuire une demi-heure.
- Préparer les fleurs de courgettes pour les faire frire en les ouvrant.
- Préparer la pâte à frire.
- Tremper les fleurs dans la pâte à frire et les mettre dans l'huile
bouillante. Une fois frites, les mettre sur un papier absorbant et les faire sécher à
l'étuve.
- Faire revenir à l'huile d'olive tous les légumes.
- Disposer dans le fond de chaque assiette un petit peu de tapenade, les
légumes par-dessus, quelques gouttes de vinaigre balsamique et les fleurs de courgettes
frites.
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L'HÔTELLERIE n° 2686 Magazine 05 Octobre 2000